Avec son association Lëtz Art, Uyi Nosa-Odia défend un art social, que ce soit en soutenant des artistes ou en lançant des projets éclairant certains aspects de notre société.
C’est dans la galerie d’art contemporain de Raphaël Gindt et Daniel Mac Lloyd, la Kamellebuttek à Esch-sur-Alzette, que nous retrouvons Uyi Nosa-Odia, un artiste aux mille projets originaire du Nigeria. Il y expose actuellement l’une de ses dernières collaborations, «Tableaux de fusion», série d’œuvres nées de la fusion des travaux de plusieurs artistes, dans le cadre d’Esch 2022. Un projet qualifié par lui de «social», puisqu’il réunit des personnes et des cultures très différentes.
Or pour Uyi Nosa-Odia, l’aspect social de l’art est essentiel. Au point qu’il a décidé de fonder l’ASBL Lëtz Art en 2019, une association qui soutient les artistes en leur apportant les moyens d’être exposés, mais qui aide aussi les personnes en souffrance à s’exprimer à travers l’art dans des projets d’envergure. Une manière d’utiliser l’art pour lutter contre les défis sociaux du pays (violence domestique, inégalités entre les sexes, racisme…), d’y sensibiliser le public et de donner une voix aux victimes. Le tout pour «favoriser la coexistence pacifique dans la société».
Fournir des moyens financiers
«Au Luxembourg, nous avons les infrastructures pour un art commercial, mais pas pour un art social», explique Uyi Nosa-Odia. «Pour moi, l’art social est un art qui a pour but de mettre en lumière un aspect de notre société, de ses vices. Parfois pour favoriser la prise de conscience, d’autres fois en réponse directe à un événement survenu. Le problème, c’est que les galeries sont frileuses à l’idée d’exposer des œuvres à caractère social, car elles cherchent avant tout des œuvres qui rapportent de l’argent, ce qui est compréhensible. Sauf que, quand le but n’est pas financier, c’est difficile pour un artiste d’être exposé. Cette organisation a donc pour but d’aider les artistes à créer et à être exposés en leur fournissant notamment des moyens financiers.»
L’argent, éternel nerf de la guerre. Avant chacun de ses projets, Uyi Nosa-Odia s’assure donc d’obtenir le financement nécessaire, de sorte que les artistes n’aient pas à avancer l’argent de leurs travaux, qu’ils puissent vivre pendant la création. Il étudie aussi régulièrement les propositions envoyées directement par les artistes, pour voir s’il peut les aider.
Nouveau départ au Luxembourg
Uyi Nosa-Odia est originaire du Nigeria, plus précisément de Benin City, ville célèbre pour son artisanat d’art. Rien d’étonnant donc à ce qu’il décide très tôt de suivre une formation en art, lui qui baigne dans cet univers depuis toujours. «Je ne sais pas à quel moment précis j’ai décidé de devenir un artiste. De là où je viens, l’art est quelque chose de très courant. Mes parents ont aussi une sensibilité artistique. C’est en moi depuis toujours.» Peintre et sculpteur, il assure ses arrières en travaillant dans l’informatique.
En 2015, après avoir survécu à une attaque armée pour des motifs politiques, il décide de quitter son pays. Direction la Russie, où il séjournera plus d’un an, puis l’Allemagne et enfin le Luxembourg, où il arrive il y a cinq ans. «Je voulais un nouveau départ, dans un endroit où je ne connaissais personne, dans un pays que les gens ne connaissent pas forcément et où je pourrais repartir de zéro, en sécurité.»
Au Grand-Duché, il continue de combiner une vie d’auto-entrepreneur (il est consultant en informatique la moitié de la semaine) et d’artiste. L’art, sa bouffée d’oxygène. Il n’arrête jamais et compte déjà plusieurs expositions personnelles au Luxembourg à son actif.
Contre la violence domestique
Face à l’augmentation du nombre de cas de violence domestique au Luxembourg, l’ASBL Lëtz Art s’apprête à lancer le projet «Ugegraff» (littéralement «Agressé»). Une quarantaine d’œuvres d’art seront exposées, qui serviront à représenter les victimes de violence conjugale. Le public sera invité à briser ces œuvres, leur faisant subir le processus d’abus et de traitement violent, avant de les reconstituer au moyen d’outils simples : colle, couture, etc., de sorte que les cicatrices demeurent visibles.
«Ces œuvres, avec leurs cicatrices, seront ensuite exposées», explique Uyi Nosa-Odia. «C’est une façon de représenter le processus dans lequel se retrouvent les victimes de violence : vont-elles rester les mêmes après toute cette violence? Les œuvres sont-elles plus belles ou moins belles qu’avant? Ce n’est pas à moi d’y répondre, il faut regarder les œuvres.»
Pendant l’exposition, des séances de discussion et des événements sur le thème de la violence domestique seront organisés dans le lieu de l’exposition par des organisations impliquées dans la lutte contre la maltraitance au Luxembourg. Un moyen d’aider autant les victimes que les auteurs à trouver de l’aide et de démystifier ce sujet tabou de la violence domestique.
Plusieurs centaines de personnes pourraient être amenées à participer à ce projet, en fonction du lieu d’exposition. «Je suis encore à la recherche d’un endroit. Nous adapterons bien sûr le nombre de participants en fonction du lieu», précise Uyi Nosa-Odia, qui espère voir le projet se concrétiser «d’ici un an».