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André von der Marck :«Le tram est un outil assez fantastique»


Selon André von der Marck, des plans plus détaillés visant à continuer à étoffer le réseau du tram à Luxembourg seront annoncés en octobre. (Photo Julien Garroy)

André von der Marck, le directeur sortant de Luxtram, fait les louanges d’un mode de transport efficace qui a aussi fini par convaincre au Luxembourg. De très nombreux défis ont dû être relevés pour mener à bien le projet.

La mise en service dimanche prochain du tronçon Lycée Bonnevoie-Stade de Luxembourg sera l’acte final pour André von der Marck. Le directeur de Luxtram part à la retraite avec le sentiment du devoir accompli. Avant de céder la main à son successeur Helge Dorstewitz, le Strasbourgeois a accepté de revenir sur les étapes clés de sa carrière au Luxembourg, entamée en mars 2014.

Commençons avec la dernière étape de votre parcours. Est-ce que le calendrier est toujours respecté pour inaugurer, dimanche prochain, le tronçon de la ligne de tram qui mène jusqu’au stade de Luxembourg ?

André von der Marck : Oui, le timing sera respecté. L’idée est de préparer la rentrée de septembre, où nous aurons beaucoup de monde dans nos rames. En ouvrant dès dimanche, nous aurons tout l’été pour encore mettre des choses au point, mais cette fois-ci avec des passagers à bord. À droite et à gauche des voies, il y aura encore pendant quelques mois des chantiers de voirie, de trottoir et de certains espaces verts qui ne sont pas encore terminés, mais d’autres, à proximité du Ban de Gasperich, seront complètement achevés.

Quel sera l’impact de l’achèvement de ce tronçon ?

Ce tronçon sud est important parce qu’il va desservir notamment le nouveau pôle d’échange multimodal de Howald. Mais au-delà, il y aura aussi la desserte du stade. Au moment des manifestations, il sera important que le tram puisse y acheminer un grand nombre de spectateurs. Et bien évidemment, au Ban de Gasperich, les entreprises qui y sont implantées attendent que leurs employés puissent venir travailler en tramway.

Ce concept de multimodalité, beaucoup défendu par l’ancien ministre de la Mobilité François Bausch, faisait-il dès le départ partie intégrante de la construction du tram ?

Oui, absolument. Un tramway est une colonne vertébrale des transports publics. Et cette colonne suppose qu’elle soit un vecteur de correspondance important, avec les bus, les trains, le vélo ou la voiture au niveau des parkings relais. La façon moderne de concevoir les réseaux de transport est de miser sur l’intermodalité afin que chaque mode puisse être utilisé à son potentiel optimal. Cette réflexion globale fait l’efficacité du tram.

Avant sa mise sur les rails, il existait d’importantes discussions autour du tram. Un de vos principaux défis était-il de convaincre les acteurs plus réticents ?

L’installation d’un tram fait toujours l’objet de grandes discussions. Les avis sont évidemment divergents. Avant de réaliser une première ligne, il y a – et c’est obligé – un débat sur le mode à choisir. Est-ce qu’on veut faire un tram, un métro? Est-ce qu’on veut augmenter la capacité du réseau de bus? Toutes ces questions sont sur la table, et il est assez logique que les forces sociales, les forces politiques et monsieur Tout-le-monde s’en préoccupent et s’expriment.

Quand je suis arrivé, on ne transportait personne. Aujourd’hui, on transporte 110 000 voyageurs par jour

Avez-vous connu les mêmes débats et réticences lors de vos précédentes étapes comme développeur de réseaux de tramway ?

J’ai travaillé pendant près de 18 ans à Strasbourg et ensuite pendant près de huit ans à Nice. Toutes ces discussions, c’était finalement déjà du convenu. À Strasbourg, ça n’allait pas de soi d’installer une première ligne de tram. Je me souviens très bien que la période à la fin des années 80 et au début des années 90 a été assez difficile pour la maire de l’époque. Les habitants étaient plutôt opposés au tram. Ils estimaient que le système de bus fonctionnait bien. C’était aussi un peu le discours ici au Luxembourg. Finalement, aujourd’hui, près de 30 ou 35 ans après, plus personne à Strasbourg ne remet en cause le tramway. C’était la même histoire à Nice. Moi, je suis arrivé pour réaliser le deuxième tronçon, et à ce moment-là, la discussion n’était plus de savoir s’il fallait un tramway ou pas, mais de savoir quel était le meilleur tracé. Et finalement, ce sont les discussions que nous aurons aussi ici. On le voit au travers des différents projets d’aménagement. Est-ce qu’il faut un tramway dans telle rue, dans telle autre rue? Et quelles sont les priorités à fixer?

Justement, la mise entre parenthèses du tracé à travers l’avenue de la Porte-neuve a récemment fait polémique. L’absence de ce tronçon supplémentaire ne remet-elle pas en cause l’attractivité et la fiabilité du tram, comme le clament notamment déi gréng ?

Non, la réalisation d’un tram au niveau de la Porte-neuve n’est pas une priorité. La priorité est de continuer à étoffer le réseau dans sa globalité. Nous pouvons aujourd’hui étendre notre réseau au Kirchberg. Nous pouvons aller et nous irons sur la route d’Esch. Nous allons également desservir l’axe sur la route d’Arlon en desservant notamment le nouveau CHL. Tout cela peut fonctionner sans ce petit tronçon à travers l’avenue de la Porte-neuve, qui devra, le moment venu, prouver son utilité et sa plus-value. Pour développer un réseau, il faut d’abord construire les branches qui sont les plus importantes. En fait, c’est comparable à un arbre. Il commence à se développer par les grandes ramures. Les ramures secondaires viennent après.

Connaissant les rouages parfois très lents et compliqués au Luxembourg, le respect du calendrier de réalisation des différents tronçons n’est-il pas une de vos satisfactions majeures ?

Oui et non. Ma règle est évidemment de respecter le timing et les enveloppes et aussi de garantir la qualité du projet. Au Luxembourg, on a réalisé un tramway de grande qualité avec un très beau design, un très bel aménagement urbain et qui donne satisfaction au regard des 110 000 voyageurs que nous transportons tous les jours. Et la capacité va encore augmenter lorsque seront mis en service le tronçon vers l’aéroport du Findel et celui vers le stade. On passera alors à 120 000 voyageurs par jour.

Quels étaient les principaux défis à relever au moment de lancer le projet du tram à Luxembourg ?

Installer une première ligne ici a été particulièrement difficile, parce qu’il a fallu non seulement concevoir un projet, mais il a aussi fallu créer l’entreprise pour l’exploiter. Il n’y avait plus de tramway ni de cadre légal. Il fallait aussi former des conducteurs, qui ne sont ni des chauffeurs de bus ni des conducteurs de train. Donc, on devait trouver un partenariat avec d’autres villes à tramway pour former les premiers conducteurs avant l’ouverture de notre propre centre de formation. Moi, quand je suis arrivé il y a dix ans, j’étais l’employé numéro 9. Aujourd’hui, nous comptons plus de 180 collaborateurs. On est capables non seulement de faire rouler les tramways, mais également de les maintenir. La même chose vaut pour le réseau en tant que tel. Au-delà du projet, c’est aussi une aventure humaine, avec des hommes et des femmes qui auparavant étaient peut-être boulangers, charcutiers ou qui travaillaient dans l’art. Maintenant, ils conduisent des rames qui valent plus de quatre millions d’euros, et ils sont assez heureux dans leur travail.

«Le succès du tram a permis d'accueillir des gens qui auparavant n'étaient peut-être pas forcément clients des transports publics», affirme André von der Marck. Photos : julien garroy

La gratuité des transports publics est arrivée peu après la mise en service du tram. A-t-elle contribué à son succès ?

La gratuité n’est pas un hasard. Si vous dites que c’est gratuit, mais qu’il n’y a pas d’offre, en réalité, ce n’est pas gratuit. Vous pouvez bien décider demain que le caviar est gratuit pour tous au Luxembourg, mais s’il n’y a pas de caviar, cela reste lettre morte. Donc, finalement, le tramway, avec la capacité nouvelle qu’il offrait à l’ensemble des habitants du Grand-Duché, a contribué à mettre en place la gratuité. Les deux choses vont de pair. Le succès du tramway a aussi permis d’accueillir dans de très bonnes conditions des gens qui auparavant n’étaient peut-être pas forcément clients des transports publics. Les gens ont aujourd’hui beaucoup d’appétence pour le tramway. C’est une autre manière de se déplacer en ville, assez différente du bus, du vélo ou du train. Avec cette nouvelle mobilité incarnée par le tramway, en plus de la gratuité, on a tous les ingrédients d’une réussite.

Comment expliquer le retour en force du tram, après qu’il a disparu complètement des villes il y a plusieurs décennies ?

Dans les années 60, les hommes politiques ont décidé de démonter les tramways. Ils n’étaient pas plus bêtes qu’aujourd’hui, mais ils avaient une autre vision. À la sortie de la guerre, le tramway était devenu un outil de transport public du passé. L’utopie était que tous les problèmes de mobilité seraient résolus à partir du moment où chaque Européen aurait sa propre voiture. L’essor de l’industrie automobile européenne et la construction des réseaux autoroutiers et des bretelles d’accès au centre-ville ont permis que l’automobile se développe très bien, mais au point où, dès les années 70 et 80, on a bien dû faire le constat que cette mobilité individuelle aboutissait à des embouteillages, et qu’il fallait peut-être à nouveau proposer des modes de transport collectifs plus efficaces au centre-ville, consommateurs d’espace. Dans cette perspective, le tramway est un outil assez fantastique, remis en place dans certaines villes européennes à partir des années 90.

Quels sont les principaux atouts du tram ?

Pour que ce mode de transport fonctionne bien, il faut qu’il soit sur un site propre, donc un site qui ne soit pas partagé avec la voiture, de manière à ce qu’il ne souffre d’aucun embouteillage et qu’il puisse assurer une belle vitesse commerciale. Sa forte capacité permet à un maximum de monde d’entrer jusqu’au cœur de la ville, alors que les bus et les réseaux de bus ont des capacités limitées. Ils sont englués souvent dans la circulation automobile.

Au Luxembourg, le chantier demeure titanesque. À quel horizon le tram pourra-t-il rouler vers la Cloche d’or en passant par la route d’Esch ?

Je crois qu’au mois d’octobre, nous aurons de bonnes nouvelles à annoncer. Nous sommes en train de travailler de manière intense avec nos bureaux d’études. Dans les toutes prochaines semaines pourront être annoncés des projets extrêmement ambitieux et importants.

L’autre grande entreprise est le tram rapide censé relier Luxembourg à Sanem, en passant par Esch-Belval. De nouvelles communes réclament un arrêt, tandis que d’autres réclament un tronçon à part. Le tram ne devient-il pas un peu victime de son succès?

Ce genre de demandes se gère de façon relativement structurée. Le Plan national de mobilité dit clairement les choses. Et nous avons cette chance que le réseau de tramway y soit très clairement mentionné et étudié. Grâce à ce document de planification à moyen et long terme, nous savons prendre les décisions localement en tenant compte du contexte général. C’est ça qui est important.

Partez-vous sur un sentiment de devoir accompli ou regrettez-vous de ne pas pouvoir achever les importants travaux en cours ?

Le regret de ne pas avoir dix ans de moins, je crois que tous ceux qui partent à la retraite le ressentent, surtout quand le travail exercé est intéressant, dans un environnement positif. Mais voilà, j’ai presque 64 ans et il est maintenant temps de faire confiance aux nouvelles générations. Je suis très heureux que Helge Dorstewitz puisse maintenant reprendre en charge tous ses projets. Quand je suis arrivé, il y avait pour 345 millions d’euros de projets dans les placards. Maintenant, il y en a pour un peu plus de 1,5 milliard d’euros. Quand je suis arrivé, on ne transportait personne. Aujourd’hui, on transporte 110 000 voyageurs par jour. Mais dans dix ou quinze ans, on en transportera près de 300 000. Donc, c ‘est une success story avec une croissance dynamique. Et tant qu’on aura le soutien des habitants, de nos clients, de la politique, cette aventure se poursuivra.

Repères

État civil. André von der Marck est né le 22 novembre 1960 à Strasbourg. Il possède la double nationalité française et luxembourgeoise.

Formation. Diplômé en architecture, André von der Marck travaille depuis plus de trente ans dans la direction d’équipes chargées de la réalisation de grands projets d’infrastructure et de développement urbain.

Strasbourg. Il intègre en 1992 la maîtrise d’ouvrage de la direction tramway de Strasbourg pour concevoir et réaliser le réseau de tramway de la communauté urbaine. Il prend ensuite la tête de la direction de la mobilité et des grands projets urbains de Strasbourg.

Nice. En 2009, il rejoint la métropole Nice Côte d’Azur et en devient le directeur des services techniques. Il propose une nouvelle conception dans le cadre d’un plan global de développement des transports collectifs niçois.

Luxembourg. Son parcours l’oriente vers le Luxembourg en 2014 où il prend la direction générale de la société Luxtram, chargée de la conception, la réalisation et l’exploitation de la nouvelle ligne de tram.

Un commentaire

  1. Du bon, de l’excellent travail!