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Dopage : le gendarme mondial en pleine tempête à trois mois des JO


L'agence chinoise antidopage Chinada n'a pas suspendu les 23 nageuses et nageurs testés positifs début 2021 à la trimétazidine (Photo : capture d'écran Youtube)

Irrégularités, incompétence, mansuétude avec la Chine: depuis plusieurs jours, l’Agence mondiale antidopage (AMA) se retrouve au coeur d’un scandale qui ébranle le monde de l’antidopage, accusée d’avoir couvert les tests positifs de 23 nageurs chinois en 2021.

Cette affaire, une « bombe à fragmentation » déclenchée à trois mois des JO de Paris, pourrait mettre en danger tout le système et l’architecture de l’antidopage mondial, selon différentes sources. « Aucune source n’a fourni de preuves crédibles d’actes répréhensibles », a déclaré lundi l’AMA tandis que le gouvernement chinois a rejeté des allégations « fallacieuses ».

Pourquoi les nageurs chinois n’ont pas été suspendus ?

Normalement, lorsqu’un athlète est contrôlé avec une substance interdite, il est automatiquement suspendu, une automaticité que l’AMA impose aux agences antidopage. Or dans ce cas précis, l’agence chinoise antidopage Chinada n’a pas suspendu les 23 nageuses et nageurs testés positifs début 2021 à la trimétazidine. Il s’agit pourtant d’une substance que l’on appelle « non spécifiée », interdite depuis 2014 au motif qu’elle améliore la circulation sanguine, déjà détectée chez le nageur chinois Sun Yang et la jeune patineuse russe Kamila Valieva.

Lors d’une conférence de presse lundi, l’AMA a tenté d’expliquer cette incongruité: une clause -quasiment jamais utilisée- permet de ne pas suspendre automatiquement l’athlète s’il est auditionné préalablement à toute sanction. « Sauf que là, les nageurs et nageuses concernés n’ont même pas pu être auditionnés, l’agence chinoise ayant assuré que les restrictions liées au Covid ne le permettaient pas », analyse une source au sein de l’antidopage français. Pourquoi les enquêteurs de Chinada n’ont pas entendu les sportifs en visio dans ce cas? La question demeure.

Une enquête en question

La façon dont Chinada a présenté son enquête « ne colle pas du tout avec les règles qu’impose d’ordinaire l’AMA », selon un expert de la lutte antidopage ayant requis l’anonymat. Lorsqu’un sportif est testé avec une substance interdite dans le corps, c’est à lui d’apporter des éléments de preuve d’une éventuelle contamination et de l’absence d’intention de se doper.

« Le principe retenu c’est qu’avec ce genre de substance, il y a une présomption de dopage. Elle peut être renversée mais c’est au sportif d’apporter des éléments », assure cet expert. Dans le cas des nageurs chinois, l’enquête a été réalisée par le ministère de la Sécurité publique, rattaché aux services secrets chinois, selon la chaîne de télévision allemande ARD qui a révélé samedi l’affaire avec le New York Times. Et c’est ensuite l’agence chinoise qui a rédigé un rapport remis en mars 2021 à l’AMA, concluant à une contamination alimentaire dans la nourriture fournie par l’hôtel où résidaient les nageurs et nageuses.

« C’est assez lunaire, c’est un peu comme si un gendarme vous contrôle pour excès de vitesse et que dans le même temps il endosse une robe d’avocat pour vous défendre », résume une autre source.

Pouquoi l’AMA a validé la procédure chinoise ?

C’est le chaînon manquant dans cette affaire. « Personne ne comprend pourquoi l’AMA n’a rien fait, ni rien dit », résume l’expert. Le rôle de l’AMA, présentée comme le gendarme mondial de l’antidopage, consiste notamment à contrôler la légalité des procédures des agences antidopage. Et elle est surtout réputée pour être plutôt intransigeante quant au respect des règles. « Dès qu’un pays sort un ongle du cadre imposé par l’AMA, il se prend un coup de règle normalement », résume une source au sein de l’antidopage français.

Dans le cas de la procédure chinoise, « il y a trop d’irrégularités, de zones d’ombre pour que cela puise passer normalement comme une lettre à la poste », assure cette source. L’AMA a la possibilité de saisir le tribunal arbitral du sport (TAS) pour contester une décision d’une agence antidopage, ce qu’elle a par exemple fait dans le cas de la patineuse russe Valieva. Mais là, elle ne l’a pas fait. « Quand on voit le comportement de l’AMA avec la Russie dans l’affaire Valieva, le contraste est évident et pose question », s’interroge l’expert.

Un système en danger ?

Cette affaire pourrait avoir de graves conséquences selon plusieurs acteurs de l’antidopage. « Là clairement, il y a un risque de sécession des USA, et s’ils s’en vont, c’est fini », résume-t-il. Depuis la révélation de l’affaire, le patron de l’antidopage américain Travis Tygart et le patron de l’AMA Witold Banka, s’affrontent violemment. Leurs relations étaient déjà fraîches, les Etats-Unis acceptant difficilement l’autorité de cet organe qui n’est rattaché à aucun Etat, et dont ils sont le plus important contributeur financier. Mais surtout, cette affaire pourrait porter un coup à la confiance que les pays accordent à l’AMA. « Or, le système tient sur la confiance accordée au gendarme, c’est la clé de voûte », poursuit cette source, qui craint « qu’au minimum des têtes tombent pour éviter un effondrement du système ».

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