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[Exposition] Gravures d’hier et luttes actuelles


(Photo : les 2 musées de la ville de luxembourg/julie wagener)

En invitant l’illustratrice Julie Wagener à piocher parmi cinq siècles d’estampes, la Villa Vauban porte un regard critique et décalé sur les urgences du monde actuel.

C’est la troisième fois que la Villa Vauban expose au public une partie de l’impressionnant ensemble d’estampes acquis en 2020 auprès de la famille d’un collectionneur privé de la Sarre. Après s’être intéressé à la représentation de la faune, en 2023, puis du paradis sous toutes ses formes (du paysage idéal aux expressions biblique et philosophique) à l’été-automne dernier, ce nouvel accrochage temporaire de la série «Villa on Paper», visible jusqu’au 16 mars, traite de la condition humaine, en prenant même, à travers des travaux originaux de Julie Wagener, des allures doucement militantes. Et pour cause : «The Things We Carry» explore les luttes et les dangers de notre époque à travers une imagerie nous renvoyant comme en écho les préoccupations des temps passés.

Pour créer l’exposition, la Villa Vauban a invité l’illustratrice luxembourgeoise de 34 ans à parcourir la nouvelle collection de quelque 1 300 gravures datant du XVe au XXe siècle – dans les archives numériques du musée d’abord, la plupart des œuvres sur papier faisant encore actuellement l’objet de travaux de recherche et de restauration. Elle en a choisi une vingtaine, qu’elle articule autour de thématiques aussi diverses qu’urgentes, et éminemment politiques. Ainsi, en s’appropriant cette collection qui fait la part belle aux spécialistes germaniques de la gravure – avec des œuvres signées Albrecht Dürer (1471-1528), Johann Sadeler (1550-1600), Johann Jakob Frey (1681-1752) ou Käthe Kollwitz (1867-1945) –, c’est un décalage du regard, voire une déconstruction des images, que Julie Wagener, muée en commissaire éphémère, veut effectuer.

Évocation critique du monde

Les scènes, pourtant, sont déjà pour la plupart éloquentes : il y a le chaos qui hante la Destruction de l’humanité par le déluge, de Johann Sadeler, tout comme la désolation du Paysage avec une ferme de Franz Edmund Weirotter (1733-1771), évoquent la catastrophe climatique en cours. Les quatre cavaliers de l’apocalypse illustrés par Hans Röhm (1877-1956) et suggérés par Andreas Gering (1892-1957) renvoient, eux, aux dévastations causées par les guerres, tandis que les chevaux décharnés du Néerlandais Nicolaes Visscher (1618-1679) et la Terre de Franconie de Rudolf Schiestl (1878-1931) font allusion à la domination de l’homme sur ses semblables et sur la nature.

C’est précisément parce que les images sont si parlantes qu’elles invoquent la liberté d’être interprétées et détournées, l’ensemble formant en définitive une évocation critique du monde. Ce que l’on retrouve par exemple dans le portrait d’Un cuisinier et sa femme d’Albrecht Dürer, les ventres pleins des personnages fonctionnant comme une allégorie de la surconsommation; en contrepoint, la Mendiante de Georg Ort (1888-1958), ou les saisissantes scènes de vies miséreuses signées Käthe Kollwitz jettent un regard puissant et tangible sur les effets de l’ultralibéralisme.

«Rien n’est sûr, sacré ou sain»

Aux estampes qu’elle a sélectionnées, Julie Wagener enrichit et complète le discours avec une série de cinq sérigraphies réalisées à l’occasion de l’exposition, reprenant au passage son titre. L’illustration centrale, qui représente deux personnages dont la tête est remplacée par des flammes, assène que «rien n’est sûr, sacré ou sain». Les angoisses générationnelles liées au capitalisme surpuissant (culte de l’argent, appauvrissement programmé des populations, montée des extrêmes droites, exploitation exponentielle des ressources, rejet de la culture indépendante et engagée au profit d’une culture préfabriquée…) sont déclinés en autant de motifs qui composent ses œuvres originales, comme une réinterprétation, usant d’un langage pictural contemporain, de ce que peuvent évoquer cinq siècles d’art.

On peut imaginer, comme ultime miroir, que l’illustratrice, voire le musée lui-même, deviennent des symboles à l’intérieur même de certaines de ces œuvres, telle Tentation, sublime lithographie expressionniste et menaçante d’Heinrich Kuch (1893-1976), ou Les Artistes d’Adolf Schinnerer (1876-1949), représentant un funambule divertissant une foule au péril de sa vie. Dans les deux cas, on y voit une parabole de ce qui était déjà, au moment de leur réalisation – les années 1920 –, le danger des nouveaux populismes. Et si une idée ressort de ce voyage subjectif et troublant à travers cinq siècles d’art et de luttes, c’est bien que l’histoire semble se répéter.

Jusqu’au 16 mars. Villa Vauban – Luxembourg.