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Baueren-Allianz : vers un ministère de l’Alimentation ?


«On ne peut pas affirmer qu’il s’agisse de la plus mauvaise loi agraire jamais vue», tranche Marco Koeune. Il y a quelques jours, son homologue de la Centrale paysanne avait vertement critiqué le texte. 

Marco Koeune, le nouveau président de la Baueren-Allianz, souligne l’importance de miser sur la sécurité alimentaire. Dans ce contexte, le syndicat agricole plaide pour la création d’un nouveau ressort ministériel.

Il succède à une institution. Depuis la création de la Baueren-Allianz en 1988, Camille Schroeder avait toujours figuré en tête de l’organigramme. La semaine passée, Marco Koeune a été choisi pour prendre la relève.

En vue des élections législatives, le nouveau président du syndicat agricole évoque les enjeux d’un secteur qui se trouve à un moment charnière. L’idée de créer un ministère de l’Alimentation est lancée pour accorder, au Luxembourg également, une plus grande importance à la sécurité alimentaire.

Vous venez de prendre la succession de Camille Schroeder, le président historique de la Baueren-Allianz, en place depuis 35 ans. Comment abordez-vous cette relève?

Marco Koeune : Il faut dire que nous avons déjà travaillé ensemble pendant des décennies. J’ai intégré le mouvement en tant que jeune agriculteur avant de, progressivement, grimper les échelons et de décrocher la fonction de vice-président de la Baueren-Allianz. L’engagement syndical n’est pas une fin en soi.

En tant qu’agriculteur, vous êtes confronté tous les jours aux thématiques qui sont essentielles pour le bien-être de la profession et de notre société dans son ensemble. L’héritage n’est finalement pas si lourd à porter, car nous avons toujours coopéré dans une ambiance amicale. C’est peut-être aussi cette camaraderie qui est unique au sein de la Baueren-Allianz. On forme une grande famille.

Comment se porte l’agriculture luxembourgeoise?

Les défis auxquels nous sommes confrontés deviennent toujours plus complexes. S’y ajoute le problème qu’il existe de moins en moins d’agriculteurs. Le but a longtemps été de garantir une alimentation en quantité suffisante et à bon prix. En même temps, l’agriculteur doit pouvoir gagner sa vie et nourrir sa propre famille.

Au fil des décennies, tout cela est devenu bien plus difficile. Je compare toujours la politique agricole à un navire en haute mer qui doit changer de cap, avec le gain en importance de l’environnement et du climat. Il faut innover, sans oublier que l’agriculteur demeure le principal producteur alimentaire. Dans cet ordre d’idées, il importe de ne pas trop se rendre dépendant de pays lointains. Il faut éviter que les aliments de base soient importés. Un pays aussi riche que le Luxembourg doit lui aussi se consacrer à la sécurité alimentaire.

Bénéficiez-vous du soutien nécessaire pour assumer ce rôle?

Les agriculteurs forment certainement une minorité, mais la qualité d’une action politique est aussi de savoir inclure ces mêmes minorités. Nous comptons encore environ 1 700 exploitations dont dépendent 3 410 emplois de membres de familles agricoles et 1 170 salariés.

C’est tout sauf une quantité négligeable et on ne peut, dès lors, nous réduire à notre contribution de 0,2 % au PIB national. Notre valeur et nos services sont bien plus importants si l’on prend en considération d’autres paramètres et travaux que l’on assume plus ou moins de manière bénévole.

Je citerais uniquement le travail fait par l’agriculteur pour protéger l’eau, un de nos aliments essentiels. Ces services doivent aussi être honorés d’une manière ou d’une autre.

Vous prenez la présidence de la Baueren-Allianz à un moment charnière pour votre secteur, avec bientôt l’entrée en vigueur de la nouvelle loi agraire, mais aussi l’impact de la crise énergétique. Comment vos membres vivent-ils cette situation tendue?

On ne peut jamais choisir ce qui va se passer. On pensait être sortis d’une crise pour tomber peu après dans la prochaine. L’agriculture connaît bien ces successions d’évènements. Les défis qui se posent sont importants. En ces temps difficiles d’un point de vue économique, on est confrontés à d’importantes fluctuations des prix.

Cela pèse lourdement sur le secteur. Les agriculteurs auraient pu être contents que les prix de vente pour les produits agricoles partent à la hausse, mais en même temps le coût de production a lui aussi fortement augmenté. Et puis, on constate que les aliments sont utilisés comme une arme dans la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. C’est de très mauvais goût.

Dans la foulée de la tripartite de fin mars, la Centrale paysanne a déploré le fait que les agriculteurs soient souvent exclus des aides énergétiques. Le ministre Claude Turmes propose comme solution d’investir davantage dans le photovoltaïque. Est-ce suffisant comme réponse à vos yeux?

On aimerait bien entendu être traités de la même manière que d’autres secteurs, en touchant les mêmes aides et subsides. Cela n’empêche pas que le développement des énergies renouvelables constitue d’ores et déjà une priorité pour tous les agriculteurs. On est, par contre, plus réservés quant à l’installation de panneaux photovoltaïques dans nos champs (NDLR : Agri-PV).

Il est certainement possible de le faire dans de grandes plaines, mais il doit rester possible de cultiver ces terres. Il faut se demander si cela vaut la peine d’investir dans des installations de grande taille pour permettre aux moissonneuses-batteuses de passer sous les panneaux. Il faudrait peut-être mieux se concentrer dans un premier temps sur l’installation de panneaux sur les toits des étables et des exploitations.

«On constate que les aliments sont utilisés comme une arme dans la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. C’est de très mauvais goût», fustige Marco Koeune.

Qu’en est-il de la loi agraire, reposant sur un compromis durement négocié entre votre ministre de tutelle et les représentants du terrain? Comment jugez-vous le résultat final que votre homologue de la CPL a qualifié dans les colonnes du Tageblatt de « plus mauvaise loi agraire » que le Luxembourg ait jamais eue?

Il n’y a rien qui soit si mauvais que l’on ne puisse pas en retirer du positif. Le chemin pour y aboutir a certainement été un peu chaotique. En tant que syndicats, nous avons attiré très tôt l’attention sur les problèmes qui existaient dans ce texte. Une importante manifestation a aussi eu lieu à l’automne dernier, après que l’on a constaté que les points négociés avec le ministre n’avaient pas été repris dans le projet de loi.

Le sommet agraire finalement organisé en présence du Premier ministre a considérablement permis de calmer les ardeurs. Nous avons insisté pour que le chef du gouvernement s’empare lui aussi du dossier. Le dialogue nécessaire a enfin pu avoir lieu, avec quelques mois de retard. En fin de compte, on ne peut pas affirmer qu’il s’agisse de la plus mauvaise loi agraire jamais vue.

Le plus important est que l’on soit enfin dotés de ce nouveau cadre réglementaire, sachant que les élections législatives auront lieu dans trois mois, avec peut-être de nouveaux accents qui seront posés en matière de politique agraire.

Une des pommes de discorde majeures fut la réduction des émissions d’ammoniac. Les tensions sur ce point précis ne risquent-elles pas de nuire davantage à l’image d’une agriculture peu encline à contribuer à la protection de l’environnement et du climat?

On est confrontés à des extrêmes météorologiques, entre longues périodes de sécheresse et chutes de pluie massives. Il nous faut adapter nos cultures à ces nouvelles conditions. Nous avons dès lors un intérêt vital à contribuer à la lutte contre le changement climatique. Pour ce qui est de l’ammoniac, les émissions proviennent à 90 % de l’agriculture.

Il est de notre devoir de nous activer, en misant notamment sur des outils techniques, mais aussi sur le système de monitoring et de conseil qui sera mis en place avec la nouvelle loi agraire. Notre idée est de miser davantage sur l’esprit coopératif, en rapprochant à nouveau davantage la production, la protection de la biodiversité et la protection de l’eau.

En prévision des législatives, quelles sont les revendications majeures de la Baueren-Allianz?

La pandémie a fait grandir l’intérêt de la population pour les produits agricoles locaux, frais et saisonniers. Avec les crises successives et un pouvoir d’achat plus limité, les habitudes de consommation ont à nouveau changé. Il importe d’autant plus de continuer à soutenir la production locale, régionale et bio.

Dès lors, nous plaidons, en vue des élections, pour créer un ministère de l’Alimentation, dans lequel seraient intégrés l’Agriculture et l’Aménagement du territoire. L’alimentation doit être une préoccupation majeure. La possibilité donnée aux agriculteurs locaux d’enfin pouvoir vendre leurs produits dans la restauration collective des écoles, crèches et structures d’accueil ne peut être qu’un premier pas pour mieux promouvoir notre production nationale.

Il faut néanmoins savoir que l’on n’est pas seuls. De nombreux produits sont importés. En même temps, il est regrettable que 60 % de notre lait soit exporté de manière brute, sans aucune création de plus-value sur notre territoire.

Comment voyez-vous le futur lien avec le ministère de l’Environnement, pour rendre l’agriculture plus durable?

Pour nous, il n’est pas nécessaire d’intégrer l’Environnement dans ce nouveau ministère de l’Alimentation. Une très étroite coopération entre les ministères et les administrations est cependant indispensable. Cet échange existe d’ailleurs déjà aujourd’hui. Afin de rendre l’agriculture plus durable, il faudrait davantage miser sur des incitatifs au lieu d’imposer des choses.

Les différents programmes existants doivent être soumis à des analyses intermédiaires pour définir ce qui marche plus ou moins bien. Une meilleure coordination des règles pour pouvoir travailler dans les zones vertes est également à envisager. Un début est mis en place avec les autorisations accordées plus largement pour installer des serres. Une autre préoccupation doit être la réduction de la charge administrative.

Avec la Centrale paysanne et la FLB, il existe donc deux autres syndicats agricoles au Luxembourg. Quelle est l’entente entre vous trois? Et ne faudrait-il pas songer à une fusion?

Il existe bien entendu des avis qui divergent, mais cela existe même à l’intérieur des syndicats, y compris dans nos rangs. Il est important de discuter, de soumettre des arguments et de définir des positions.

Il y a 35 ans, le secteur agricole était encore plus divisé. Aujourd’hui, sachant que l’on compte toujours moins d’agriculteurs, les trois syndicats se sont fixé pour objectif d’aborder ensemble les thématiques nationales concernant l’agriculture.

Le fait que nos représentants siègent ensemble à la Chambre d’agriculture facilite le rapprochement. Il faut voir comment les choses vont évoluer. Il est peut-être encore un peu tôt pour parler de syndicat unique. Dans l’état actuel des choses, la coopération domine.

Je tiens aussi à rappeler que la Baueren-Allianz cède sans demander de contrepartie un de ses sièges aux jeunes agriculteurs. Il nous importe de nous ouvrir aux jeunes et de leur accorder une place sur le devant de la scène.

Ce week-end a eu lieu la Foire agricole à Ettelbruck. Cette vitrine est-elle plus que jamais devenue indispensable pour le secteur?

La Foire agricole est le rendez-vous le plus important de l’année. Quelque 40 000 personnes affluent lors de ce week-end à Ettelbruck. Plus de 300 exposants participent à l’évènement. Ce qui nous importe beaucoup, ce sont les ateliers ludiques pour les enfants afin de les sensibiliser le plus tôt possible à l’agriculture.

Il est primordial de créer et de maintenir un lien entre la société et les différents types de production. On ressent que l’image de l’agriculteur évolue positivement. Les gens sont plus compréhensifs et attentifs à notre situation. Si jamais la Foire était remise en question, le Luxembourg connaîtrait un important déficit de publicité pour son agriculture.

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