L’ancien préposé de l’administration fiscale est cité à comparaître par la défense au procès en appel.
L’audition de Marius Kohl doit permettre de déterminer si les rulings qu’il validait au profit de multinationales respectaient le cadre légal. En première instance, le fonctionnaire à la retraite avait produit un certificat médical le dispensant de répondre à la convocation du tribunal.
Les défenses de Raphaël Halet et d’Edouard Perrin ont cité Marius Kohl à comparaître comme témoin devant la Cour d’appel de Luxembourg le lundi 12 décembre, jour où s’ouvrira le procès en appel de l’affaire LuxLeaks.
La citation à comparaître doit lui être remise ce vendredi par voie d’huissier. Déjà convoqué comme témoin par la défense lors du procès en première instance, au printemps dernier, Marius Kohl avait produit un certificat médical le dispensant de se présenter à la barre.
Le haut fonctionnaire du fisc luxembourgeois, en retraite depuis octobre 2013, n’avait pas non plus donné suite aux deux «invitations» à venir témoigner que lui avait adressées la commission TAXE du Parlement européen, constituée dans la foulée de l’affaire LuxLeaks. Bien qu’il soit un témoin clé de cette affaire, la justice luxembourgeoise ne l’a jamais entendu au cours de l’enquête qui a abouti au procès.
Pas d’investigation sérieuse
Unique préposé au bureau Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, Marius Kohl avait validé seul des milliers de rulings au cours de sa carrière. Ces accords fiscaux anticipés ont permis des années durant à des centaines de multinationales de contourner le fisc dans les pays dans lesquels elles réalisaient leurs bénéfices. Grâce à ces montages parfois très sophistiqués, des entreprises comme Amazon, Apple, IKEA ou Engie ont économisé des milliards d’euros d’impôts au détriment de dizaines de pays.
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C’est pour avoir révélé ces pratiques que deux anciens salariés de PWC Luxembourg, Antoine Deltour et Raphaël Halet, et le journaliste Édouard Perrin sont poursuivis. L’affaire LuxLeaks avait éclaté le 5 novembre 2014 quand le Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ) et une quarantaine de médias dans le monde avaient rendu publics quelque 500 rulings. L’écrasante majorité de ces documents, constitués de milliers de pages, provenaient du cabinet PWC Luxembourg, mandaté par des multinationales pour négocier des accords fiscaux avec l’administration luxembourgeoise.
Par-delà sa dimension morale, l’une des interrogations centrales soulevées par l’affaire porte sur la légalité des rulings. Le gouvernement luxembourgeois et PWC en ont toujours affirmé le caractère légal. Mais aucune investigation sérieuse n’a à ce jour permis de l’établir.
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Dans la seule interview qu’il a accordée, au Wall Street Journal en 2014, Marius Kohl avait pour sa part alimenté le doute en affirmant qu’il évaluait au doigt mouillé la conformité des prix de transfert des rulings qu’il accordait aux multinationales au nom de l’administration des Contributions directes.
Pour la défense de Raphaël Halet, la question de la légalité des rulings n’est donc pas anodine, le lanceur d’alerte risquant la confirmation, voire l’alourdissement, de la peine prononcée à son encontre en première instance.
F. G.
Un jugement ambigu
En première instance, Antoine Deltour avait été condamné à 12 mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende. Raphaël Halet avait pour sa part écopé de 9 mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende. Le jugement rendu le 29 juin à l’égard de Deltour et Halet est marqué par l’ambiguïté, puisque le tribunal correctionnel les a condamnés tout en reconnaissant leur qualité de lanceurs d’alerte ayant agi dans l’intérêt général.
Le journaliste français Édouard Perrin, qui fut le premier à révéler le scandale dans l’émission Cash investigation , avait été acquitté. Les deux lanceurs d’alerte avaient fait appel de leur condamnation avant que le procureur d’État adjoint, David Lentz, ne fasse appel à son tour, le 29 juillet, y compris contre Édouard Perrin.
Comme dans le procès en première instance, Antoine Deltour et Raphaël Halet doivent répondre «des reproches de vol domestique, d’accès ou de maintien frauduleux dans un système informatique, de divulgation de secrets d’affaires, de violation de secret professionnel et de blanchiment-détention des documents soustraits», selon les termes du parquet.
Quant au journaliste Édouard Perrin, il «doit répondre comme coauteur ou complice des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation de secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment-détention des seuls documents soustraits par Raphaël Halet», toujours selon le parquet.