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Économie : frontaliers et Luxembourg, un destin lié


«Que serait notre marché du travail, notre économie, et le Luxembourg tout court sans ces milliers de frontaliers?», interroge Claude Gengler, le directeur de notre journal, à travers ce dossier (Photo : Franois Aussems).

Il est beaucoup question depuis des semaines, de tensions à nos frontières, de revendications fantaisistes pour les uns, parfaitement justifiées pour les autres (dossier de la rétrocession fiscale). D’investissements à coups de dizaines de millions d’euros dans la mobilité, et de lancer un processus de codéveloppement. Ce dossier devrait permettre de remettre les pendules à l’heure, ne serait-ce que statistiquement parlant.

 

Une croissance soutenue grâce à l’apport frontalier

Depuis 1995, l’heure est à une folle croissance au Luxembourg comme en témoigne le graphique 1, construit à base de variables indicées (1995 = 100). À noter que, sauf avis contraire, tous les chiffres utilisés dans le cadre de cette étude proviennent du Statec (www.statec.lu).La croissance est omniprésente et multidimensionnelle : elle concerne tant la richesse économique créée (indicateur : produit intérieur brut, PIB) que la démographie et le marché du travail, bien sûr.
Le PIB est passé de 15 milliards d’euros à plus de 55 milliards d’euros, soit une progression de 270 %, c’est-à-dire plus qu’un triplement. La population a gagné presque 200 000 habitants. L’emploi intérieur a doublé, en passant de 215 500 à 432 300 postes. Mais tout ceci n’aurait pas été possible sans l’explosion du travail frontalier : les frontaliers étaient 55 500 en 1995, 183 500 fin 2017 et ils seront plus de 190 000 d’ici la fin de l’année. Le graphique 1 ne laisse pas de doute : sans ses frontaliers, le Luxembourg n’aurait pas connu l’extraordinaire progression de son PIB et son PIB par habitant serait à mille lieues du niveau actuel.
Il est intéressant de noter que le travail frontalier a même progressé pendant la crise de 2008/2009, alors que le PIB a connu un fléchissement (il est passé de 37,5 milliards d’euros en 2007 à 37,4 milliards d’euros en 2008, puis à 35,6 milliards d’euros en 2009).
Il en découle une structure de l’emploi (voir graphique 2; cette fois, ce sont uniquement les salariés qui sont pris en compte, sachant que notre économie repose également sur un nombre croissant d’indépendants non-résidents) absolument remarquable et unique en Europe : les nationaux ne représentent plus qu’un bon quart de l’emploi salarié total – il en est de même pour les étrangers résidents –, alors que désormais 45 % de la main-d’œuvre salariée est constituée de frontaliers.

 

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Les frontaliers très présents dans les secteurs clefs

Si les frontaliers sont omniprésents au Luxembourg – ils sont même plus de 2000 à travailler dans l’administration publique – ils sont évidemment plus présents dans certains secteurs que dans d’autres.
Le graphique 6 s’intéresse à quelques grands secteurs économiques clés pesant chacun entre 8 % et 12 % de l’emploi salarié total du pays (soit 407 000 personnes fin 2017).
Il s’agit de l’industrie (32 000 emplois), de la construction (43 100 emplois), très développée au Luxembourg à cause du boom immobilier, du commerce (48 700 emplois), de la place financière (46 800 emplois), c’est-à-dire des activités financières et d’assurance, et du secteur de la santé et de l’action sociale (37 000 emplois).
Si les frontaliers sont majoritaires dans les trois premiers domaines, ils représentent pratiquement la moitié des salariés de la place financière. Leur poids n’arrête pas d’augmenter non plus dans le domaine de la santé. Un hôpital comme le CHL (Centre hospitalier de Luxembourg) – le constat qui suit a déjà été fait il y a 25 ans, dans le cadre du colloque sur le travail frontalier mentionné en page 2; ce dernier était rehaussé par des interventions très attendues de la part des responsables RH du CHL justement, de la BGL, du groupe Cactus et de Goodyear – ne peut tout simplement pas fonctionner sans médecins et sans infirmières en provenance de la Grande Région.
Bien d’autres hôpitaux doivent aujourd’hui se retrouver dans la même situation.

 

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En Lorraine : frontaliers français…et d’origines variées

Tous les frontaliers de Lorraine ne sont pas des Français, même si c’est évidemment le cas pour l’écrasante majorité. Le graphique 5 fait état de ce phénomène, en augmentation constante. À noter que les chiffres de 2018 sont des estimations effectuées sur la base de la situation de 2016.
Que nous dit le graphique? Si les frontaliers originaires de France seront probablement quelque 98 000 personnes d’ici la fin de l’année, le nombre de frontaliers de nationalité française, lui, ne dépassera pas 88 000 personnes.
Qui sont ces autres 10 000? Eh bien, il peut s’agir de Belges, comme il peut s’agir de Luxembourgeois, Portugais, Polonais, Chinois ou de ressortissants de bien d’autres pays encore.
Une autre curiosité statistique concerne les lieux de résidence officiellement déclarés des frontaliers. Il est communément admis qu’un travailleur frontalier, c’est une personne qui habite une région voisine d’une frontière et qui, en particulier, va travailler chaque jour au-delà de cette frontière.
Cette définition, un peu rigide, ne tient pas compte du fait que le frontalier ne doit pas forcément rentrer chez lui tous les jours pour bénéficier du statut de frontalier.
Nous avons déjà abordé ce sujet dans le cadre d’une de nos chroniques : «Un frontalier peut être un salarié – ou un non-salarié – exerçant une activité professionnelle sur le territoire d’un autre État membre, mais où il retourne en principe chaque jour ou alors au moins une fois par semaine. Il peut donc vivre à Paris, à Bordeaux ou sur la Côte d’Azur, tout en étant affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, ce qui fait de lui un travailleur frontalier. Ce qui explique qu’environ 5 % des 80 000 frontaliers (NDLR : c’était l’effectif en 2014) traversant la frontière franco-luxembourgeoise ne résident pas en Lorraine, mais dans une autre région française. Ils sont plus de 600 au Nord-Pas-de-Calais, plus de 500 en Champagne-Ardenne, plus de 400 en Île-de-France, plus de 200 en Alsace et dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.» (Le Quotidien, 28-05-2014)

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Dire qu’en 1990, on pensait avoir atteint un plafond…

(Photo : Hervé Montaigu).

(Photo : Hervé Montaigu).

Retour en arrière, à la situation telle qu’elle se présentait en 1990. À ce moment, le Luxembourg comptait 33 000 travailleurs frontaliers, après en avoir compté 13 000 dix ans plus tôt. La place financière était en état d’ébullition: en cinq ans, de décembre 1985 à décembre 1990, le nombre de banques établies au pays était passé de 118 à 177 (+50 %) et le nombre d’employés bancaires de 10 213 à 16 335 (+60 %).
Du jamais vu! Tout cela a pu se faire grâce à l’afflux de milliers de frontaliers supplémentaires. Les grandes banques (la BIL, en particulier) ont recruté «comme des dingues», parfois plus de 200 nouveaux collaborateurs par an. Les experts (économistes, statisticiens, hommes politiques, journalistes) étaient presque tous unanimes pour constater que «plus de frontaliers, ce n’est guère possible», vu la situation économique, le degré d’utilisation des infrastructures (les premiers bouchons se formaient aux passages douaniers), la taille du pays, sans oublier la capacité intégrative de la société.
Presque trente ans plus tard, le nombre de frontaliers a sextuplé. Force est de constater que la prospective – comme l’aménagement du territoire, mais c’est un autre débat – n’a jamais été le point fort du Luxembourg.

Dossier de notre directeur Claude Gengler.

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