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Abus de faiblesse : une jeune femme «hérite» de la fortune d’un octogénaire économe


«Ses voisins ont raconté qu’il utilisait la vitre d’un tambour de machine à laver comme saladier.» «Il ne s’est jamais rien offert de sa vie. Il était très économe, presque pingre.» (photo Sophie Kieffer)

Eva a «hérité» de la fortune d’un octogénaire radin. Flouée, la famille conteste et l’accuse d’abus de faiblesse. Mais Henri semblait savoir ce qu’il faisait quand il a transféré l’argent.

Petit à petit, Eva s’est immiscée dans la vie d’Henri, au point de tout régenter et d’atterrir sur son testament à son décès en juin 2015. La famille du vieil homme est ensuite allée de surprise en surprise. Non seulement, Eva aurait fait le vide dans sa vie, mais aussi sur son compte en banque. Près de 2,3 millions encaissés en bons de caisse au porteur – dont trois encaissés après son décès – lui ont notamment servi à acquérir une grande maison et deux appartements. La 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg cherche à comprendre si la victime était en pleine possession de ses moyens au moment des prélèvements. Deux expertises médicales se contredisent.

Le style de vie très frugal du vieil homme est en totale contradiction avec ces dépenses soudaines, selon un enquêteur de la police judiciaire. «Ses voisins ont raconté qu’il utilisait la vitre d’un tambour de machine à laver comme saladier», note-t-il. «Il ne s’est jamais rien offert de sa vie, portait des vêtements de seconde main et collectionnait les objets qu’il trouvait à la Superdreckskëscht. Il était très économe, presque pingre.» «Il recyclait tout et utilisait les choses jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus être réparées», a expliqué son neveu. «La seule chose neuve chez lui était la toiture de la grange. La commune l’avait obligé à la remplacer. La maison était dans l’état dans lequel mes grands-parents l’avaient laissée.»

La famille du vieux célibataire tombe des nues face aux sommes d’argent dépensées pour la jeune femme d’une cinquantaine d’années sa cadette. La maison a été achetée par Henri lui-même grâce aux revenus des bons au porteur. La jeune femme et ses enfants devaient s’y installer avec l’octogénaire. L’agent immobilier et le vendeur ont trouvé le couple étrange en raison de sa grande différence d’âge, mais Henri ne paraissait pas désorienté, selon les deux témoins. Il était faible physiquement, mais lucide. En janvier 2015, il est pourtant placé sous curatelle étant donné son état de santé déclinant à la suite d’une énième hospitalisation et en raison des suspicions du réseau Help à l’encontre d’Eva. «Elle devait s’en occuper, mais il a souvent été hospitalisé pour mauvais état de santé général», précise l’enquêteur.

Son frère, cet inconnu

Henri a-t-il été manipulé par Eva ? Le chef de l’agence bancaire d’Henri confirme que «le vieil homme était toujours seul lors de l’encaissement des bons» et demandait à ce que l’argent soit transféré sur le compte de la prévenue. «Nous lui avons demandé à plusieurs reprises si c’était sa décision», ajoute le témoin. «Il m’a toujours dit, même avant sa rencontre avec Eva, que celui qui s’occuperait de lui en dernier hériterait de son argent. Il savait parfaitement ce qu’il voulait.» Pour lui, c’était la volonté de l’octogénaire.

Une volonté que ne comprend pas son jeune frère. «Cela ne correspond pas au frère que j’ai connu pendant 77 ans», témoigne-t-il. «Déjà enfant, il était économe. Cela a empiré avec le temps. Il ne vivait que pour travailler et pour ses bons de caisse. Je ne comprends pas qu’il ait donné toute sa fortune à une inconnue.» Paul, 85 ans, pense que la prévenue a su trouver les mots pour parvenir à ses fins. «Mon frère était têtu, mais il aimait qu’on le caresse dans le sens du poil et qu’on lui donne raison», poursuit-il.

Pendant tout ce temps, les deux frères seraient restés en contact, malgré les affirmations de la défense qui tente de prouver le contraire. «Je me faisais du souci, mais c’était sa vie et je le respectais», indique-t-il avant de préciser que la jeune femme avait rompu le contact pendant son hospitalisation au centre de réhabilitation du château de Colpach. «Mon frère se sentait abandonné et il déprimait. Il ne savait pas où Eva se trouvait.»

Eva est réapparue à l’ouverture du testament et aurait fait quelques confidences au neveu d’Henri. Et notamment qu’elle menaçait de le quitter quand le vieil homme se montrait buté. «Je pensais que c’était une dame de compagnie, pas une potentielle héritière», assure le neveu. «Chez le notaire, elle nous a parlé des bons et de la maison.» C’est à cette occasion que la famille a appris qu’Henri avait modifié son testament en sa faveur.

Que s’est-il réellement passé entre octobre 2013 et le décès d’Henri ? Le vieil homme solitaire était-il sous emprise ou a-t-il choisi de donner son argent à Eva de bon cœur en échange de sa présence à ses côtés et de son aide alors qu’il savait sa santé déclinante ? La défense accuse la famille du défunt de manipulation et insinue qu’il était isolé. Elle aura la parole à la rentrée judiciaire prochaine. L’affaire a été remise contradictoirement aux 21 et 22 septembre prochains. Eva ainsi que les deux experts psychiatres seront à nouveau entendus par le tribunal.

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