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La Capsule, un «musée mobile» et écolo à ciel ouvert à la Kufa


(photo Julien Garroy)

La Capsule, «road movie expérimental» réalisé le temps d’une traversée du Luxembourg à pied, prendra le départ de la Kulturfabrik le 2 mai. En marge des derniers préparatifs, son initiatrice, Nora Wagner, expose sa philosophie.

Traverser le Luxembourg à pied pour un «road movie expérimental», avec une caravane tirée par des humains : c’est l’idée derrière La Capsule, un projet participatif et polymorphe défiant toute catégorisation.

Dans la Galerie Terres Rouges de la Kulturfabrik, où trône encore la roulotte dont le départ est programmé dans moins d’un mois au centre culturel eschois, Nora Wagner en parle comme d’un «musée mobile», d’une «performance collaborative», d’un «laboratoire»…

Comment faire du musée un laboratoire pour la société?

L’initiative concerne tout le monde, et chaque participation, durable ou ponctuelle, mérite le même engagement. Au fil des quatre mois de printemps et d’été que durera cet «Esch-Bastogne-Esch», sorte de versant sud, à pied et artistique d’une fameuse couse cycliste, La Capsule mettra d’abord le cap vers le nord du pays et le Luxembourg belge via le Ginzebierg (Dudelange), le musée Thillenvogtei (Rindschleiden) ou encore la ferme socio-pédagogique Liewenshaff (Merscheid); au retour, la caravane fera notamment halte dans les rues de la capitale, au contact des sans-abri, et s’offrira un détour par la France et Cattenom.

Un programme tant copieux qu’enthousiasmant, en équilibre entre création de groupe, questionnement des institutions culturelles et conscience écologique.

«La question que je me pose est la suivante : comment rendre le musée plus accessible, plus vivant, bref, comment faire du musée un laboratoire pour la société ?», expose Nora Wagner. Dans sa vie d’artiste, elle a «fait pas mal de choses en et hors des institutions», et souhaite aujourd’hui «interroger» le musée.

«Ça m’a vite épuisée !», laisse-t-elle échapper, sourire entendu au coin des lèvres : «Pour chaque musée intéressé par le projet, il y a très vite eu des jeux de pouvoir qui se sont mis en place. Alors, en 2022, je suis retournée vers les projets autogérés.»

Elle-même rappelle qu’elle est issue «des milieux anarchistes»; forcément, La Capsule est faite du même ADN. «L’anarchie, c’est la forme la plus pure de démocratie, détaille Nora Wagner : pas de hiérarchie, tous égaux, tous pris en compte, et chacun prend ses responsabilités.»

Dans le même ordre d’idées, celle qui «explore les différentes facettes de la cocréation» artistique depuis dix ans (notamment à travers un premier «projet nomade» qui lui a fait sillonner l’Europe – en voiture, cette fois – avec le Français Romain Simian) a invité des artistes à rejoindre La Capsule sur la route.

Issus d’horizons différents (danse, poésie, cinéma, photographie, théâtre…), ils «amèneront leurs thématiques, qui seront par la suite intégrées au film. Ils en coécrivent en quelque sorte les différents « épisodes », comme des petits moments de cocréation à l’intérieur d’un grand projet».

Créer selon les limites

Pour réunir l’équipe qui forme La Capsule, Nora Wagner fait à nouveau équipe avec Kim El Ouardi – le duo avait présenté son moyen métrage documentaire Moitié moi, autour du processus de création d’une pièce de danse hip-hop, au dernier LuxFilmFest. Les deux se sont retrouvés aussi sur les questions d’urgence écologique, à travers lesquelles La Capsule veut repenser la pratique des arts.

«Comment réaliser un projet artistique qui prenne en compte les limites environnementales auxquelles on se heurte aujourd’hui ?», demande Nora Wagner. Et, sans attendre, de présenter une réponse possible : cette «caravane artistique» fabriquée par l’équipe et qui produit sa propre énergie, avec des emplacements pour fixer des panneaux solaires – la banque d’alimentation est, elle, logée à l’intérieur d’une sculpture qui vient orner l’arrière du convoi.

Bien sûr, l’usage des appareils électroniques (et leur rechargement) sera limité : les téléphones seront allumés deux heures chaque matin, afin de planifier les rencontres avec les artistes, bénévoles et autres participants en cours de route, ou parer à d’éventuels rendez-vous manqués. «On sait que tout cela va être difficile à gérer, glisse Nora Wagner, c’est pourquoi on invite toutes les personnes souhaitant faire partie de l’aventure à prendre le temps à nos côtés.»

Toute l’organisation se fait à partir du tracé déjà décidé, via un «chat» Discord réunissant pour le moment plus de 30 personnes (l’application de discussion est l’un des moyens de communication les moins polluants si l’on s’en tient à un usage strict des messages écrits).

Pour autant, les activités ponctuelles peuvent aider à souffler un peu, avoue Nora Wagner : ainsi, certains artistes ont déjà promis de retrouver La Capsule sur la route, sinon pour une longue marche, au moins pour «une séance de dégustation de vins ou une lecture».

Car s’il reste déconseillé de garder le vin au chaud – La Capsule, rappelons-le, se déplacera sous le soleil estival –, la caravane contient aussi une bibliothèque idéale, avec des ouvrages qui ont inspiré le concept (citons Wanderlust. A History of Walking, de Rebecca Solnit, Designing Utopia, de Cathy Ross et Oliver Bennett, Pour une écologie pirate, de Fatima Ouassak, ou des essais sur le Dogme95, mouvement de cinéma brut, réaliste et sans artifices lancé par Lars von Trier et Thomas Vinterberg), les livres que chaque artiste ou bénévole souhaitera partager et les questionnaires soumis par l’équipe.

Avec des questions comme «quelle œuvre d’art serais-tu et que voudrais-tu dire aux gens?», «si l’espoir était un paysage, à quoi ressemblerait-il?», «jusqu’où sommes-nous censé(e)s rêver?», ces derniers forment à eux seuls une petite librairie de l’imaginaire et du potentiel créatif, fonctionnant à la fois comme base des réflexions et outil de travail pour La Capsule.

«Connaître nos priorités»

Avec un tel programme, La Capsule (le film) ne vise pas uniquement à la «documentation» du périple, mais se dessine déjà comme une sorte de collage où se retrouveront le documentaire, le film postapocalyptique («pour ce projet, on fait tous semblant d’être loin de chez nous», précise Nora Wagner, inspirée par les épopées désertiques de Mad Max et The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert), les lectures, les engagements militants…

Et en parlant d’écologie, le tournage sera lui aussi limité, en équipe comme en temps de tournage. «Il faudra connaître nos priorités, on sait que l’on ne pourra pas filmer ce que l’on voudra, analyse Nora Wagner.

Mais c’est un projet artistique – mieux : c’est une performance évolutive. Alors, comme dans tout projet artistique qui se partage, ce qui n’est pas documenté n’est jamais perdu!» Des carnets de bord seront tenus par chaque participant au voyage, dont des extraits choisis pourraient bien, eux aussi, figurer dans le film.

Pour sa diffusion, Nora Wagner et son équipe sont déjà certains de retourner dans les différents lieux qui les accueilleront au long du parcours de La Capsule. Toujours dans l’idée de «décoloniser l’art» au sens large, elle s’explique : «Le film, c’est le medium artistique le plus accessible. L’idée est aussi de l’utiliser comme un outil pédagogique en allant tant vers des lieux publics, comme les écoles, que vers des lieux d’art et alternatifs.

Et, pourquoi pas, imaginer un cinéma en plein air que l’on fasse voyager?» La tête déjà tournée vers le futur, l’artiste n’est pas moins armée de patience, consciente que le film – qu’elle montera elle-même – ne sera pas présenté avant l’été 2025.

Pour l’heure, il reste encore à peaufiner quelques détails sur la caravane avant que La Capsule prenne son grand départ de la KuFa, le 2 mai, accompagné d’un cortège façon Mad Max… avec ou sans guitare cracheuse de flammes.

Les artistes

Nora Wagner

Kim El Ouardi (caméra)

Greig Stevens (prise de son)

LES INVITÉS

Tania Soubry (chorégraphe)

Jennifer Lopes Santos (danseuse)

Julie Schröll (cinéaste)

Moritz Schönecker (metteur en scène)

Svenja Weber (art-thérapeute)

Natascha Bisbis (doula)

Aurélie D’Incau (performeuse)

Cloé Delcroix (illustratrice)

Samuel Bollendorff (photographe)

et d’autres…

LES STRUCTURES

Kulturfabrik (Esch-sur-Alzette)

Spektrum (Rumelange)

Liewenshaff (Merscheid)

CNDS (Troisvierges)

Périple en la Demeure (Limerlé / BE)

La S Grand Atelier (Vielsalm / BE)

L’Orangerie (Bastogne / BE)

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