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Luxembourg : en pleine pandémie, les 6-16 ans ont le blues


Claudine Kirsch : «Si les adultes sont à l’écoute des enfants, cela contribue à leur bien-être.» (Photo : Tania Feller)

Pour la deuxième fois, l’étude «Covid Kids» prend le pouls des enfants : s’ils sont les moins exposés aux effets directs du virus, ils souffrent de ses conséquences indirectes.

Un an après la publication des résultats de la première étude «Covid Kids» dédiée au bien-être des enfants durant la pandémie, l’université du Luxembourg et l’Unicef en ont présenté vendredi le deuxième volet, portant sur l’année 2021 cette fois. Les chercheurs ont passé au crible l’état émotionnel subjectif des 6-16 ans, en recueillant leurs expériences quotidiennes à l’école, à la maison, lors d’activités de loisir, avec l’objectif de mesurer l’effet prolongé de la crise sanitaire chez les jeunes du Luxembourg.

Et sans surprise, leur moral n’a pas été au beau fixe ces derniers mois : 31% des enfants de 6 à 11 ans estiment ainsi que leur qualité de vie a diminué avec la pandémie, et ça grimpe à 43 % chez les ados.

Des chiffres un peu moins bons qu’en 2020, à l’image du contexte, toujours compliqué : «Les écoles sont restées ouvertes, mais il y a eu beaucoup d’isolement et de quarantaines, avec du homeschooling», rappelle Claudine Kirsch, professeure à la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation, investigatrice principale de l’étude.

«Les taux d’absence sont élevés : 43 % des petits et 55 % des adolescents sondés ont manqué plus de quatre semaines de cours, parfois jusqu’à 6 semaines, ce qui est énorme», commente-t-elle. Or la majorité d’entre eux préfèrent de loin les bancs de l’école, où ils estiment apprendre plus et mieux.

La masse de devoirs a notamment été une source d’inquiétude pour les élèves, tandis que les plus âgés d’entre eux craignaient d’accumuler trop de retard. Globalement, 17 % des 6-11 ans et 46 % des 12-16 ans ont indiqué être inquiets de moins bien réussir à l’école.

Le pire est que tu ne peux pas mener une vie normale

Alors qu’en mai 2021, juste avant la collecte des données, près de 70 000 infections étaient recensées dans le pays, dont 28 % de cas chez les 0-19 ans, les résultats montrent que la santé était alors une source de préoccupation majeure chez les enfants : «Mon papa a été à l’hôpital», «Mon oncle est mort à cause du covid», «Les gens tombent malade et meurent», «Je n’ai pas été malade, c’est la meilleure chose», ont-ils rapporté lors de questions ouvertes.

Une grande partie des 600 enfants interrogés ont aussi déploré que leur vie ne soit plus tout à fait la même, avec le sentiment d’être limités dans leur vie sociale. «Les classes vertes, les classes de neige annulées, les masques, pas d’anniversaires, la Schueberfouer annulée, les vacances en Grèce ratées, et je n’ai pas vu ma grand-mère en Angleterre depuis deux ans», regrette ainsi une fille de 11 ans. «Le pire est que tu ne peux pas mener une vie normale», confie une autre, âgée de 7 ans.

«Ces contraintes ont suscité une vague de stress, plus prononcée chez les adolescents : 36 % disent avoir éprouvé des émotions négatives sur la période, 22 % parlent aussi d’inquiétude», ajoute Claudine Kirsch. Et face à ces angoisses, les jeunes filles sont particulièrement concernées : près de trois fois plus que les garçons pour une même tranche d’âge (lire ci-contre).

Enfin, les enfants ont évoqué les activités de loisir, réduites à la portion congrue, notamment chez les élèves du secondaire, moins nombreux à fréquenter un club de sport, une communauté scout ou encore à suivre des cours de musique ou de danse.

Une réserve de temps libre qui s’est reportée directement sur les écrans (jeux vidéo en ligne, films et séries, réseaux sociaux, messageries instantanées, etc.) : en moyenne, les 6-11 ans y ont passé 2 heures par jour et leurs aînés jusqu’à 3,5 heures quotidiennes. L’effet positif étant que cela a redonné le sourire aux jeunes Luxembourgeois : 75 % déclarent que leurs appareils numériques leur ont permis de se sentir mieux, car au-delà du simple divertissement, ils ont pu garder un lien avec leurs amis.

Avec «Covid Kids 2», l’Unicef et l’Université émettent un certain nombre de recommandations pour guider les acteurs de la petite enfance et de la jeunesse dans leur action auprès des enfants. Parmi celles-ci : maintenir les écoles ouvertes, mettre en place des modules d’apprentissage social et émotionnel, adapter la quantité des devoirs, encourager l’accès aux installations sportives et événements extrascolaires, et soutenir les parents, avec des programmes qui les accompagnent aux étapes clés du développement de leurs enfants.

Rapport complet disponible sur unicef.lu

Une forme de charge mentale précoce ?

Étrange phénomène, les chiffres de l’étude révèlent que les jeunes filles ont été beaucoup plus sujettes aux inquiétudes et émotions négatives en 2021 que les garçons du même âge. Une tendance qui ne concerne pas seulement le Luxembourg, puisqu’elle se confirme dans les études internationales.

Si Claudine Kirsch y voit un lien avec le supposé degré de maturité plus élevé des filles par rapport aux garçons à cet âge, des chercheurs français, auteurs d’une vaste étude incluant 4 000 enfants de 9 à 18 ans (Santé publique France, 2021), avancent d’autres hypothèses : la perception du stress, plus importante chez les filles, leur facilité à exprimer leurs émotions, mais aussi la répartition genrée des tâches au sein de la famille, notamment éducatives et domestiques, qui s’est renforcée pendant la pandémie.

Tandis que la JIF – une vingtaine d’organisations luxembourgeoises regroupées autour de revendications féministes – soulignait récemment à quel point la crise sanitaire avait augmenté la charge mentale des femmes, contraintes d’assurer tâches ménagères, gestion du foyer, garde des enfants et école à la maison, tout en travaillant, une autre étude française («Les enfants à l’épreuve du premier confinement», Population et sociétés, 2021) a montré que les enfants avaient davantage participé aux tâches domestiques durant cette période, surtout les filles, mobilisées pour s’occuper de leurs frères et sœurs. «Le confinement a accentué les inégalités de genre dans le travail domestique des enfants», notaient ainsi les auteurs.

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