Tout juste à la retraite, l’ancien directeur de l’Institut viti-vinicole, Roby Ley, revient sur les évolutions récentes de la Moselle et les enjeux qu’elle va devoir affronter. L’optimisme est de mise, même s’il y aura aussi des défis à relever.
Vous trouverez ici la seconde partie d’un entretien qui a débuté dans l’édition de mercredi dernier.
Le premier volet est disponible juste ici : Roby Ley : «Nous savons bien faire les vins, moins les vendre»
La nouvelle génération
Ils sont arrivés dans une grande vague ! Ces dernières années, beaucoup de jeunes vignerons et de jeunes vigneronnes se sont installés à la tête de l’entreprise familiale. Un phénomène très visible chez les indépendants, mais pas seulement. Et cette génération n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Elle ne veut pas simplement poursuivre le travail de ses parents, mais apporte souvent une nouvelle vision de la viticulture, plus innovatrice et résolument portée vers la recherche sincère de la plus haute qualité.
«Ma génération avait déjà connu un épisode comparable, avec l’arrivée de producteurs qui avaient fait leurs études à l’étranger et qui avaient transposé ces nouveaux savoirs dans leurs caves, se souvient Roby Ley. Ce qui est intéressant et très enthousiasmant, c’est que les jeunes s’identifient à leurs vins, qu’ils en sont fiers et ont embrassé leur profession avec beaucoup de motivation et d’envie. Grâce à eux, aujourd’hui, les vins mosellans changent plus rapidement que jamais.»
Le dynamisme de ce secteur est indéniable et tous ceux qui ne consomment plus de vins luxembourgeois depuis 20 ans seraient très surpris s’ils y trempaient à nouveau leurs lèvres. «Il est de plus en plus intéressant de déguster les vins luxembourgeois, il y a une telle diversité! Avant, c’était beaucoup plus monotone.»
Qui plus est, ces jeunes vignerons sont souvent de jeunes vigneronnes et cela veut dire beaucoup de choses. «Il aura fallu attendre cette ouverture longtemps… mais elle est très intéressante. C’est une richesse pour la Moselle, car ces femmes apportent une nouvelle vision. Je constate d’ailleurs qu’elles ont toutes suivi de brillantes études, elles sont fréquemment plus diplômées que les hommes!»
Enfin, le bio décolle
Cela fait partie des changements de paradigmes apportés par la nouvelle génération : le bio a connu en quelques années un essor inédit sur la Moselle. Ce n’est qu’en 2000 que le premier domaine s’est converti au bio (Sunnen-Hoffmann). En 2013, sur les 1 300 hectares plantés au Grand-Duché, seuls 24 étaient cultivés en bio. Dix ans plus tard, on en compte déjà 63,7. Si l’on ajoute les surfaces en conversion (il faut attendre trois ans avant d’obtenir le label), on arrive à 172 hectares aujourd’hui, soit 13,2 % de l’ensemble du vignoble.
«Le vin n’est pas un produit alimentaire, c’est un produit de plaisir, fait remarquer Roby Ley. Beaucoup de consommateurs accordent de l’importance au fait que le vin soit bio et qu’il respecte l’environnement. Cela explique sûrement pourquoi la hausse du bio est plus rapide dans la viticulture que dans les autres secteurs de l’agriculture.»
Et la tendance ne devrait pas baisser. Aucun domaine en conversion n’a cédé cette année, alors que la météo a été épouvantable et que la pression des maladies était forte. «Mais l’année a été très difficile pour tout le monde et il n’était pas rare de voir des parcelles bios qui étaient bien plus saines que leurs voisines, cultivées en conventionnel. Alors si un domaine comme le Clos des Rochers, qui a décidé de travailler en bio sans rechercher le label, se décide à franchir le pas avec sa quarantaine d’hectares, cela se ressentira dans les chiffres.»
Une identité luxembourgeoise en danger ?
Pas question de lancer ici un débat d’arrière-garde, mais plutôt de se demander si la nouveauté doit sonner le glas de l’ancien temps. Ces dernières années, les vignerons plantent beaucoup de cépages internationaux. Principalement des bourguignons (chardonnay et pinot noir), mais aussi des bordelais (merlot) et ces fameux cépages interspécifiques résistants aux maladies. Forcément, cela se fait aux dépens de variétés plus traditionnelles, qui sont arrachées.
«Le chardonnay n’est pas un nouveau cépage, fait remarquer Roby Ley. On le plantait il y a plus d’un siècle, mais les rendements étaient tellement aléatoires qu’on l’a remplacé par des cépages moins exigeants, à la production plus stable d’une année sur l’autre. Le rivaner et l’elbling ont en grande partie disparu, c’est vrai, mais au profit de cépages bourguignons qui sont majoritairement utilisés pour faire le crémant, un produit qui est devenu identitaire au Luxembourg. Le réchauffement climatique offre de nouvelles opportunités et il faut les saisir. Les pinots noirs, par exemple, commencent à devenir très bons. Pourquoi s’en priver?»
L’œnotourisme toujours à la traîne
Il cartonne dans les vignobles du monde entier, accueillant des visiteurs en quête de bons produits et de nouvelles expériences terre à terre. Et pourtant, au Luxembourg, il ne se passe rien. Ou presque. Certes, la Wäinhaus, le musée du Vin, se reconstruit. Mais il se trouve dans l’un des plus petits villages de la Moselle et son nom ne parlera pas facilement à la clientèle autre que germanophone. Sans compter qu’il aura fallu plus de 15 ans de palabres avant d’enfin lancer les travaux.
Les pouvoirs publics ne sont pas les seuls responsables de cette apathie puisque force est de constater qu’aucun vigneron ne propose de logements touristiques au sein de son domaine. Ce type de vacances est pourtant plébiscité partout ailleurs.
«C’est vrai, nous manquons d’infrastructures touristiques et le manque d’hôtels est un grand problème, reconnaît Roby Ley. Il en existe plus de l’autre côté de la Moselle, en Allemagne. Pourtant, ceux qui sont là et qui sont dynamiques se portent bien, comme L’Écluse à Stadtbredimus. Les vignerons devraient davantage coopérer avec les hôtels de Mondorf ou de la Ville pour compenser cette carence. Il faudrait aussi inciter les résidents luxembourgeois à venir ici. Et là, nous manquons également de bons restaurants. Pas forcément d’étoilés — même si ce serait une excellente nouvelle d’en avoir à nouveau —, mais aussi de bonnes brasseries avec de bons produits et de bons vins locaux. Elles ne sont pas si nombreuses…»
La Moselle, dans 20 ans…
L’exercice de projection dans le futur n’est jamais simple, mais Roby Ley s’y attelle. «Tout d’abord, je pense qu’il n’y a pas d’autre issue pour nous que la qualité. Il n’y a pas d’autre choix que de suivre cette voie.»
Le réchauffement climatique est bien sûr un important paramètre et l’ancien directeur de l’Institut viti-vinicole n’y voit pas qu’une opportunité pour la filière : «Au Luxembourg, nous aurons toujours des taux de précipitations élevés et avec la hausse des températures, cela pourrait avoir des conséquences néfastes. Notamment la prolifération des maladies. Maintenant, tout va bien, mais nous pourrions aussi avoir de sérieux problèmes…».
Roby Ley ne pense pas que la surface viticole augmentera sensiblement, il voit cependant la viticulture se développer en dehors de la Moselle. «Nous avons déjà quelques parcelles dans le nord, du côté de Vianden. C’est un phénomène intéressant car les sols sont différents de ceux de la Moselle. Et ce ne serait qu’un retour de l’Histoire, puisque dans le passé, il y avait des vignes presque partout dans le pays !»