L’aciérie de Dudelange, première usine sidérurgique intégrée du pays, fait l’objet d’une impressionnante exposition, «Stëmme vun der Schmelz», sur les mêmes lieux où elle se dressait jadis.
Après la Massenoire d’Esch-Belval, qui «remixe» le passé industriel du site, c’est au tour de la «Schmelz» de Dudelange de voir ses 140 ans d’histoire retracés dans une exposition immersive.
Celle-ci, colossale, s’inscrit à l’intérieur du projet «Our Archive. Your Story», porté par le Centre national de l’audiovisuel (CNA) à l’occasion d’Esch 2022 – Capitale européenne de la culture.
«Stëmme vun der Schmelz» propose rien de moins qu’une plongée vertigineuse dans les archives du CNA, sur le site même où l’institution est implantée : la Pomhouse – l’ancienne station de pompage de l’usine dudelangeoise – et le Waassertuerm – le château d’eau et son ancien réservoir.
«C’est là que travaillaient mes aïeux»
«Stëmme vun der Schmelz» n’est pas le premier projet à portée artistique né de ce riche passé industriel. Mais pour Misch Feinen, dont le travail artistique a souvent tourné autour de l’histoire industrielle du Grand-Duché, c’est un projet qui ressemble à un accomplissement.
«Je réfléchissais depuis longtemps à faire quelque chose sur l’aciérie de Dudelange, parce que cette usine est un peu à moi aussi, c’est là que travaillaient mes aïeux», explique la tête pensante du projet, dont une partie de la famille est originaire de Dudelange.
Lui-même dit avoir été très influencé par les hauts-fourneaux et l’industrie dans sa création artistique, depuis les dessins qu’il réalisait dès son plus jeune âge, jusqu’aux photographies du site, à la croisée de l’art et de la documentation, prises à l’adolescence, pour finir, dans une suite logique, avec la réalisation de sculptures en acier.
Dix-neuf témoins
Mais avec une histoire aussi riche, qui commence à la fin du XIXe siècle avec les nombreux ouvriers luxembourgeois ou frontaliers qui venaient travailler à l’aciérie – «en bien plus grand nombre qu’à Esch ou qu’à Differdange», précise Misch Feinen –, il fallait un projet qui soit à la hauteur de l’épopée qu’il raconte.
Grâce à ses racines dudelangeoises, l’artiste dit avoir «toujours rencontré des gens qui (lui) racontaient des histoires», des anecdotes qu’il a gardées dans un coin de sa tête ou qu’il a enregistrées et précieusement conservées. C’est après une discussion avec le CNA que le projet «Stëmme vun der Schmelz» allait naître, et que les voix de l’aciérie allaient enfin pouvoir être entendues.
En parallèle de l’immense travail de recherche dans les archives du Centre, que l’on peut découvrir à travers de superbes photographies et de rares films d’époque qui traversent plusieurs décennies – à voir dans la deuxième partie de l’exposition, l’étourdissant «Usinoscope» situé au sommet du château d’eau, où les images sont projetées sur un écran panoramique divisé en trois –, Misch Feinen a lancé en 2019 un appel à témoignages.
Un voyage à travers les époques et les espaces
«Je connaissais quelques anciens, puis j’ai approché l’amicale des anciens employés de l’usine, j’ai aussi contacté les petits-enfants des anciens ouvriers sur Facebook…», indique-t-il.
Dix-neuf d’entre eux, dont les portraits constituent la première partie de l’exposition, ont livré ce qui est aujourd’hui au cœur de ce grand projet artistique. Leur récit, plus qu’un témoignage, sert véritablement de guide à travers le lieu, leur métier et le passé de la ville.
«À mes yeux, le plus gros défi du projet était de trouver comment garder ces informations, ces traces du passé, sans garder un aspect muséal», confie Misch Feinen.
Ainsi, «Stëmme vun der Schmelz» se déroule comme un voyage à travers les époques et les espaces, où le présent est constamment confronté au passé. C’est justement de cette rencontre, qui s’opère sur plusieurs niveaux, que l’exposition émerveille.
Montrer la désillusion
La vue panoramique sur la ville de Dudelange, admirable depuis le sommet du Waassertuerm, est accompagnée d’indications à même la vitre permettant de situer des lieux aujourd’hui disparus; en resituant l’ampleur du complexe industriel, on porte un autre regard sur la ville.
La dernière partie de l’exposition, dans la station de pompage, est celle qui décrit, enfin, le travail dans l’usine. On retrouve les témoins sur des écrans, racontant leurs histoires : si c’est un hommage final aux ouvriers, on découvre un quotidien parfois très éloigné de l’image idéalisée par une industrie qui s’est faite le moteur économique et social de la région.
«Il y a une chose qui m’a touché, dit Misch Feinen de ses rencontres, c’est que la plupart des témoins ont parlé des accidents mortels. Presque tout le monde a vu un mort dans sa carrière à l’usine, chose qu’on ne peut plus imaginer aujourd’hui.»
La désillusion faisait partie du quotidien des ouvriers, et l’artiste et commissaire d’exposition insiste sur le fait que cela aurait été une erreur de ne pas le montrer.
Extraits sonores de témoignages
Avec de nombreuses collaborations, comme celle de Max Mertens, qui a créé une installation à partir d’authentiques casques de protection portés par les ouvriers de l’époque, ou les portraits des témoins par Armand Quetsch, «Stëmme vun der Schmelz» impressionne de bout en bout.
Et l’artiste Misch Feinen a forcément mis la main à la pâte : le touche-à-tout, également musicien, a notamment conçu la partie du parcours la plus fantasmagorique, qui débute en haut de l’escalier extérieur du château d’eau pour se terminer à l’entrée de la Pomhouse.
En descendant les marches, des haut-parleurs diffusent une partition musicale agrémentée d’extraits sonores des témoignages. Au fil des étages, on entend les différentes pistes sonores se superposer, se répondre… «C’est avec la piste sonore et la composition que je me suis fait le plus plaisir!», affirme-t-il.
«Stëmme vun der Schmelz», jusqu’au 1er janvier 2023.
Waassertuerm + Pomhouse – Dudelange.