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[Littérature] Julian Barnes refait l’histoire


Livre des amours manqués, de l’amour indicible, Elizabeth Finch est un roman aussi impressionniste qu’exigeant, quasi pointilliste. (Photo : marzena pogorzaly)

Grand admirateur de Gustave Flaubert, Julian Barnes signe avec Elizabeth Finch l’un de ses meilleurs romans, un texte qui peut mener à la liberté et au bonheur.

Une entrée en matière d’une limpidité éblouissante. Pas d’effets de manche (ou de plume) comme on a pu en voir et lire dans de récents romans fragmentés. Là, on lit : «Elle se tenait devant nous, sans notes, livres, ni trac. Le pupitre était occupé par son sac à main. Elle laissa errer son regard sur nous, sourit, immobile, et commença. « Vous aurez remarqué que le titre de ce cours est Culture et Civilisation. Ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas vous bombarder de graphiques et de diagrammes. Je ne vais pas essayer de vous gaver de faits comme on gave une oie de maïs… »»

La femme, la cinquantaine, est professeure de culture et de civilisation. À l’auditoire, elle dit aussi : «Je m’adresserai aux adultes que vous êtes sans nul doute. La meilleure forme d’éducation, comme les Grecs le savaient, est collaborative. Nous pratiquerons donc le dialogue… Mon nom est Elizabeth Finch. Merci» Elle est, aussi, le personnage principal, central du nouveau roman du Britannique Julian Barnes. Lequel, en 200 pages bien serrées et trois mouvements-chapitres, nous éblouit de son art narratif. À vrai dire, ce n’est pas une surprise – il suffit, auparavant, d’avoir lu Le Perroquet de Flaubert (1996), Une fille, qui danse (2013) ou encore L’Homme en rouge (2020) pour s’en convaincre.

Un texte qui se mérite

Certains vont crier qu’Elizabeth Finch est un roman décousu et prétentieux, empli de références culturelles. Qu’ils passent leur chemin, un texte de Julian Barnes se mérite! Tout comme l’amitié ou l’amour d’Elizabeth Rachel Jane Finch, comme l’explique Neil, le narrateur. Il a 30 ans, est comédien de télé et de doublage, et «roi des projets inachevés». Il a vingt ans de moins qu’Elizabeth, une femme polyandre. Deux ou trois fois par an, tous deux se retrouvent dans un restaurant italien de l’Ouest londonien – Neil qualifie ce moment de «radieux». N’ose avouer qu’elle l’intimide et qu’il aimerait tant lui plaire. Encore Neil pour évoquer cette relation : il éprouvait pour la mystérieuse et secrète Elizabeth Finch un «amour romantico-stoïque». Mais elle mourra d’un cancer.

Avant de partir, Elizabeth Finch a légué à Neil ses papiers, dans lesquels le jeune homme découvre la passion intellectuelle de la professeure défunte pour Julien l’Apostat. Neil envisage d’écrire la biographie de la professeure à la vie traversée de zones d’ombre; finalement, il va grandement s’intéresser à ce Julien qui fascinait Elizabeth F. La légende assure que ce dernier (331-363 de notre ère) aurait pu changer le cours de l’Histoire, lui Julien II l’empereur romain pendant vingt mois (361-363).

Grand admirateur de Flaubert, Julian Barnes signe là l’un de ses meilleurs romans

Né Flavius Claudius Julianus (331 ou 332-363), surnommé également Julien le Philosophe, il s’élevait contre le christianisme sectaire dans son texte Contre les Galiléens et ambitionnait le rétablissement du polythéisme – ce fut en vain. Parmi ses leçons, il répétait : «Connais ton ennemi». Et Neil de noter que, fidèle aux préceptes de Julien l’Apostat, l’enseignante dédaignant d’utiliser le préfixe «mono», qui lui faisait horreur : monothéisme, monogamie, monotonie… «Rien de bon ne commence par cette façon». Au quotidien, Elizabeth Finch mettait en opposition, d’une part, les dieux grecs et romains «de lumière et de joie» et le Dieu des chrétiens, lui «de ténèbres, de souffrance et de servitude».

Livre des amours manqués, de l’amour indicible, Elizabeth Finch est un roman aussi impressionniste qu’exigeant, quasi pointilliste. Pour certains, ce nouveau livre de l’auteur britannique paraîtra désincarné – parce que, plus qu’au corps, il s’adresse principalement à l’esprit? Grand admirateur de Gustave Flaubert qu’il tient pour un de ses maîtres en écriture, Julian Barnes signe là l’un de ses meilleurs romans, un texte qui peut mener à la liberté et au bonheur. Qu’on se le dise!

Julian Barnes, Elizabeth Finch. Mercure de France