Dans la Meuse, un cimetière de regroupement, où étaient acheminés les corps de soldats morts pendant la Première Guerre mondiale avant de rejoindre leur dernière sépulture, a été mis au jour à Spincourt : une découverte inédite en France.
Agenouillé dans une boue collante, Frédéric Adam, archéo-anthropologue à l’Institut national d’archéologie préventive (Inrap) et responsable de la fouille, explore précautionneusement un cercueil en bois, rempli d’eau à cause des pluies. Il retire de la glaise par poignées pour dégager un crâne de couleur brunâtre, percé de deux trous. « Une balle de fusil probablement, les éclats d’obus font des fissurations en étoile », avance-t-il, avant de remplir une caisse d’ossements : clavicule, péroné, bassin, vertèbre lombaire, radius… Et douze mandibules, alors que le cercueil ne renfermait que quatre crânes.
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— Inrap (@Inrap) 1 décembre 2017
C’est au hasard d’un projet de construction sur une ancienne parcelle agricole que cet ancien cimetière militaire a été mis au jour début 2017. Le terrain étant situé dans la zone rouge – lieux potentiellement dotés de vestiges de la guerre -, un diagnostic a été prescrit par la Direction régionale des affaires culturelles. Les pelles mécaniques ont rapidement révélé les secrets du sous-sol : une première boîte, longue de 90 cm et large de 40 cm, contenait « une grosse poignée d’ossements humains et des boutons », une deuxième était « pleine de son défunt avec des morceaux d’uniforme », raconte Frédéric Adam.
Les archives militaires ont révélé l’existence de ce cimetière provisoire, où étaient acheminés de 1919 à 1924 les soldats français et alliés morts dans les champs ou les bois alentour avant d’être rendus aux familles ou transférés vers la nécropole de Pierrepont (près de Longuyon). A l’époque, il fallait rapidement rendre hommage aux défunts soldats, restituer les terres aux agriculteurs et relancer l’économie du pays. D’après le registre, 864 personnes réparties dans 617 sépultures reposent dans ce cimetière de 2 000 m². Quelque 200 cercueils sont inaccessibles, enfouis sous la route et les remblais d’une construction.
« On est vraiment dans l’humain »
« Un cimetière d’après-guerre qui fait le lien entre les champs de bataille et la nécropole, c’est la première fois qu’on en découvre un », s’enthousiasme Frédéric Adam. De nombreux effets personnels – canifs, gourdes, monnaie, crayons, chapelets -, ainsi que des morceaux d’outils appartenant aux entreprises chargées du travail funéraire, ont été déterrés. « Tous ces éléments nous apportent beaucoup d’indications sur le travail des fossoyeurs, comment ils ont traité cette masse d’ossements incroyable, et permettront de faire des observations sur cette période qui n’ont encore jamais été faites », explique le scientifique.
Quatre à neuf personnes exhument les restes de soldats, depuis le 6 novembre et jusqu’au 14 décembre, dans des conditions climatiques rendues difficiles par la bise glaciale et les pluies. « On est vraiment dans l’humain, on arrive à savoir de quoi ils sont morts, à les identifier, à remonter le fil », souligne l’archéo-anthropologue en glissant un brodequin dans un sac. Les chaussures sont riches d’enseignements sur leurs propriétaires. Les brodequins réglementaires étaient portés par les soldats d’actif, les souliers civils par les réservistes.
Restitution aux familles
Un des 400 rectangles de bois exhumés contenait les trois-quarts d’un soldat français, enveloppé dans une toile allemande. Une inscription en lettres dorées indique qu’il s’agit peut-être de Louis-Stanislas Chaumont, soldat du 330e régiment d’infanterie, mort à 30 ans le 24 août 1914 lors de la bataille de Spincourt. Dans ses affaires, un objet ressemblant à un crayon à encre solide presque intact. « Il faut prouver que c’est bien lui » en confrontant les constatations morphologiques au registre militaire, précise le responsable de la fouille.
Les ossements sont transférés au laboratoire de l’Inrap à Metz où les squelettes seront reconstitués. Une fiche biologique sera établie pour chaque individu avec son âge supposé, sa stature, les traces éventuelles de pathologies traumatiques ou d’infections, puis comparée avec les archives militaires pour établir l’identité de la dépouille. Les corps seront ensuite restitués aux familles ou rejoindront la nécropole de Pierrepont, où reposent déjà 3 758 combattants des deux guerres. Près de 650 000 soldats morts au front pendant la Grande Guerre sont toujours portés disparus.
Le Quotidien/AFP