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«Il y a encore beaucoup de réfractaires à l’influence»


Marine Profeta, 35 ans, a créé en juin 2020 une agence spécialisée dans l’influence à Mondorf-les-Bains.

Controversé dans de nombreux pays, le monde de l’influence s’implante doucement au Luxembourg avec une image bien éloignée des stéréotypes qu’on lui connaît.

Il y a quatre ans, Marine Profeta, une Française originaire de Thionville, a lancé la première agence dédiée à l’influence au Luxembourg.

Ancienne journaliste spécialisée dans la presse féminine, c’est dans le cadre de son métier qu’elle a rencontré les premières influenceuses du pays. Mais à l’époque, dans les années 2017-2018, on les appelle encore des blogueuses.

De retour de Paris – après des études en communication et marketing digital –, elle voit le monde de l’influence exploser en France et en Belgique, mais pas encore au Grand-Duché.

En 2020, elle quitte le journalisme pour se lancer dans l’entrepreneuriat et créer son agence d’influence Brune, où une dizaine de créateurs de contenu luxembourgeois la rejoignent.

Quatre ans après votre lancement, vous gérez aujourd’hui 65 influenceurs. Qui sont-ils ? 

Marine Profeta : Ce sont tous des micro-influenceurs. Ils ont tous un travail à côté. Nous avons par exemple des banquiers, des instituteurs, des infirmiers, des entrepreneurs… C’est très varié.

Personne ne vit entièrement de ce milieu, ils voient l’influence comme une passion, un hobby. C’est aussi un choix que j’ai fait. Je ne voulais pas travailler avec des gens pour qui c’est leur business (…). Sur les 65 influenceurs, nous avons presque exclusivement des femmes et seulement trois profils masculins.

Cela s’explique par le fait que le monde de l’influence reste un milieu ultra-féminin. Il y a beaucoup de mamans et de jeunes femmes qui ne sont pas que dans la mode et la beauté. On a par exemple des personnes spécialisées dans la nourriture, le bien-être ou l’artisanat.

Ces influenceurs collaborent avec quel type d’entreprises ?

Avec des sociétés locales et luxembourgeoises ou de la Grande Région. Cela peut être dans le secteur de l’automobile et même des communes, des hôtels ou encore des restaurants, des boutiques de mode, des boutiques d’artisans, des banques ou assurances.

On fait de tout, sauf le médical et le paramédical. Car c’est quelque chose qui est interdit par le droit européen (…). De plus, on travaille très peu avec des marques internationales.

Je refuse à peu près dix fois par mois des collaborations avec des entreprises polémiques au niveau environnemental, alors que ce sont des contrats très bien payés.

Au Luxembourg, il n’existe pas de législation spécifique qui encadre l’influence. Cela peut-il entraîner des dérives, selon vous ?

Je trouve que la loi qui est passée en France est très bien. Même si nous ne sommes pas encadrés de la même façon au Luxembourg, depuis l’année dernière, j’ai décidé pour chaque collaboration qu’il y ait obligatoirement la mention « partenariat«  sur la publication.

Il faut qu’il y ait une transparence totale vis-à-vis du consommateur, alors que pendant longtemps, des entreprises demandaient de le cacher (…). Ici, nous restons tout de même encadrés par le droit européen qui empêche les dérives qui sont, finalement, peu nombreuses.

Car nous ne sommes pas dans des situations comme en France ou en Belgique (…). Mais je serais d’avis à ce que le législateur luxembourgeois fasse une loi. C’est aussi une manière de reconnaître qu’être influenceur est un vrai métier et j’insiste sur ce point.

Ils ont une image de l’influenceur made in Dubai

Une profession qui est aussi habituée aux critiques et polémiques. Cette mauvaise image a-t-elle des répercussions au sein de votre agence ?

Il y a encore beaucoup de réfractaires à l’influence. Beaucoup de personnes s’imaginent des choses qui ne sont pas du tout vraies (…). Les gens ont une image de l’influenceur made in Dubaï, des stars de téléréalité un peu nunuches.

Alors que ce n’est pas du tout ce que l’on fait (…). Il y a eu, en effet, un avant/après à la suite du scandale qui s’est passé en France. C’est quelque chose que je n’ai vu pas arriver. Pour être honnête, je me suis dit, c’est génial, ça va nettoyer un peu tout ce monde-là qui peut être aussi un peu opaque.

Et en fait, ça n’a pas eu de bonnes répercussions. Depuis l’année dernière, je repars à la charge pour essayer de combattre les clichés autour de ce milieu.

Beaucoup d’adolescents rêvent aujourd’hui de faire de l’influence leur métier. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est une profession très fantasmée. Mes amis croient par exemple que je suis à la Fashion Week tous les week-ends. C’est vrai que ça a un peu remplacé les idoles classiques que nous pouvions avoir, comme les comédiens ou les chanteurs.

Aujourd’hui, il y a des influenceurs qui sont des superstars. Mais je ne conseillerais pas à ma fille de faire cela. Le fait d’être exposé constamment sur les réseaux sociaux peut très vite devenir un problème. Là, je ne parle pas de mon agence, mais des influenceurs qui en font totalement leur métier.

Je crois que l’influence est une chose dans laquelle on se lance un peu par hasard parce que l’on a un talent de base pour la photo, la vidéo ou la mode.

Le Grand-Duché pourrait-il devenir le prochain pays de l’influence ?

L’influence et le développement des réseaux sociaux sont quelque chose de nouveau encore au Luxembourg. Oui, il y a un potentiel dans ce pays qui est pourvu de moyens financiers importants et de nombreuses richesses culturelles.

Je pense qu’il est prêt, mais pas sur tous les plans, notamment au niveau générationnel. Par exemple, dans certaines entreprises, il y a une vraie méconnaissance de ce qu’est le marketing d’influence.

Et c’est souvent le cas chez des personnes plus âgées. Mais cette évidence-là de l’influence, que l’on peut trouver dans d’autres pays, n’existe pas encore chez nous.

« On n’est pas tous des escrocs »

Deux créatrices de contenu nous racontent les coulisses du monde de l’influence au Luxembourg.

Avec 818 000 abonnés sur TikTok et 221 000 followers sur Instagram, Melody Funck est l’une des influenceuses luxembourgeoises les plus suivies dans le pays. Passionnée par la mode et les robes, cette «princesse 3.0» s’est lancée il y a quatre ans sur les réseaux sociaux.

«Ma première vidéo qui a fait le buzz, c’était un déballage d’une robe sur TikTok. En deux ou trois jours, elle a fait 4 millions de vues !», confie la jeune femme âgée de 28 ans.

Plus les mois passent et plus son nombre d’abonnés augmente. Aujourd’hui, elle est suivie au Luxembourg, en France, en Belgique et même au Canada. Une popularité sur les réseaux sociaux qui lui a même permis de présenter la soirée de l’Eurovision Luxembourg à la Rockhal et d’assister à une avant-première cinématographique à New York.

Mais derrière les paillettes, le quotidien de Melody Funck est finalement très éloigné des clichés de l’influence. «Je ne vis pas des réseaux. J’ai un travail à côté, comme tout le monde.»

Car, comme elle l’explique, vivre de l’influence au Grand-Duché reste quelque chose de très compliqué. «Il faut avoir beaucoup de collaborations. À l’heure actuelle, on ne devient pas riche avec l’influence au Luxembourg.»

Un avis que partage également Cinzia De Rosa, une autre influenceuse mode originaire d’Esch-sur-Alzette. «C’est un cliché de dire que nous gagnons beaucoup d’argent», note-t-elle.

Cinzia De Rosa (à g.) et Melody Funck (à d.) sont influenceuses au Grand-Duché.

Une vie si parfaite ?

Autre préjugé : l’influence n’est pas un métier. Que ce soit pour une collaboration ou un contenu, ces influenceuses passent de nombreuses heures à travailler. «Les vidéos TikTok que je faisais auparavant me prenaient entre 2 et 3 heures par jour et certaines sur YouTube peuvent prendre jusqu’à 50 heures de travail», confie Melody Funck.

«C’est un hobby qui prend beaucoup de temps et demande beaucoup de travail. Pour ma part, je me consacre aux réseaux sociaux les week-ends ou le soir quand je ne travaille pas», indique Cinzia De Rosa. Des clichés nombreux que les deux jeunes femmes regrettent.

«Des influenceurs ont, malheureusement, donné une mauvaise image. Quand d’autres en ont profité pour se faire de l’argent. Et finalement, on est un peu tous mis dans le même panier. Moi, je trouve que c’est un combat d’être influenceur et de montrer que l’on est capable de faire quelque chose et que l’on n’est pas tous des escrocs», affirme Melody Funck.

On ne devient pas riche avec l’influence au Luxembourg

Malgré tout, la créatrice de contenu reconnaît que le métier d’influenceur pourrait être amélioré, notamment en raison de l’image de «vie parfaite» qu’il véhicule.

«Nous avons comme tout le monde des problèmes, mais je préfère être discrète sur certaines choses, car nous n’avons pas toujours envie de tout raconter.» Une perfection que l’on retrouve aussi au niveau de l’apparence physique des influenceurs.

«Je pense que l’on devrait plus normaliser le fait de ne pas être toujours maquillée. Je l’ai déjà fait, mais ça reste assez rare avec mes contenus. Je pense que pour certaines, c’est aussi un manque de confiance en soi de se montrer sans artifices.»

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