La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ouvre grand ses portes ce dimanche pour une visite guidée des lieux. L’institution poursuit ses efforts pour renforcer le dialogue avec les citoyens.
Dossier réalisé par Geneviève Montaigu
Pourquoi des tours dorées ? « Ce n’est pas pour souligner la majestuosité de la Cour », indique Gilles Despeux, attaché de presse. Dominique Perrault, l’architecte de la Bibliothèque nationale de France, cherchait un concept pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et, lors de sa visite à Luxembourg, le temps était gris et pluvieux. Il a alors eu cette vision de deux tours dans lesquelles se refléteraient les éclairs d’un orage et a décidé que ce serait la couleur dorée qui serait choisie. « Le symbole de la justice qui illumine les ténèbres », déclare notre guide pour résumer la pensée de Dominique Perrault.
Et ce symbole attire nombre de visiteurs à l’occasion de ses portes ouvertes. Il y a deux ans, ils avaient été plus de 4 000 à traverser le parvis principal pour découvrir le cœur battant de la justice européenne. Après les attentats de Bruxelles le 22 mars 2016, la CJUE avait décidé d’annuler ses portes ouvertes, qui sont organisées annuellement. Ce dimanche, le public pourra y accéder de nouveau et la visiter en apprenant son fonctionnement dans toutes les langues.
Pour la visite en luxembourgeois, c’est le juge François Biltgen himself qui s’y collera (lire ci-dessous). D’ailleurs, lors de notre tour anticipé mercredi, il siégeait dans la grande salle d’audience abritée sous un somptueux chapiteau en cotte de maille dorée.
Ce matin-là, nous avons profité d’une interruption d’audience pour pénétrer dans la salle où se tenait une affaire d’importance, ce qui expliquait cette affluence particulière. La Hongrie et la Slovaquie contestaient devant les juges européens le projet de quotas de redistribution de migrants décidé par Bruxelles. La réponse des magistrats est attendue avec impatience tant elle précisera la place de la solidarité dans les valeurs de l’Union en ces moments tourmentés. Ainsi, chaque jour, la CJUE veille à ce que la législation européenne soit interprétée et appliquée de la même manière dans tous les pays de l’UE et veille au respect des traités.
Pour le quotidien des citoyens
Il n’y a pas que les États membres qui peuvent saisir la CJUE, mais également des particuliers – dans certaines circonstances –, des entreprises ou des organisations souhaitant intenter une action contre une institution de l’UE lorsqu’ils estiment qu’elle a porté atteinte à leurs droits. C’était le cas en 2016 avec l’arrêt Schrems, du nom de ce ressortissant autrichien qui ne souhaitait plus que les données de son compte Facebook soient transférées aux États-Unis, car il avait une confiance très limitée en la protection des données personnelles dans ce pays où les services de renseignement ont accès à tout. La Commission estimait que le niveau de protection était suffisant. La Cour de justice de l’Union européenne a été d’un autre avis et a invalidé la décision de la Commission qui permettait à Facebook, depuis son siège irlandais, de transférer des données personnelles aux États-Unis.
La protection des droits des travailleurs, la protection des consommateurs, les droits et obligations des migrants ou encore la préservation de la libre concurrence ne sont que quelques-uns des domaines qui touchent le quotidien des citoyens européens et sur lesquels veille scrupuleusement la Cour.
Elle n’a rien à cacher, bien au contraire. « Il y a eu de longs débats sur la publicité des audiences parce que les États membres ont des approches différentes, mais la CJUE a pris l’option d’ouvrir ses portes au public. Tout le monde a la possibilité de venir assister aux audiences », insiste Gilles Despeux.
En revanche, le public a rarement l’occasion de pénétrer dans la très solennelle salle des délibérés, dont l’immense table ovale en bois clair vaut à elle seule le coup d’œil. Sur tout un pan de mur, les étagères supportent toute la jurisprudence européenne, reliée et rangée par couleur, selon la langue. C’est ici que les décisions sont prises.
Le visiteur découvrira la grande et majestueuse salle d’audience principale. Il pourra même avoir accès aux cabines des interprètes qui l’encerclent. « Il y aura des interprètes à leur poste ce dimanche et ils ou elles pourront répondre aux questions des visiteurs qui concernent leur métier et leur façon de travailler en direct pendant les audiences »
« Quand je reçois des groupes en visite, j’insiste toujours sur les arrêts les plus marquants, ceux qui les concernent directement comme l’arrêt relatif aux droits des passagers aériens qui ont le droit de réclamer une indemnisation si le vol a plus de trois heures de retard, ou l’arrêt Google qui concerne le droit à l’oubli sur internet et d’autres exemples qui ne manquent pas, mais qui sont très instructifs et qui montrent tout ce que l’Union apporte comme avantages au citoyen dans son quotidien », conclut Gilles Despeux.
Allez-y ce dimanche, la Cour ouvre ses portes et a tout prévu pour les enfants, donc pas d’excuse : un espace leur sera dédié dans la cantine avec des activités ludiques qui leur permettront de se familiariser avec les pays européens. Il n’y a pas d’âge pour découvrir l’autre.
François Biltgen : « Beaucoup de gens ne connaissent que la façade »
François Biltgen, ancien ministre chrétien-social de la Justice et actuel juge à la CJUE, jouera lui-même au guide pour les visites en luxembourgeois.
Vous avez l’impression que les citoyens sont encore trop nombreux à ignorer la mission de la CJUE ?
François Biltgen : Je crois que beaucoup de gens ne connaissent que la façade des deux tours dorées. L’idée, c’est vraiment de montrer que derrière cette façade il y a 2 200 personnes qui travaillent, dont 60% de femmes. Des personnes qui travaillent pour le citoyen puisque notre rôle est d’appliquer et d’interpréter le droit de l’Union qui est dans l’intérêt du citoyen.
La Cour de justice manque-t-elle de visibilité selon vous ?
La justice a un devoir de retenue, la justice ne doit pas parler d’elle-même mais de ce qu’elle fait. Elle rend des arrêts et nous nous adressons plus directement aux citoyens lors des visites de groupes ou à l’occasion des portes ouvertes comme dimanche. Cet événement, qui attire quand même 4 000 personnes, permet d’expliquer aux gens ce qu’on fait. Pour donner des exemples assez simples mais très concrets, je parle des arrêts Kohll et Decker qui concernent le remboursement du coût de soins médicaux ou de produits médicaux obtenu dans un autre État membre. Ces arrêts ont fait bouger la sécurité sociale européenne ! Il y a énormément d’arrêts qui voient le jour et l’interprétation que nous donnons est valable dans toute l’Union.
Nous avons un site internet facilement accessible et les arrêts sont traduits en 24 langues.
Comment la CJUE pourrait-elle davantage s’adresser aux citoyens ?
C’est un peu le rôle des médias de parler de nous et notre service de presse envoie régulièrement des communiqués rédigés en collaboration avec un juge rapporteur. C’est un service important, qui résume la portée de nos arrêts et se charge de leur diffusion. Moi qui lis beaucoup la presse luxembourgeoise, je dois reconnaître que cela fonctionne plutôt bien. Je crois que l’on a singulièrement renforcé notre accessibilité à travers la vulgarisation de nos décisions importantes, ce qui permet de saisir l’envergure de ce que nous faisons.
Un panorama, quatre pays
L’accès au sommet de la tour dorée reste le clou de la visite. C’est la plus haute tour du pays et depuis son 24e étage le visiteur voit se dessiner à l’horizon les trois pays voisins du Luxembourg : la France, la Belgique et l’Allemagne. Quatre pays en un seul panorama.
On peut s’attendre à voir du monde devant l’ascenseur dimanche. « Pour diminuer la file d’attente, nous avons organisé un système de tickets comme dans les parcs d’attractions qui vous indiquent le créneau horaire durant lequel vous pouvez vous présenter devant les ascenseurs et êtes prioritaire, cela évite de faire la queue. Nous conseillons aux visiteurs de commencer par la tour et de faire la visite guidée ensuite, car elle peut parfois durer plus longtemps que prévu », glisse Gilles Despeux, attaché de presse.
C’est la plus grande bibliothèque consacrée au droit de l’Union dans le monde avec 240 000 ouvrages. Elle est accessible au public de manière limitée, car la Cour ne dispose pas des moyens suffisants pour fonctionner comme une bibliothèque universitaire ou nationale. Si la référence n’existe pas ailleurs, on peut alors s’adresser à la Cour qui met sa bibliothèque un mois dans l’année à la disposition de celui qui en fait la demande.
Les rayonnages s’étalent sur trois niveaux. Au rez-de-chaussée, le visiteur découvrira trois stèles de pierre sur lesquelles est gravé le premier recueil de lois de l’humanité. La loi de Gortyne (ce n’est pas l’originale bien sûr !) est un don du gouvernement grec. Découverte en Crète, elle date du VI e siècle avant Jésus-Christ, époque à laquelle tout le droit pouvait être codifié sur quelques stèles.