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[BD] «The Electric State», une uchronie américaine


A travers une Californie alternative (rebaptisée Pacifica), en 1997, on suit l’héroïne, Michelle, accompagnée de son robot, Skip. (Photo : akileos)

L’auteur et artiste suédois Simon Stålenhag sort son troisième livre en français. The Electric State embarque une jeune fille et son robot dans un «road trip» étrange et dangereux à travers une Californie rétrofuturiste détruite par la guerre. Saisissant.

Quiconque a déjà eu l’œil attiré par les peintures inquiétantes de Simon Stålenhag ne risque pas d’être déçu par son dernier opus. Pour les autres, The Electric State se présentera comme une nouvelle porte d’entrée dans l’univers sombre et satirique de l’artiste et auteur suédois, qui réinvente le passé en y injectant les angoisses et les dangers de notre futur.

À la moitié des années 2010, et par la grâce d’un premier ouvrage, Tales from the Loop, Stålenhag s’est imposé comme un nouveau maître de la science-fiction, qui a choisi le rétrofuturisme et l’uchronie – soit la réécriture de l’histoire et, donc, la modification du présent – comme terrains de jeu, pour de remarquables exercices de style et de réflexion.

De nombreuses influences

Influencé autant par les grands peintres paysagistes que par les icônes du «concept art» liées à la science-fiction – Moebius et la bande de Métal hurlant, mais aussi les «designers» conceptuels américains comme Syd Mead ou Ralph McQuarrie, qui ont marqué l’histoire du genre avec la conception, respectivement, des univers de Blade Runner ou de la trilogie Star Wars –, Simon Stålenhag réalise donc d’imposantes peintures numériques, superbement reproduites sur doubles pages et accompagnées de textes. Pas de la bande dessinée à proprement parler, pas exactement un livre d’art.

On pourrait dire de The Electric State, comme des deux travaux précédents de leur auteur, qu’il s’agit d’un «roman graphique», non pas au sens où on l’entend habituellement, mais au sens littéral : un roman illustré, où le texte et l’image, bien que séparés, sont indissociables.

Le récit se fait surtout avec les mots et l’auteur révèle un vrai talent pour la prose autant que ses visions, sublimes cauchemars, sont poétiques. Mais les illustrations, elles aussi, racontent une histoire, plus directe : celle-ci vaut pour les émotions que les mots ne transmettent pas. L’équilibre est tendu entre les deux, et c’est avec la virtuosité du funambule que Stålenhag, artiste complet, avance dans son œuvre.

Il n’y avait pas de quotidien sûr derrière nous, pas de zone normale où revenir, et avancer était notre seule issue

Tales from the Loop (2014) et Things from the Flood (2016) présentaient des paysages typiques de la nature suédoise; avec The Electric State – toujours en suédois en version originale –, l’auteur traverse l’Atlantique et trouve son nouvel eldorado dans le Grand Ouest américain. On ne reconnaît pas les décors de western, mais les paysages arides en gardent pourtant tout l’esprit.

C’est à travers cette Californie alternative (rebaptisée Pacifica), en 1997, que l’on suit l’héroïne, Michelle, accompagnée de son robot, Skip. Sa traversée de l’Ouest, à bord d’une voiture volée, la jeune fille de 19 ans ne la divulguera pas avant les dernières pages.

Des créations hyperréalistes

Comme toujours dans ce type de récits, l’important, c’est le voyage, à travers des terres désolées, ravagées par une guerre civile. Tout au long de leur parcours, Michelle et Skip traversent des lieux jonchés d’immenses structures – des bâtiments, des centrales, voire des champs de tir, où les cibles sont de géants canards jaunes –, de machines de guerre détruites et de dizaines de milliers de cadavres humains, portant encore leurs casques de réalité virtuelle, auxquels la population a développé une addiction, parallèlement à l’effort de guerre.

On reste bouche bée devant l’hyperréalisme des créations de Stålenhag, qui nous plonge dans un cauchemar des plus plausibles, avec un sens fou de la composition et du détail, dans une Amérique bizarre et défigurée. Et si le pays est à moitié plongé dans la brume, c’est pour en faire surgir, de temps en temps, de titanesques et dangereux robots…

Un récit intime, parfois déprimant, de la vie de son héroïne

Cette grande collection de cartes postales de l’apocalypse défile en même temps que l’auteur fait un récit intime, parfois déprimant, de la vie de son héroïne, avant, pendant et après la guerre, écrit à la première personne. Une sorte de carnet de route où les souvenirs et les digressions prennent une importance de premier plan. L’histoire est simple, peut-être un peu trop, mais elle offre un très joli contrepoint aux illustrations, se refusant aux facilités des réponses à donner.

Simon Stålenhag met en garde le lecteur sur les dérives du monde actuel et les guerres qui flottent au-dessus de nos têtes. Mais si notre époque doit être celle du grand effondrement, le Suédois est catégorique : même étrange et dangereux, le monde sera toujours plein de choses à admirer…

The Electric State, de Simon Stålenhag. Akileos.

L’histoire

En 1997, une ado fugueuse et son robot jaune traversent une étrange version des États-Unis en direction de l’ouest. Les cadavres de gigantesques drones militaires jonchent le paysage, entassés avec les rebuts d’une société consumériste high-tech sur le déclin. Tandis que leur voiture approche de la côte, le monde se délite de plus en plus vite derrière les vitres, comme si quelque part, par-delà l’horizon, le cœur de la civilisation tout entière avait fini par s’effondrer.

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