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22 % de travailleurs pauvres à Luxembourg-Ville : la fracture sociale s’amplifie


Le salaire moyen des habitants de la Ville qui travaillent va de 660 euros par mois à plus de 9 000 euros.  (Photo : julien garroy)

Un rapport détaillé du Liser révèle l’ampleur des inégalités économiques et sociales dans la capitale, un pôle d’attractivité et de richesse qui compte aussi 22 % de travailleurs pauvres et des quartiers en proie à la précarité.

C’était un projet du collège échevinal pour la période 2017-2023 : cartographier le territoire de la Ville, selon une série d’indicateurs économiques et sociaux, afin de disposer de données détaillées sur la population et orienter ses décisions politiques en conséquence.

Pour cet exercice inédit et complexe, les élus ont sollicité le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser) dont les experts ont opéré un travail de fourmi, en recoupant des informations récoltées auprès d’une trentaine de structures, et en mobilisant des données inaccessibles pour la Ville.

En 200 pages, ce rapport, qui n’a pas encore été présenté aux élus du conseil communal (lire ci-contre), décrit Luxembourg comme un pôle d’attractivité et de richesse où se côtoient, parfois au sein du même quartier, les habitants les plus aisés et aussi les plus précaires. Si le salaire moyen des résidents ayant un emploi s’élève à 5 617 euros, 22 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 1 942 euros.

De grandes disparités de salaires

Et dans les faits, on est encore bien en deçà, puisque le salaire moyen de ces 11 243 travailleurs pauvres plafonne à 705 euros – quel que soit leur contrat – là où celui des autres est dix fois plus élevé : aux alentours de 7 000 euros.

À l’échelle des quartiers, c’est à la Gare, à Hamm/Pulvermühl, à Bonnevoie, Mühlenbach et Neudorf que le salaire moyen des personnes fragiles plonge au plus bas (660 euros), tandis que les habitants de la Ville-Haute encaissent chaque mois les revenus les plus élevés (9 087 euros).

La campagne électorale est lancée

Précipité, c’est le mot. Ce rapport, qui n’est pas encore finalisé et fait toujours l’objet de discussions en commission, n’aurait pas dû être publié ces jours-ci. Ce sont les attaques des conseillers déi Lénk, qui ont poussé le collège échevinal à prendre les devants, et à le mettre en ligne avant-hier. Six mois se sont écoulés entre sa livraison par le Liser à la bourgmestre et aux échevins, en avril dernier, et sa présentation à la commission de l’Action sociale, le 26 octobre : trop long, juge déi Lénk, qui y voit ni plus ni moins que la volonté de la majorité DP-CSV de mettre ces chiffres jugés embarrassants sous le tapis, et a dévoilé le document à la presse hier. Accusations balayées par Lydie Polfer, jointe au téléphone : «Nous avons nous-mêmes commandé cette étude, que nous avons reçue au printemps. Elle est maintenant entre les mains de la commission qui a décidé de poursuivre les échanges avec le Liser lors des prochaines sessions. Le rapport final sera présenté ensuite au conseil communal. C’est la procédure normale», souffle-t-elle, y voyant une tempête dans un verre d’eau. Pas de doute, la bataille des communales est lancée.

Globalement, c’est une capitale coupée en deux qui se dessine, avec les salaires moyens les plus bas (autour de 4 000 euros) concentrés à la Gare, à Bonnevoie, à Clausen et Hamm/Pulvermühl, et les plus hauts (entre 6 700 et 7 500 euros) dans la Ville-Haute, au Limpertsberg, à Belair et à Merl.

Au niveau des nationalités, le rapport détaille que ce sont les Allemands qui sont le mieux rémunérés (8 000 euros en moyenne), contrairement aux Portugais qui gagnent 1 900 euros.

3 % de logements sociaux : insuffisant pour le Liser

Avec un loyer moyen atteignant 1 613 euros sur le marché locatif, l’accès au logement est problématique pour de nombreux ménages et constitue un enjeu crucial pour la commune, qui a vu sa population gonfler de 62 % en vingt ans. La pression foncière s’est accentuée, tout comme le défi de la cohésion sociale, alors que plus de 70 % des habitants sont aujourd’hui de nationalité étrangère – 167 différentes.

L’institut, qui a épluché les données de onze bailleurs sociaux, estime que d’importants efforts doivent être faits en matière de logements sociaux, alors que les 1 697 unités qu’il a pu comptabiliser ne représentent que 3 % de l’ensemble des logements de la capitale, un taux bien en dessous de la moyenne européenne, à 9 %. C’est dans les quartiers du Kirchberg, de Bonnevoie-Sud, de Gasperich, du Grund et de la Gare que ces logements à moindre coût sont les plus nombreux.

14 % des étrangers sur les listes électorales

Et derrière ces inégalités sociales – qu’on ne découvre pas, mais qui sont détaillées pour la première fois – se cache une autre réalité, dont on n’a pas fini de parler, alors que la campagne pour les communales de 2023 débute à peine : seuls 29 % des habitants de Luxembourg sont inscrits pour voter, soit 36 404 personnes sur les 107 832 majeurs que compte la Ville.

Et parmi ces électeurs, le Liser n’a compté que 14 % d’étrangers, alors qu’ils représentent 70 % de la population totale. La question de la représentativité des élus communaux ainsi posée, l’enjeu du vote des résidents étrangers le 11 juin prochain n’a jamais été aussi crucial.

Le rapport «Observatoire social» est consultable en ligne sur vdl.lu, à la rubrique «Plans communaux sociaux».

Un rapport «peu flatteur pour la majorité»

Hier matin, face à la presse, les conseillers déi Lénk, Guy Foetz et Ana Correia Da Veiga, ont décoché les premières flèches de cette campagne pour les communales de 2023, avec la politique sociale de la majorité en ligne de mire. S’appuyant sur le rapport du Liser, «peu flatteur pour la majorité», ils ont pointé «l’imaginaire idéalisé Multiplicity de la Ville de Luxembourg», alors que les chiffres «font plutôt état d’une société éclatée au niveau de la répartition des revenus, du logement, de l’éducation et de la vie civile dans son ensemble», selon eux.

Pour les élus d’opposition, «le DP et le CSV construisent trop peu de logements sociaux, et pas assez rapidement. On devrait être à 10 % de l’ensemble du parc et on en est loin, à 2,5 % selon nos calculs – le rapport dit 3,2 % avec un calcul différent. Comparé à Trèves, c’est dix fois moins», plaident-ils.

Ils proposent notamment la création d’une société immobilière communale qui prendrait en charge la construction et la gestion de ces logements, ainsi qu’un soutien à la mise à disposition de terrains pour des coopératives de propriétaires, comme cela se fait beaucoup en Allemagne.

«Pour nous, il est également inacceptable que des terrains à bâtir publics soient vendus à des particuliers ou bloqués pendant des dizaines d’années à travers des baux emphytéotiques, favorisant principalement des personnes à hauts revenus», déplorent-ils, arguant que «des personnes aux revenus normaux ne peuvent plus acheter un logement à Luxembourg» et craignant l’émergence d’une «ville pour les riches».

Ana Correia Da Veiga dénonce un risque pour la cohésion sociale : «On ne peut pas laisser de côté certains quartiers comme la Gare, où il ne se passe rien au niveau culturel, sportif ou associatif. L’insécurité, dont on parle toujours, est la pointe de l’iceberg.» Pour la jeune conseillère, «ces quartiers sont surtout peuplés de gens qui ne votent pas, donc ils ne sont pas une priorité de la majorité».

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