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Charlie : la riposte en silence à Luxembourg


La statue de la Grande-Duchesse était flanquée d’une affichette « Je suis Charlie ». Elle faisait face à des centaines de manifestants venus se tenir droit face à l’adversaire.

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Les Luxembourgeois ont répondu en masse à l’appel du Conseil de presse. (Photos : Isabella Finzi)

Rarement une émotion fut aussi palpable que celle qui a enveloppé la place Clairefontaine, hier, à Luxembourg. Un millier de personnes, massés devant la statue de la Grande-Duchesse-Charlotte se tenait debout dans un silence que personne n’a voulu rompre. La minute consacrée à la mémoire des victimes de l’attentat de Charlie Hebdo s’est éternisée, comme si chacun était encore assommée par cette catastrophique réalité.

C’est le cas de Xavier Bettel, le Premier ministre, grand émotif, qui dans un tel instant de recueillement, ne peut retenir ses larmes. « C’est quand je vois cette grande mobilisation pour défendre des valeurs auxquelles le Luxembourg est attaché que je suis fier d’être le Premier ministre de mon pays », lâche-t-il. Et c’est sans doute en voyant les larmes perler dans les yeux d’un public silencieux qu’il a craqué.

Le ciel est bas et sombre, la bruine balaye une place Clairefontaine encore vide vingt minutes avant l’heure du rendez-vous organisé par le Conseil de presse à 11h30. De quoi saper encore un peu plus un moral déjà en berne. Quand les groupes ont commencé à affluer pour converger vers la Grande-Duchesse sur son piédestal, symbole de résistance, personne n’imaginait qu’en quelques minutes, la foule allait noircir les lieux.

Alors que le président du Conseil de presse, Roger Infalt, énumère les noms des douze victimes de l’attentat, dans les rangs, de nombreux membres du gouvernement, de la Chambre des députés, des élus de la capitale et des centaines d’anonymes se dressent, mines fermées, mais sacrément déterminés à manifester leur attachement à la liberté en général, et à la liberté d’expression en particulier.

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Roger Infalt (à g.) et Xavier Bettel, submergés par l’émotion, hier. (Photo : Jean-Claude Ernst)

Dans la foule, Marie-Thérèse tient, serrée contre elle, comme tout le monde pratiquement, sa petite affichette « Je suis Charlie » en hommage à l’hebdomadaire satirique décimé la veille. « Je représente toute ma petite famille. Mon mari avait des rendez-vous qu’il ne pouvait déplacer, et mes deux enfants sont au lycée. Hier soir, ils m’ont mandaté pour venir en leur nom à eux aussi, dire combien nous condamnons cette barbarie et combien nous soutenons les valeurs démocratiques », confie cette mère de famille, dont le travail à mi-temps lui a permis de se libérer.

Étudiants, hommes et femmes politiques de tous les bords, représentants des cultes, ont tenu à être présents. « Je suis content de voir autant de monde se mobiliser spontanément pour défendre la liberté d’expression. Il ne suffit pas de condamner dans son coin, installé au fond de son canapé. Il faut descendre dans la rue et se tenir debout face à l’adversaire qui veut détruire les valeurs de notre société. J’espère que cet horrible attentat aura au moins servi à réveiller les consciences, aussi bien celles des citoyens que celles des politiques. Luttons intelligemment », témoigne Luc, « banquier socialiste », comme il se présente avec un brin d’amusement.

> « Descendre dans la rue et se tenir debout »

Au pied de la statue, des anonymes déposent des bougies entre deux bouquets de fleurs. Les brefs discours sont passés depuis longtemps, mais la place ne se vide pas. Le temps semble tourner au ralenti. Au lieu de se disperser, les manifestants sont restés longtemps immobiles prolongeant encore le recueillement avant de former de petits groupes de discussion. Les plus âgés d’entre eux se sont souvenus de leurs jeunes années, égayées par les célèbres coups de crayon des caricaturistes assassinés hier. « Dans les années 70 à Paris, quand nous étions étudiants nous nous régalions de Hara-Kiri, Charlie Hebdo et des BD que publiait Wolinski, par exemple. Je suis profondément triste depuis hier, car c’est une partie de ma vie, et pas des moindre, que des terroristes ont tuée. Mais je suis encore tellement en colère que j’ai envie de voir les auteurs de cette tuerie entre quatre planches ! », ne se prive pas de commenter Victor, sexagénaire engagé.

Un peu plus loin, Martine Kleinberg, vice-présidente du Comité pour une paix juste au Proche-Orient, ne trouve pas tout de suite les mots. « C’est au-delà de toute compréhension, et pourtant, il faut chercher à comprendre ce qui se passe dans la tête de ces personnes. Comment devient-on l’assassin de caricaturistes ? Je pense qu’il faut d’abord soigner le mal à la racine », estime-t-elle.

Responsable du journal satirique Feierkrop, Jacques Drescher est venu naturellement soutenir la rédaction de Charlie Hebdo. « Nous espérons que le journal va continuer à être publié. Nous avions collaboré en 2000 avec les caricaturistes de Charlie Hebdo qui avaient illustré pour nous l’intronisation du Grand-Duc Henri. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de réagir à l’événement car nous passons sous presse aujourd’hui. Nous leur rendrons hommage en publiant les dessins de 2000. Je ne peux pas voir les terroristes qui ne respectent pas nos heures de bouclage ! », lâche-t-il dans un pur esprit Charlie Hebdo.

Après une heure sur la place, la foule s’est lentement dispersée. Des centaines de personnes venaient de vivre un intense moment de recueillement à la mémoire des victimes d’un attentat sans nom.

De notre journaliste Geneviève Montaigu


 

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