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LuxLeaks : pour les lanceurs d’alerte, les regrets de Juncker sont de la «communication»


Jean-Claude Juncker, mardi à Bruxelles. Le président des la Commission a exprimé des regrets très formels sur les LuxLeaks. (Photo : AP)

Pour les lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet, les regrets formulés mardi par Jean-Claude Juncker sur le scandale Luxleaks relèvent de la communication. Ils constatent que la concurrence fiscale fait toujours rage entre pays européens, cinq après la nomination du Luxembourgeois à la tête de la Commission européenne.

Les regrets formels de Jean-Claude Juncker sur les LuxLeaks n’émeuvent pas vraiment Antoine Deltour. Quand Le Quotidien joint mercredi le lanceur d’alerte du scandale LuxLeaks, il s’amuse néanmoins de la légèreté du Président de la Commission européenne. « C’est de la communication car sa réaction ne dit rien du fond», constate-t-il.

Mardi à Bruxelles, Jean-Claude Juncker avait dressé devant la presse un bilan positif de sa présidence qui s’achèvera en octobre, mais il avait exprimé deux regrets : l’un sur le Brexit, l’autre sur les LuxLeaks. Ce scandale fiscal mettant en cause le Luxembourg avait été révélé en novembre 2014, quatre jours après sa prise de fonction à la tête de l’exécutif européen. « J’ai attendu trop longtemps avant de réagir, ce fut une grave erreur, j’ai trop tardé à répondre », a déclaré mardi Jean-Claude Juncker qui fut Premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013, mais aussi son ministre des Finances de 1989 à 2009.

C’est donc sous sa double tutelle que l’administration des Contributions directes (ACD) accorda pendant des années des milliers d’accords fiscaux anticipés, des tax rulings, à des multinationales. Les LuxLeaks portent sur des accords conclus entre 2002 et 2010 par le fisc avec de grands groupes par l’intermédiaire de PWC, dans le but de réduire leurs impôts. Antoine Deltour, tout comme Raphaël Halet, le second lanceur d’alerte du scandale, était employé de PWC.

« Il continue à nier le problème »

« Les regrets de Jean-Claude Juncker posent question sur le fond », estime Antoine Deltour. « Au cours de son mandat à la tête de la Commission européenne, il n’y a eu aucune limitation de la concurrence fiscale entre les États membres. Ce n’est vraiment que de la communication car sur le fond il continue à nier le problème », déplore-t-il.

Plus cinglant, Raphaël Halet s’adresse directement au président de l’exécutif européen : « Jean-Claude Juncker, nous ne vous regretterons pas. Vous portez une immense responsabilité, tant dans le domaine de l’évasion fiscale que dans le rejet de l’Europe et son fonctionnement. Jean Monnet doit se retourner dans sa tombe en vous écoutant. »

Les deux lanceurs d’alerte français avaient été poursuivis par la justice luxembourgeoise pour la divulgation des tax rulings et déclarations fiscales auxquels ils avaient accédé chez PWC avant de les divulguer au journaliste Édouard Perrin. Après six ans de procédures, Antoine Deltour avait été acquitté par la justice luxembourgeoise qui a reconnu en 2018 son statut de lanceur d’alerte ayant agi dans l’intérêt général. Mais la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi de Raphaël Halet, maintenant sa condamnation à 1 000 euros d’amende prononcée en 2017. Il a décidé de poursuivre le combat judiciaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) afin de voir également reconnu son statut de lanceur d’alerte.

 

Raphaël Halet et Antoine Deltour, les deux lanceurs d'alerte qui sont à l'origine de la révélation des "tax rulings" de l'affaire LuxLeaks. (photo AFP)

Raphaël Halet et Antoine Deltour, les deux lanceurs d’alerte qui sont à l’origine de la révélation des « tax rulings » de l’affaire LuxLeaks. (photo AFP)

« Quel bilan ? », s’interroge encore Raphaël Halet au lendemain des déclarations de Jean-Claude Juncker à Bruxelles. « Harmonie fiscale, lutte contre l’évasion fiscale ? Échec. Sociale ? Échec. Solidarité intra européenne ? Échec. Immigration, réfugiés ? Echec. Environnement, écologie ? Echec. Brexit ? Echec », égrène le lanceur d’alerte.

Egalement joint par Le Quotidien, le collectif Tax Justice Lëtzbuerg, juge par l’intermédiaire de sa porte-parole Magali Paulus « que c’est une erreur difficilement excusable pour celui qui a dirigé le pays de 1995 à 2013 ». Les pratiques fiscales mises au jour par les LuxLeaks avaient bénéficié de « l’appui des autorités luxembourgeoise », rappelle le collectif. « Ces pratiques toujours en cours posent la question de l’équité fiscale et provoquent une érosion de la base fiscale des entreprises dans de nombreux pays et des milliards de recettes d’impôts manquant dans les budgets des États concernés », poursuit Tax Justice Lëtzbuerg.

Juncker informé dès 1997

Appelant à un débat public sur « l’exploitation abusive de tels modèles d’optimisation fiscale agressive au Luxembourg », le collectif estime que « ces modèles empoisonnent les relations du Luxembourg avec les autres pays membres » alors que la demande de justice fiscale est devenue d’une brûlante urgence en Europe, citant pour preuve le mouvement des « gilets jaunes » en France.

Jean Claude Juncker avait été informé dès 1997 de la dérive que pouvait constituer la pratique des tax rulings luxembourgeois, régie par une simple circulaire administrative, sans base légale réelle. Quand en novembre 2014, quarante médias dans le monde avaient révélé le scandale, il s’était défendu d’avoir été « l’architecte » de ce système et être jamais intervenu dans un dossier fiscal précis. Tout juste nommé à Bruxelles, il avait toutefois défendu la légalité de ces pratiques qui ont privé d’autres pays de 50 milliards d’euros de rentrées fiscales, selon des chiffres avancés par des chercheurs.

En décembre 2017, Jean-Claude Juncker avait reconnu face à Paperjam  avoir été «incommodé par certains excès qui ont été faits au Luxembourg», mais ajouté n’avoir pas eu « honte » de la révélation des LuxLeaks.

Cochon qui s’en dédit !

Fabien Grasser

Retrouvez ici tous nos articles sur l’affaire LuxLeaks

 

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