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[Cyclisme] Les quatre vérités de Jempy Drucker


«Je n'ai pas compris l'intérêt qu'il y avait de réduire le nombre de coureurs au départ des courses. Cela ne changera rien pour la sécurité.» (Photos Julien Garroy)

Jempy Drucker (31 ans) prépare sa quatrième saison sous les couleurs de l’équipe BMC avec une certaine tranquillité. Mais les ambitions ne manquent pas.

Entretien avec Denis Bastien

Comment vivez-vous ces rares semaines où en automne, vous êtes en repos ?

Bien. Tu peux profiter de ta maison, d’être en famille et de retrouver des copains que tu ne peux pas voir le reste de la saison où il te faut souvent répondre de manière négative aux invitations. Entre janvier et avril, je ne suis pas souvent à la maison. Donc on apprécie lorsqu’on peut se poser.

À la fin d’une saison, on ressent une grosse fatigue ?

Moi, je n’ai jamais eu cette sensation. C’est sans doute pourquoi je marche bien jusqu’en fin de saison. Ce n’est pas le cas de tous les coureurs. Bien sûr, on commence à regarder où réserver ses vacances. Mais pour le reste, jusqu’à la dernière course je reste toujours motivé.

Quel regard portez-vous sur votre saison 2017 ?

Je pense que j’ai été régulier. Depuis quelques années, c’est l’une de mes forces. J’ai remporté trois courses en 2017 dont le championnat national de chrono. C’est toujours beau d’avoir un maillot. C’est sans doute l’une de mes meilleures saisons en régularité. J’ai toujours été dans le coup. Soit, je jouais la gagne ou alors, je travaillais pour mes leaders.

De quel moment êtes-vous le plus fier ?

C’est difficile à trancher. Si je prends Roubaix, sans moi, Greg (Van Avermaet) ne se serait jamais imposé. On a pris la décision de l’attendre pour le ramener car j’étais encore devant. Avant Arenberg, on avait un retard de 30 secondes et je l’ai bouché tout seul. C’était un grand moment. Lorsque je rentre dans le vélodrome, je vois sur l’écran géant qu’il s’est imposé. Après tout le travail que j’avais fait, c’était beau. Au niveau personnel, je retiens mon succès dans le chrono au National contre Bob (Jungels). Là, je me suis surpris moi-même et j’ai fait l’un de mes meilleurs chronos.

Pour revenir sur Roubaix, Greg Van Avermaet avait confessé sans qu’on lui pose la question, qu’il vous devait son succès…

C’est toujours bon d’entendre des choses comme ça. Il a aussi entendu la radio lorsqu’on m’a demandé de l’attendre alors que j’étais devant. Je m’étais sacrifié. À Roubaix, je pense que c’est une course où je peux faire un jour quelque chose de bien. Pour en revenir à Greg, il a fait une saison de classiques énorme. La seule tactique pour nous, c’est de durcir la course et le placer dans la meilleure position possible.

Vous qui le côtoyez depuis 2015, vous l’avez vu s’épanouir ces deux dernières années…

Il ne lui manque guère que le Tour des Flandres et les Mondiaux ou encore Milan – San Remo. Pour le reste, il a tout gagné.

Vous avez signé 23 top 10 en 2017, c’est significatif ?

Ce qui est plus significatif, c’est que j’ai signé plus de top 5 que jamais auparavant (NDLR : 16 top 5). Cela veut dire que j’ai longtemps été proche du succès.

Comment analysez-vous le recrutement de BMC pour 2018 ?

On a perdu quelques bons coureurs (fin de carrière pour Manuel Quinziato et Martin Elmiger, transfert pour Daniel Oss et Ben Hermans), mais on a recruté Jorgen Roelants, Alberto Bettiol, un jeune Italien qui marche sur tous les terrains et Patrick Bévin pour les classiques.

Le fait d’avoir été sollicité par d’autres équipes comme la formation AG2R La Mondiale vous a fait réfléchir ?

Oui, bien sûr. Cela m’a fait du bien également. Cela montre que le travail que je fais pour mes leaders est apprécié et vu par les autres équipes. Si je continue à travailler comme ça, je ne dois pas me poser des questions. Je peux encore avoir de l’avenir. Si je continue à travailler et à progresser encore un peu, faire mon boulot, alors…

Vous comptez progresser jusqu’à quel âge ?

Je ne sais pas, je suis passé tardivement sur la route. Je ne suis pas encore à ma limite. Je pense que je n’ai pas de grande marge non plus, mais tant que je continue à m’améliorer, c’est bon…

Et comment faites-vous pratiquement pour continuer à progresser ?

Cela vient avec les courses et l’entraînement spécifique. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de faire beaucoup de progrès au sprint. Je ne suis pas un pur sprinteur comme Marcel Kittel, mais le sprint est l’une de mes forces. Dans les courses plus dures, je me sens plus à l’aise également. Je préfère un final difficile à une arrivée toute plate. Je peux m’échapper comme je l’ai montré en fin de saison sur le Grand Prix Impanis, faire un bon chrono également. Il n’y pas beaucoup de sprinteurs qui peuvent faire ça. Bon, il me faudrait encore progresser un peu.

Le fait de ne pas être leader sur les grosses courses, comment le vivez-vous ?

Ce n’est pas toujours évident, mais en fin de compte, je sais que n’ai pas les capacités pour remporter un Tour des Flandres. Je n’ai donc aucun problème pour faire l’équipier. Je suis capable de faire le final jusqu’à mes limites et je n’ai aucun souci de rouler pour Greg sur les plus grandes courses. Je suis réaliste sur mes capacités. Bien sûr que je rêve de gagner un jour des classiques comme le Grand Prix E3 à Harelbeke ou le Nieuwsblad. Je sais que j’en ai les capacités. C’est un rêve qui, sûrement, ne va pas se réaliser. Mais les moyens sont là. Pour le concrétiser, il faudrait une course parfaite.

Ce rêve, je ne l’ai pas pour le Tour des Flandres car c’est trop haut pour moi, j’en suis conscient. Si on regarde comment les courses se sont déroulées en 2017, avec des leaders qui se sont attaqués plus tôt, des coureurs comme moi, se doivent d’être derrière. Si Greg est parti, il faut suivre et si un retour s’opère, je peux utiliser ma petite pointe de vitesse. Selon la course, si ça se joue dans mes cartes, je peux faire un bon résultat. J’ai déjà fait des top 10 dans ces classiques donc je sais que je peux le faire. Ce qui me motive encore, c’est d’avoir un jour, toute la chance de mon côté. Je sais que ça peut arriver.

Avant d’intégrer BMC, vous étiez dans l’équipe Wanty où vous étiez plus libre. Vous imaginez revenir un jour dans une équipe de deuxième division avec un rôle de leader ?

Je ne pense pas, non. Si un jour, je m’arrête, je veux m’arrêter au sommet.

La différence est si grande ?

Oui, surtout avec une équipe comme BMC. La différence est énorme. On a notre chef de cuisine dans 80% des courses. Ce sont ces petits détails qui additionnés, font la différence. L’organisation dans l’équipe est impeccable.

Il s'apprête à passer un hiver studieux car ce qui importe c'est d'être prêt pour les classiques.

Il s’apprête à passer un hiver studieux car ce qui importe c’est d’être prêt pour les classiques.

Au niveau de l’entraînement, comment procédez-vous ?

Je connais mon corps et je sais ce dont j’ai besoin. Je discute souvent avec l’entraîneur de l’équipe. Ça marche bien comme ça.

Vous comptez courir encore combien de temps ?

Dans ma tête, je me vois courir jusqu’à 36, 37 ans.

En savez-vous plus de l’avenir de l’équipe BMC au-delà de 2018 ?

C’est une bonne question. Tous les coureurs sont sous contrat jusqu’à fin 2018. Peut-être que nous aurons plus de détail lors de notre stage de décembre.

Avez-vous une idée de votre programme pour la saison 2018 ?

On en a déjà discuté, mais ce sera finalisé pour le stage de décembre. Cela ressemblera à mon programme habituel avec sans doute des débuts à Dubai puis Oman. Ensuite, on retrouvera le Nieuwsblad et Kuurne-Bruxelles-Kuurne. Puis pour préparer les classiques suivantes, peut-être que je découvrirai Paris-Nice.

Vous l’avez demandé ?

C’est une idée de l’équipe pour épauler Richie (Porte) en cas de mauvais temps. Et je pense que ce serait mieux pour moi que de participer à Tirreno-Adriatico. J’ai demandé également de faire le Giro après une petite coupure après Paris-Roubaix. Je voudrais changer et voir. Mais c’est à l’équipe de décider.

En 2016, outre votre succès d’étape sur la Vuelta, vous aviez apprécié de participer à votre premier grand tour…

C’est vrai, c’était bien. Mais en 2017, vu le parcours de la Vuelta, cela aurait été galère. En 2016, cela avait été dur. Sans ce succès, je me serais demandé : « c’est quoi cette galère? ». Maintenant, je me rends compte que le parcours du Giro est hyper dur également. Mais je vois plus de chance pour moi dans les arrivées techniques. Comme je n’ai pas vraiment d’équipe autour de moi, je peux me débrouiller tout seul. Ce qui est un plus pour l’équipe. Ils savent que je me débrouille tout seul.

C’est le cyclo-cross qui vous a donné ça cette capacité ?

Oui, ça m’a donné l’œil pour le placement et l’agilité. Je n’ai jamais de problème pour couper un virage à l’intérieur et remonter dix places dans le dernier kilomètre.

Et vous ne tombez que rarement…

C’est vrai, je touche du bois… Certains coureurs se retrouvent souvent au sol, avec des fractures. Ce n’est pas mon cas.

Comment expliquez-vous ça ?

Le danger, ça se voit. Même si parfois, c’est impossible d’éviter la chute.

Comment vivez-vous de l’intérieur les sprints massifs ?

C’est beau, il faut regarder à chaque instant s’il ne faut pas se replacer, choisir le côté droit ou le côté gauche. Savoir si la porte va se fermer ou non. Regarder le travail des trains. Avoir en tête les derniers kilomètres. On les connaît maintenant avec Google Maps, c’est plus simple.

Quel est le meilleur sprinteur du moment ?

Au niveau de la force, c’est Marcel Kittel. On l’a vu sur le Tour où il semblait par moment perdu. Cela ne l’a pas empêché de faire le jump pour la victoire. En 2018, ce sera intéressant de le voir face à Gaviria. Mais ce sera difficile de battre Kittel s’il est bien lancé par son équipe Katusha et qu’il se trouve au top de sa forme. Un bon sprinteur est aussi en confiance. Quand tu ne gagnes pas, tu as tendance à prendre les mauvaises décisions. On a vu ça sur le dernier Tour avec Cavendish (qui a chuté à Vittel à l’issue de la 4e étape). Il s’est jeté dans un trou.

Peter Sagan n’aurait jamais dû être déclassé dans le sprint de Vittel ?

Sur cette action, non, mais a-t-il été sanctionné pour cette seule action? Sagan sait maîtriser son vélo à la perfection et c’est son problème d’ailleurs. C’est impressionnant. Comme lorsqu’il s’impose à Longwy en déchaussant dans les derniers mètres et en prenant le temps de reprendre la pédale dans le bon sens. Des fois tu cherches ta pédale après un simple stop et tu n’y arrives pas. Lui, il l’a retrouvée tranquillement en plein sprint. Incroyable.

Qui est le plus grand coureur actuel ?

Sagan. Si tu gagnes trois fois de suite les Mondiaux… En plus c’est un coureur passe-partout. Il sait aussi grimper. Et toute la saison, il est à l’avant. S’il ne gagne pas, il est deuxième ou troisième. Il n’a jamais de moment où ça ne marche pas. Sur une course par étapes, il y a deux étapes qu’il peut gagner, qu’il va gagner. Et sur les autres, il est toujours là. Il s’échappe et s’amuse…

Il fait beaucoup du bien au vélo ?

Oui, bien sûr. Parfois il parle vraiment beaucoup. Il rigole ou chante alors que toi, t’es à bloc. Là, il ne te fait pas beaucoup rire. Quelquefois, je trouve qu’il en fait un peu trop dans ses interviews. Ça fait rire le public, mais lorsque tu es dans le milieu, cela fait un peu penser à de la comédie. Je me demande d’ailleurs ce que pensent les journalistes de ses réponses (il sourit). C’est quand même mieux d’avoir un champion du monde comme lui qu’un coureur qui ne parle pas du tout. En tout cas, il a un talent énorme.

Vous en voyez de nouveaux coureurs talentueux comme lui ?

Non pas comme Sagan.

Un coureur comme Froome vous en pensez quoi ?

Je n’ai couru qu’une seule course avec lui, le Tour d’Espagne 2016. Je ne l’ai jamais vu de la course, son équipe roule toujours devant. À mon avis, c’est un mec sympa. Je vois l’aspect mental. Pour se remotiver après le Tour et aller gagner la Vuelta, il fallait en être capable. Il est complet, il attaque là où personne ne l’attend. Il est créatif.

Vous pensez que Richie Porte pourra le concurrencer en 2018 ?

Oui, je pense. Il est bien dans sa tête. Il n’a pas eu de chance jusque-là. Froome a également la meilleure équipe pour les grands tours. Si on regarde le boulot qu’a fait Kwiatkowski pour lui cette année. Il a roulé comme trois coureurs à lui tout seul. Froome n’est jamais seul, isolé. Il a toujours quelqu’un avec lui.

La sécurité est un thème dont on parle beaucoup. Quelle est votre position sur le sujet ?

Je n’ai pas compris l’intérêt qu’il y avait de réduire le nombre de coureurs au départ des courses. Cela ne changera rien. Pourquoi les courses sont dangereuses ? Ce sont les ronds-points, les travaux qui sont dangereux. On peut passer à 250 coureurs sur une route normale. Mais s’il y a des obstacles, c’est normal qu’il y ait des chutes. On l’aurait également avec des pelotons de 50 coureurs. Le danger de la route reste le même. Et c’est vrai qu’il y a trop de trafic, de motos, de voitures suiveuses dans le peloton. Mais je donne aussi la faute à nous, les coureurs. On ne laisse pas toujours le passage lorsque la situation le permettrait. Les coureurs ne réfléchissent pas toujours alors qu’il s’agit de notre sécurité en ce qui concerne les motos assurant cette fonction. Si on ne leur fait pas de place alors qu’elles sont en charge des ronds-points… Mais chacun veut garder sa position dans le peloton.

Comment améliorer les choses ?

Je ne vois pas vraiment, hormis les radios puisque chaque directeur sportif ordonne les mêmes choses à ses coureurs. Style : « kilomètre 150, il y a un chemin étroit ». Tout le monde veut y rentrer en premier, ça frotte, puis ça tombe…

Vous êtes pour la suppression des oreillettes ?

Oui, pour moi, ce serait mieux, oui, oui, je préférerais… Ceux qui sont pour les oreillettes disent que sans elles, nous ne serions pas au courant des dangers. Mais tout le monde a le road book ! Chacun peut savoir à quel moment il faut faire attention s’il a lu son livre de route. Les oreillettes deviennent dangereuses lorsque tout le monde reçoit en même temps la consigne de remonter dans le peloton avant un virage, une épingle, des pavés. Les directeurs sportifs deviennent très nerveux dans les voitures et électrisent le peloton. Si personne dans le peloton n’avait ce message, donc ces oreillettes, ça se passerait sans doute mieux en ce qui concerne la sécurité.

Il y aura une réforme du World Tour l’an prochain. Vous en pensez quoi ?

Il y a beaucoup de courses et au niveau du World Tour, les équipes sont obligées d’être présentes. Je pense que des petites courses vont encore disparaître. Car les équipes ne pourront pas rouler sur dix fronts en même temps.

Votre équipe BMC est passée de 28 à 24 coureurs pour 2018…

Oui et ça montre notre direction.

On n’est donc pas sûr de vous revoir sur le Tour de Luxembourg ?

Non, si je fais le Giro, sûrement que je ne serai pas au départ.

C’est le genre de course qui souffre de la concurrence du World Tour…

Oui, cela fait déjà quelques années qu’il en est ainsi. Si j’étais à la place des organisateurs, je me demanderais si ce ne serait pas mieux de le transformer en course d’un jour. On a la chance d’avoir un super beau pays avec toutes sortes de route, du dénivelé. Pourquoi ne pas se destiner à devenir une belle course d’un jour, même une classique World Tour ? J’imagine que ce serait plus facile d’avoir une retransmission télévisée. Ce serait également plus intéressant pour le public et sans doute plus facile à organiser. Une course comme ça une ou deux semaines avant les Mondiaux, je suis sûr que ce serait une grande réussite.

 

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