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Procès LuxLeaks (6e jour) : la défense demande la relaxe générale


Raphaël Halet. (photo LQ)

Voleurs ou lanceurs d’alerte ? Les avocats de PwC et de Raphaël Halet se sont affrontés par plaidoiries interposées ce mercredi après-midi, au 6e jour du procès LuxLeaks. La défense d’Antoine Deltour prendra la parole mardi prochain.

L’avocat de PwC, partie civile dans ce procès, a lancé les hostilités. Me Hansen n’y est pas allé par quatre chemins : selon lui, Antoine Deltour et Raphaël Halet « n’avaient pas l’animus du lanceur d’alerte » lorsqu’ils ont agi. Ils auraient ainsi « inventé cette qualité » a posteriori, « pour les besoins de la défense ».

Ainsi Raphaël Halet aurait pris contact avec le journaliste Edouard Perrin, sans « aucun but politique », mais afin « d’identifier l’auteur de la première fuite », en somme de « dénoncer un collègue » en tentant de démasquer la taupe Deltour.

PwC s’en tient strictement aux toutes premières déclarations faites en interne par Halet, fin 2014, lorsque le cabinet d’audit l’a identifié comme auteur de la seconde fuite de documents fiscaux. Peu importe que l’ex-agent administratif de PwC, alors sous la menace d’une pénalité de 10 millions d’euros, soit revenu depuis sur cette version des faits. « Il n’aurait pas donné simplement des pommes (ndlr : les déclarations fiscales) s’il avait vraiment voulu dénoncer le système », appuie l’avocat de PwC.

« Deltour visait son seul intérêt privé », selon PwC

Quant à Antoine Deltour, Me Hansen affirme qu’il avait bel et bien « fouillé » le réseau informatique de PwC. Et s’il cherchait avant tout des documents de formation – « confidentiels et d’une valeur considérable » selon PwC – lorsqu’il est tombé sur le fameux dossier de tax rulings, c’était pour « son seul intérêt privé », dans « le but premier » de « piller le know how (ndlr : savoir-faire) de son employeur ».

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Selon PwC, son ex-auditeur n’aurait donc adopté le statut de lanceur d’alerte au service de l’intérêt général qu’en octobre 2014, une fois les poursuites pénales lancées à son encontre. « Cette stratégie de défense a été très efficace à l’égard de la presse, mais elle ne le sera pas à l’égard de votre tribunal », a conclu Me Hansen, qui n’a réclamé qu’un euro symbolique aux prévenus.

La jurisprudence de la CEDH

« Raphaël Halet ne s’est pas revêtu du costume de lanceur d’alerte pour se pavaner dans les médias », a aussitôt rétorqué son avocate Me Nalepa, avant de s’attacher à démontrer que son client collait parfaitement aux critères de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) protégeant les lanceurs d’alerte.

Critères qui sont notamment l’absence d’autres moyens d’alerte, l’intérêt général de cette alerte – qui peut dès lors « dépasser l’obligation de confidentialité »-, l’authenticité des documents, la bonne foi du lanceur d’alerte ou encore l’absence de préjudice conséquent pour l’employeur, Me Nalepa soulignant la forte progression du chiffre d’affaires de PwC y compris après les révélations des LuxLeaks. « M.Halet a agi par pur esprit citoyen. Il ne recherchait ni la gloire, ni l’argent. C’est peut-être difficile à concevoir pour certains pour qui l’argent entre et sort comme ils veulent, mais c’est la réalité. »

Me Nalepa a ajouté quelques arguments au cas où le tribunal décidait d’ignorer la Convention européenne des droits de l’Homme et de juger l’affaire par le seul prisme du droit pénal luxembourgeois. Comme le fait que le chef de « vol » ne s’appliquerait pas à des données immatérielles, ou encore que les déclarations fiscales confiées par Halet à Perrin ne seraient pas des documents tombant sous le secret des affaires. Et de décrire enfin « un doux rêveur », altruiste, romantique et fan de photo, qui ne connaissait même pas PwC lorsqu’il y a postulé, et désormais au chômage avec deux enfants à charge.

« Des infractions, il y en a à la pelle »

Les coups de boutoir se sont faits plus violents avec la plaidoirie du second avocat de Raphaël Halet, Me Bernard Colin. Invoquant d’entrée Robert Schuman, « l’idée européenne » et le Luxembourg « membre fondateur », l’avocat a rappelé qu’il s’agissait de juger « des citoyens européens devant une justice européenne », c’est-à-dire tenant compte du caractère « supra-constitutionnel » de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Mais l’avocat a surtout, avec une certaine verve, tenu à rappeler que les deux lanceurs d’alerte inculpés avaient bel et bien dénoncé « des infractions », torpillant l’argument-bouclier de la légalité des tax rulings. « Des infractions, il y en a à la pelle », a-t-il martelé, rappelant les cas de distorsion de concurrence épinglés par la Commission européenne (Fiat au Luxembourg, Starbucks aux Pays-Bas), ainsi que le non-respect de la directive de 1977 sur l’échange spontané des rulings. « Le Luxembourg ne serait pas le seul pays concerné ? Et alors, ça le disculpe ? », a asséné l’avocat en écho aux interventions régulières du président du tribunal en ce sens, depuis le début du procès.

PwC a caché « le plus longtemps possible » le cas Halet à la justice

Illégalité encore, lorsque les pratiques révélées par les LuxLeaks ne disent pas leur nom : « On parle d’optimisation fiscale, mais il s’agit bien d’évasion fiscale, il faut appeler un chat un chat. » Et de rappeler que le fisc français réclame 300 millions d’euros à McDonald’s qui « optimise » via le Luxembourg et la Suisse. « C’est une réalité. La ligne jaune a été allégrement franchie par ces entreprises avec l’aide de PwC. »

Faisant le procès du cabinet d’audit et de l’évasion fiscale, l’avocat a en outre relevé que PwC, tentant d’abord de régler l’affaire « en catimini », n’avait « livré » Halet à la justice uniquement lorsque celle-ci s’était intéressée aux documents des LuxLeaks que Deltour n’avait pas copiés, après l’audition de celui-ci. Auparavant, PwC « a caché » le cas de Halet « le plus longtemps possible » et « avait dit à mon client de ne pas s’inquiéter, qu’il n’y aurait aucune poursuite pénale ».

« Le secret des magouilles face à l’intérêt général »

« C’est cette partie civile, qui a trompé son monde et qui fait de l’évasion fiscale, que votre tribunal va protéger ? », interroge Me Colin, relevant que PwC n’a jamais contesté ni l’archivage qu’il faisait pour le compte du fisc, ni le « papier à en-tête de l’administration fiscale » dont il disposait. « C’est qui Price dans cet Etat luxembourgeois ? C’est au dessus de la loi ? Le secret des affaires, c’est avant tout le secret des magouilles face à l’intérêt général et aux nombreuses infractions révélées. (…) On est face à des tordus de la finance, au Luxembourg ou ailleurs, ils trouveront autre chose pour tricher. »

« Halet et Deltour ont été les seuls à réguler le système »

L’avocat n’a pas hésiter à faire l’éloge des lanceurs d’alerte : « Il y avait une démission des pouvoirs publics, des instances européennes, MM. Halet et Deltour ont été les seuls à réguler ce système. Aujourd’hui on a fait de nouvelles directives grâce à eux, et vous allez les condamner ? Antoine Deltour a obtenu par le Parlement européen le prix du citoyen européen. On marche sur la tête ! (…) Une condamnation serait une indication à tout le monde que le business peut continuer comme ça, ce n’est pas possible. » Et de demander la « relaxe générale ». Plaidoirie largement applaudie dans les salles d’audience et de retransmission du procès.

Le procès reprendra mardi 10 mai avec les plaidoiries des avocats d’Edouard Perrin (déjà entamées ce mercredi) et d’Antoine Deltour, puis les réquisitions du parquet. Ce devrait être la dernière journée de ce procès.

Sylvain Amiotte