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Les « fixeurs », « anges gardiens » des reporters de guerre


Le fixeur Bakhtiyar Haddad à droite.

Ce sont eux qui prennent le plus de risque mais ils ne signent jamais les reportages: les fixeurs, ces traducteurs et guides sur lesquels s’appuient les reporters occidentaux, acteurs clé du journalisme de guerre, sont à l’honneur à l’occasion du 24e Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre.

« On ne signe jamais nos papiers avec leur nom, mais on devrait car sans fixeur il n’y aurait pas de sujet. On se ferait buter au premier feu rouge », explique Édith Bouvier, grand reporter indépendante interrogée lors de l’installation à Bayeux d’une exposition sur Bakhtiyar Haddad, Kurde irakien de 41 ans, « perle des fixeurs », tué en juin à Mossoul.

La mine dont il a été victime a également coûté la vie au journaliste français Stephan Villeneuve et à la consoeur suisse Véronique Robert, qui préparaient un reportage pour Envoyé spécial.

« Si jamais le reportage déplaît, c’est eux qui sont mis en danger. C’est facile pour nous d’aller prendre des risques pendant 15 jours, de dénoncer la corruption. C’est pas la nôtre, ça nous fait pas prendre de risque pour notre vie ici. On prend l’avion et on revient dans un quotidien à peu près normal. Eux, ils restent dans leur pays en ruine », poursuit la reporter qui a travaillé en Irak pour plusieurs grands médias français.

Et « dans les endroits où la démocratie n’est pas vraiment imposée, les règlements de compte sont parfois mafieux », renchérit Jean-Pierre Canet, ex-rédacteur en chef d’Envoyé spécial, qui a couvert l’Irak pour de grandes chaînes françaises.

Bakhtiyar Haddad en savait quelque chose, lui qui a dû passer un an à la Maison des journalistes à Paris après un reportage de Corentin Fleury pour Envoyé Spécial, fin 2007, prouvant les exactions de certains combattants kurdes contre des populations chiites irakiennes, souligne Étienne Huver, autre grand reporter qui a travaillé en Irak, présent aussi à Bayeux.

‘rôle clé’

En 2004, après un reportage de Corentin Fleury pour Le Monde 2, dans Falloujah tenu par les insurgés irakiens et les hommes d’Al-Qaïda, « l’ange gardien » des reporters français doit passer « quasi un mois » dans les geôles des Américains qui le soupçonnent à tort d’être proche des djihadistes, précise M. Huver.

« Bakhtiyar a passé quelques années en France enfant, son père, un intellectuel, y poursuivant des études. Il avait viscéralement en lui l’indépendance, le journalisme comme contre pouvoir », souligne M. Canet. « Sans fixeur, ce serait un journalisme aveugle, on ne comprendrait pas bien la situation, et pas qu’au Moyen-Orient », confirme le journaliste.

Bakhtiyar Haddad, par exemple, parlait le français, l’arabe, un dialecte kurde, comprenait un second dialecte kurde, et se débrouillait en anglais, souligne Étienne Huver. « Les fixeurs jouent un rôle clé pour savoir où est le danger, établir des relations avec les sources locales », résume Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontière (RSF), interrogé par l’AFP.

L’ONG, qui vient de mettre en place un recensement des violences dont sont victimes les fixeurs, va mettre en avant leur rôle, jeudi à Bayeux lors de la cérémonie qui rend annuellement hommage aux reporters décédés dans l’exercice de leur fonction.

Tous les fixeurs n’ont certes pas les qualités d’un Bakhtiyar Haddad qui savait repérer aussi bien les sujets que les drones, faire preuve de la « décontraction » nécessaire pour « se mettre n’importe qui dans la poche y compris le plus réfractaire des responsables militaires » tout en restant « hyperconcentré », à l’affût des dangers, comme le raconte Jean-Pierre Canet, qui a travaillé avec lui en Irak.

« Il y a eu des cas de fixeurs véreux impliqués dans des prises d’otage », ajoute Christophe Deloire. « Bakhtiyar était la Rolls des fixeurs. Sa disparition va forcément nous pénaliser mais il y a heureusement plein d’autres fixeurs », assure Édith Bouvier. En Irak, un fixeur est payé entre 200 et 1.000 dollars la journée, précise la journaliste.

L’exposition « Bakhtiyar Haddad, 15 ans de guerre en Irak », ouverte lundi, se tient jusqu’au 29 octobre.

Le Quotidien / AFP