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Dossier/COP21 : des spécialistes imaginent le Luxembourg avec 3-4°C de plus


Si la température y grimpe bien de 3 à 4°C par rapport à l'ère préindustrielle, le Luxembourg montrera un tout autre visage. (photo AFP)

Même si la COP21 parvenait à un accord limitant le réchauffement climatique mondial à 2°C de plus en 2100, le mercure grimpera de 3 à 4°C au Luxembourg. Eau, agriculture, biodiversité, économie : Le Quotidien a demandé à des spécialistes d’imaginer ce que sera le pays avec ces nouvelles températures.

(sur le même sujet : Avis de tempête et de canicule pour 2100)

Eau : plus d’inondations et une qualité qui baisse

Jean-Paul Lickes, directeur de l’administration de la Gestion de l’eau

20140321 if illu eauLes modèles de simulation pertinents pour nos régions, qui partent d’un scénario d’une augmentation moyenne de 2-3 °C, confirment le fait que les hivers subiront une augmentation des précipitations, et que les étés seront plus secs avec cependant une pluviométrie plus extrême.

Ceci entraînera fort probablement que le régime hydrologique de nos rivières sera grandement impacté car nous nous trouvons sur la ligne de partage des eaux entre Rhin et Meuse. En effet, toutes nos rivières sont fortement assujetties par un changement au niveau des précipitations puisque les bassins tributaires sont petits et les effets tampons quasiment inexistants. On devra in fine s’attendre à des crues plus fréquentes en hiver , des régimes d’étiages plus prononcés en été et des inondations de type crue subite beaucoup plus nombreuses en été. Les activités économiques (par exemple l’agriculture) ainsi que les zones urbanisées (inondations) seront affectées en premier.

En outre, la recharge en eaux souterraines sera plus limitée car les périodes de végétation seront plus étendues (début plus précoce et fin de période plus tardive), ce qui diminuera le taux d’infiltration de la pluie vers les aquifères. Ceci aura comme effet de fragiliser l’utilisation d’une eau souterraine de bonne qualité à des fins de consommation humaine.

Finalement, nous devront nous attendre à voir d’autres espèces de faune et de flore aquatiques apparaître dans nos régions. Les hivers plus cléments et les températures plus élevées en été de nos eaux de surface engendreront des conditions de survie modifiées par rapport aux espèces actuellement indigènes sur notre territoire.

Par analogie, le changement climatique impactera aussi significativement le cycle urbain de l’eau . Des consommations plus élevées en été constituent également un défi pour notre réseau de distribution afin d’alimenter la population et les acteurs économiques. En effet, n’oublions pas que les réseaux ne sont pas facilement adaptables voire modifiables étant donné que ces infrastructures sont souterraines. Le même constat vaut pour l’évacuation des eaux pluviales en cas de pluies torrentielles, absolument nécessaires afin d’empêcher que les points bas des zones urbanisées ne soient régulièrement inondés.

J.-P. L.

Vignes : du merlot à Remich !

Robby Mannes, service viticulture de l’Institut viti-vinicole de Remich

Paysages de vignes Moselle luxembourgeoise

La vigne est une plante très sensible aux aléas climatiques et chaque cépage a ses préférences : on ne peut pas voir pousser l’un à côté de l’autre de la syrah et du riesling. Un outil permet de déterminer les bons cépages en fonction de la météo d’une région donnée : l’indice Huglin. Puisque la vigne se travaille sur le temps long (un plant donne son meilleur après 20 ans), cet instrument permet d’ anticiper les effets du réchauffement climatique . Avec un indice entre 1 700 et 1 900 (frais), le Luxembourg est la terre du riesling et du pinot noir. À l’étage au-dessus (tempéré), on trouve le cabernet-franc, le cabernet-sauvignon ou le merlot.

Si l’on veut continuer à produire du riesling à l’avenir, il faudra le planter sur des coteaux moins bien exposés au soleil qu’actuellement. Avec le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), nous lançons des recherches sur les 6,5 hectares de vignes de l’État. Elles permettent de mieux se préparer à la nouvelle donne bioclimatique, notamment en testant de nouveaux cépages .

Les résultats sont étonnants. Il y a neuf ans, j’ai planté du merlot à Remich et il donne de très beaux résultats aujourd’hui. Cette année, je l’ai vendangé à la mi-octobre avec un taux d’Oeschsle énorme (NDLR : taux de sucre). Il y a 20 ans, il ne serait même pas parvenu à maturité avant que l’hiver ne tombe. Le cabernet dorio et le cabernet dorsa donnent aussi de très bons résultats. Ces ceps d’essai sont une précieuse source d’informations pour les vignerons.

R.M. (propos recueillis par Erwan Nonet)

Monuments : gare à la casse

Patrick Sanavia, directeur du service des Sites et Monuments nationaux

20130806 Vianden, visite du château de Vianden, (photo= didier sylvestre)

Le gel étant un grand ennemi du patrimoine bâti, on peut être amené à croire que moins de gel constitue un avantage pour nos vielles pierres.

Une augmentation des orages sévères , comme on les a vus récemment en France, avec plus de pluie qui tombe brutalement, des vents violents et un risque accru d’impacts de foudre, devrait augmenter les cas de dégradations naturelles des immeubles.

On peut imaginer que des températures élevées peu connues par nos régions peuvent nous amener à entretenir autrement , de manière plus intensive encore, les éléments les plus fragiles de notre patrimoine bâti, à savoir des vitraux, des ornements divers et des objets isolés.

Enfin, quant à la notoriété de notre patrimoine, sa fréquentation par les autochtones et touristes , on peut être amené à supposer qu’un climat plus doux peut avoir un impact positif.

P.S.

Oiseaux : moins de diversité dans le ciel

Patrick Lorgé, ornithologue, ASBL natur&ëmwelt

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L’ONG BirdLife international a publié un atlas reprenant la distribution des oiseaux en Europe (y compris donc au Grand-Duché), avec en comparaison des cartes de distribution des espèces selon différents modèles de changement climatique.

Il y ressort clairement que la distribution de la plupart des espèces subira un «décalage» vers le Nord . Pour l’Europe centrale, cela signifiera vraisemblablement que certaines espèces qui, aujourd’hui, peuplent surtout le bassin méditerranéen viendront de plus en plus vers le Nord, mais qu’en contrepartie la richesse et la diversité des espèces de nos régions se déplaceront vers le Nord-Est. Notre diversité d’oiseaux diminuera . Une de nos espèces perdantes sera, par exemple, le milan royal qui est une espèce typique de l’Europe centrale. Mais aussi beaucoup d’espèces d’oiseaux chanteurs, tous insectivores, qui ne trouveront plus assez de nourriture durant la période où leurs jeunes en auront besoin, à l’instar des hirondelles ou du pouillot siffleur. Ce sont donc les espèces spécialisées sur un habitat ou une source de nourriture qui ne sauront s’adapter dans un laps de temps court qui seront les perdants.

En contrepartie, les espèces pas aussi spécialisées comme les corbeaux, étourneaux et pigeons pourront s’adapter et ne subiront pas trop de pertes. Ce sont aussi ces espèces qui, souvent, causent des problèmes aux agriculteurs…

Déjà aujourd’hui , on observe des phénomènes liés à un changement du climat, comme les hirondelles rustiques qui reviennent en moyenne trois semaines plus tôt qu’il y a une décennie. Ou encore l’hivernation de la grue cendrée, dont le nombre augmente significativement en France en hiver, phénomène inconnu il y a 30 ans, tandis que les sites d’hivernation en Afrique du Nord sont pratiquement déserts de grues.

En résumé : la diversité d’oiseaux nicheurs de nos régions diminuera, les spécialistes seront les perdants, tandis que les migrations d’oiseaux subiront de fortes modifications.

P.L.

Agriculture : des saisons chamboulées

Raymond Aendekerk, directeur de l’IBLA (Institut fir biologesch Landwirtschaft an Agrarkultur ASBL)

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Avec l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, la sécurité de l’approvisionnement alimentaire national sera confrontée à un risque croissant.

Les modèles prédisent plus de précipitations en hiver et de longues périodes sèches en été. Concernant l’élevage et les pâturages, cela va créer du stress pour les fermiers et le bétail , pour avoir assez d’herbe pour la saison végétale, et du foin pour l’hiver.

Le dépassement de limites de température pour certaines cultures pourrait augmenter le risque de mauvaises récoltes dans le sud de l’Europe de manière significative, tandis qu’il sera possible, dans l’Europe du Nord, grâce à une saison de croissance plus chaude et plus longue, de développer un plus large éventail de cultures.

Le résultat pourrait être une restriction de l’irrigation dans les mois de printemps/été qui pourrait être difficile pour les cultures horticoles intensives. Il faudra accroître la lutte contre le gaspillage de l’eau.

On va donc devoir sélectionner des variétés de cultures adaptées à un climat plus sec. Il faudra aussi s’adapter à un changement au niveau des maladies des plantes et des phytoravageurs, qui vont migrer du Sud vers le Nord.

Pour amortir les extrêmes de température et de pluie, il est important de garder et d’améliorer la fertilité des sols avec un certain contenu de humus/matière organique. Cela permet de protéger le sol contre l’érosion et la compacité; l’ agriculture biologique donne ici des bons résultats et donc des espoirs pour le futur.

R.A.

Faune et flore : s’adapter ou mourir

Christian Ries, département de l’écologie au musée national d’Histoire naturelle

Cimetière en forêt - Bois du Souvenir

Une hausse de 3 à 4 °C sera une catastrophe au niveau des évènements météorologiques, de l’hydrologie, de l’approvisionnement en eau potable.

Au niveau de la flore, nous allons assister à un «shift» vers le Nord des zones de végétation. Les espèces méditerranéennes vont devenir plus fréquentes et une partie de notre flore remontera vers le Nord si elle en a la faculté. Certaines essences d’arbres, comme le hêtre, n’y arriveront peut-être même pas.

Au niveau de la faune, le mouvement est plus rapide, nous avons déjà un «shift» vers le Nord et bien des espèces méditerranéennes sont en train de s’acclimater chez nous. En France, le suivi temporel des oiseaux communs montre qu’en 20 ans, les communautés d’oiseaux se sont globalement déplacées de 100 km vers le Nord.

Les fortes chaleurs permettront à des espèces comme le moustique tigre d’Asie d’être présentes partout en Europe et transmettront une panoplie de maladies extrêmement dangereuses comme la fièvre jaune, la dengue, la fièvre du Nil. Ces phénomènes vont faire partie de notre quotidien.

Les périodes de forte chaleur vont également affecter la croissance et la santé des arbres qui, dans nos contrées, ne sont pas habitués au manque d’eau sur de longues périodes.

Une série d’espèces adventices (NDLR : espèces indésirables) feront leur apparition dans l’agriculture, en provenance des pays tropicaux.

L’actuelle extinction massive d’espèces va s’accentuer, et des espèces vivant à l’heure actuelle dans des petites populations rélictuelles (NDLR : qui survit dans un espace restreint) sont condamnées à disparaître.

C.R.

Économie : une opportunité pour le Luxembourg

Jane Wilkinson, Partner chez KPMG Luxembourg

feuxo14La réduction du réchauffement climatique présente plusieurs enjeux. [L’un de ces objectifs] est de mobiliser des sources de financements de 100 milliards de dollars via une levée de fonds par les pays développés à l’attention des pays en voie de développement, afin de les aider à réduire leurs émissions et de s’adapter aux effets du changement climatique.

Ces fonds proviendront simultanément de sources publiques et privées à partir de 2020. Une question se pose alors : la majorité de ces fonds ne pourrait-elle pas passer par des fonds d’investissement luxembourgeois ? Alors que le Luxembourg, la Grande Région et les résidents seront affectés par les changements de température, l’impact sur l’agriculture, la pénurie de denrées alimentaires et d’eau, etc. de la même manière que les autres pays européens, il n’y a rien qui puisse stopper le Luxembourg, doté d’une forte réputation de ses services au secteur financier, de saisir les opportunités offertes par de tels changements à venir.

Le Luxembourg est le premier domicile européen pour les véhicules d’investissement axés sur les fonds environnementaux qui couvrent près de 45 % de part de marché des actifs des fonds d’investissement européens en gestion. Ceci est une reconnaissance exceptionnelle pour le Luxembourg sur laquelle nous devons continuer de travailler.

Le secteur des fonds d’investissement continue d’être innovatif de par la création d’outils pour attirer les investisseurs, notamment la récente annonce de la mise en place d’un fonds d’investissement alternatif réservé (FIAR) qui est le véhicule d’investissement parfait pour investir dans les actifs alternatifs dans l’énergie renouvelable, les infrastructures hydrauliques et autres projets mettant l’accent sur le changement climatique.

Notre secteur financier est clairement prêt et des opportunités peuvent s’en dégager. Nous serions naïfs de ne pas obtenir notre juste part dans cette levée de fonds projetée de 100 milliards de dollars par an pour les fonds d’investissements climatiques. Mais une action rapide est requise de la part du secteur des fonds au Luxembourg pour s’affirmer de manière forte comme leader en cette matière.

J.W.

Mais aussi…

Transports

Rails et routes risquent de mal supporter le réchauffement climatique. Sous l’effet de la chaleur, les rails se dilatent, les caténaires se déforment, les transformateurs électriques surchauffent, et le bitume ramollit.

Les îlots de chaleur urbains

L’été, le bitume des rues et le béton des immeubles emmagasinent la chaleur pendant la journée et la restituent pendant la nuit. Un phénomène artificiel qui va s’amplifier et qu’il faudra contrecarrer pour préserver le bien-être des citadins.

Maladies tropicales

Des spécialistes estiment que Paris deviendra la ville européenne la plus menacée par la dengue, cette infection virale qui tue des dizaines de milliers de personnes dans le monde. Le Luxembourg pourrait être impacté par cette vague de maladies tropicales venue du Sud.

Pollution

La pollution aux particules fines devrait s’aggraver avec la hausse des températures, ce qui va solliciter le cœur des personnes les plus fragiles et les rendre encore plus sensibles à la pollution aux poussières, en augmentant les risques de troubles respiratoires et cardiovasculaires.

Gibier

Si la faible proportion de prédateurs (loup, renard, lynx) joue un rôle dans la prolifération du gros gibier (type sanglier, chevreuil…), le changement climatique aussi, à cause d’un habitat plus favorable. Gare aux dégâts!

Dossier réalisé par Romain Van Dyck

Dans ce dossier : Avis de tempête et de canicule pour 2100

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