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[Critique série] Kaos : les dieux sont tombés sur la tête


Retrouvez la critique série de la semaine.

De tout temps, le cinéma s’est entiché de la mythologie grecque, source inépuisable d’histoires d’amour, de pouvoir et de violence. On pourrait citer, par exemple, Clash of the Titans (1981), qui a marqué les mémoires avec ses effets spéciaux certes poussifs mais surprenants pour l’époque – au point d’avoir eu droit à deux remakes dans les années 2010.

Mais aussi les aventures du demi-dieu Percy Jackson, coqueluche des adolescents, ou l’obsession pour les légendes divines de Neil Gaiman, scénariste pour la série American Gods et aux manettes de l’adaptation pour le petit écran de son roman coécrit avec Terry Pratchett, Good Omens. À cette liste, à peine effleurée, s’ajoute désormais Charlie Covell, auteure qui aime l’humour absurde et bien noir, à l’instar de son précédent fait d’armes, The End of the F***ing World.

Avec Kaos, il est aussi question de fin de monde et de tendance prononcée à la psychopathie, mais plus dans le ciel que sur Terre. Au centre des préoccupations, en effet, le roi des dieux, Zeus. Rien que ça ! Fidèle à une prophétie qui lui tourne en tête, il ne semble plus prendre le même plaisir à tourmenter les humains et à insuffler la peur depuis le mont Olympe.

C’est qu’il vient de se découvrir une ride sur le front, signe selon lui d’un mauvais présage, voire pire, d’un chaos à venir qui mettrait en péril sa propre toute-puissance. Pourtant, plus bas, à Heraclion City, le peuple lui est toujours fidèle. Car être loyal, obéissant et reconnaissant envers les divinités, c’est s’assurer une renaissance éternelle. Mais la colère gronde, et pas seulement chez les Troyens, peuple opprimé : d’autres mortels montent à leur tour au créneau pour les «défier».

Prométhée, seul ami de Zeus mais condamné par celui-ci à se faire dévorer le foie par un aigle, l’a sévère et imagine un complot pour faire tomber ce «connard» vaniteux et dictatorial. Il y implique trois humains : Eurydice, alias «Riddy», compagne de la star pop Orphée aux chansons mielleuses; Cénée, qui travaille aux Enfers et Ariane, fille de Minos, roi de Crète.

À l’image, leurs destins vont se mêler au quotidien de l’Olympe, sorte de grande villa californienne tape-à-l’œil où l’on boit beaucoup d’eau et l’on subit les humeurs du chef. Personne n’est à l’abri : ni son fils Dionysos, ni sa femme Héra, ni son frère Poséidon. Dans les profondeurs des limbes, filmés en noir et blanc et aux airs de grande administration, le GRH Hadès, fatigué par toutes ces âmes à gérer, n’est pas non plus au mieux. Quelque chose cloche dans le royaume des dieux…

«Pourquoi toutes ces légendes?», questionne alors Perséphone, déesse du monde souterrain, à la fin de la série. Mais pour s’en amuser, lui répondrait sûrement Charlie Covell, qui prend ici un malin plaisir à écorner la mythologie. Si on retrouve certaines illustres figures (Charon, Méduse, les Moires, le Minotaure…), toutes ne sont pas à leurs avantages : Zeus se balade en survêtement et dégomme ses serviteurs déguisés en ramasseurs de balles, Poséidon ne pense qu’à se pavaner sur son yacht (et ne mange que du poisson!), les furies se déplacent à moto et si le cerbère a bien trois têtes, il n’est qu’un chien inoffensif. Personnage central (et voix off), Prométhée, lui, ne quitte jamais son short rouge de football, dégaine qui lui aurait assuré une place de choix dans un film des Monty Python. Et pour descendre aux Enfers, Orphée doit gagner un quiz organisé dans un bar…

Récit choral, Kaos tient d’abord à la performance de ses fantasques incarnations, Jeff Goldblum en tête qui, au fil des épisodes, lâche prise pour finir en roue libre, agacé par cette maxime qu’il n’arrive pas à déchiffrer («Une ligne apparaît, l’ordre disparaît, la famille saigne et le chaos règne»). Mais attention, derrière l’irrévérence et la parodie, la série à des choses à dire, notamment sur le pouvoir, dans une comparaison évidente aux politiques d’aujourd’hui, tous autant hors sol.

D’autres réflexions, comme sur l’identité, la religion ou les inégalités sociales (celles touchant les Troyens, citoyens de seconde zone) montrent toute la finesse d’une production qui sait, à certains moments, être cruelle (on est dans la tragédie grecque, non?) ou fine, surtout quand elle glisse quelques clins d’œil pour les connaisseurs de ces mythes antiques. Sur une bande-son aux petits oignons, la série, et son dénouement ouvert, donnent rendez-vous pour une seconde saison. Et ça, pas besoin d’une prophétie pour le deviner.

Une ligne apparaît, l’ordre disparaît, la famille saigne et le chaos règne

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