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Antibiotiques : « On est dans une situation d’urgence »


Spécialiste en maladies infectieuses, le Dr Jean-Claude Schmit a pris ses fonctions de directeur de la Santéau ministère de la Santé le 1er janvier dernier, après avoir été directeur du LIH (Anciennement CRP-Santé). (Photo : Editpress)

Au Luxembourg, on prescrit trop d’antibiotiques, notamment aux enfants, déplore le nouveau directeur de la Santé, le Dr Jean-Claude Schmit. Ce qui alimente l’antibiorésistance, une véritable bombe à retardement.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d’urgence sanitaire : certains antibiotiques deviennent inefficaces, et certaines infections pourraient recommencer à faire des ravages. Le Luxembourg, l’un des plus gros consommateurs de ces médicaments, se réveille tardivement.

La résistance aux antibiotiques serait l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, prévient l’OMS.

Jean-Claude Schmit : Oui. On est dans une situation d’urgence. On a de plus en plus de cas où on n’a plus d’antibiotiques efficaces à proposer à des malades. En désespoir de cause, on se rabat sur d’anciens antibiotiques que plus personne n’utilise car ils sont très toxiques. Ou bien on n’a carrément plus d’antibiotiques à proposer.

Quelles bactéries nous menacent tout particulièrement ?

Des bactéries hospitalières. Le staphylocoque est un exemple connu, mais ce n’est pas celui qui nous inquiète le plus, c’est plutôt l’évolution de bactéries comme la Klebsiella (NDLR : responsable d’infections urinaires). Ce sont les bactéries qui deviennent résistantes aux antibiotiques, pas l’homme. On vit avec les bactéries, elles sont indispensables à notre vie, mais en cas de maladie, l’équilibre est rompu et la bactérie profite d’un état de faiblesse immunitaire ou d’une maladie pour déclencher une infection.

S’avance-t-on vers une ère post-antibiotique, où des infections que l’on savait soigner pourront à nouveau tuer ?

Disons que les infections mineures ne seront pas mortelles si elles ne l’ont jamais été. On ne mourait pas d’angine avant la découverte des antibiotiques. Par contre, les infections graves deviennent plus dangereuses. Par exemple, la pneumonie, qui était depuis toujours potentiellement mortelle, et qui le devient de plus en plus. Mais là où cela nous inquiète le plus, c’est à l’hôpital, avec les personnes déjà fragilisées par des maladies graves… C’est là qu’on va avoir davantage de morts.

L’antibiorésistance est pourtant un phénomène naturel.

En effet, il y a certains microbes qui sont naturellement résistants, mais c’était un phénomène rare avant l’apparition des antibiotiques, dans les années 40. Or, quelques années après le premier antibiotique, la pénicilline, on observait déjà des résistances à cet antibiotique.

Un phénomène « darwinien »…

Oui, c’est de la sélection naturelle. Parmi les milliards de bactéries, celles qui, à la suite d’une mutation, sont résistantes peuvent survivre aux antibiotiques et se multiplier.

Mais pourquoi ce phénomène s’aggrave-t-il ?

Parce que le mauvais usage des antibiotiques favorise la résistance. À commencer par l’utilisation d’antibiotiques là où il n’y a pas lieu d’en prendre. Par exemple, les bronchites : 80 % des bronchites sont des infections virales, donc où les antibiotiques sont inefficaces. C’est le cas aussi de l’état grippal, du rhume, toutes les infections qu’on a en hiver et qui ne nécessitent souvent pas d’antibiotiques. Les angines virales, que l’on confond avec les angines bactériennes, aussi…

Parlons-en. Rares sont les médecins généralistes qui proposent le test rapide de dépistage de l’angine, qui prend 15 minutes, et qui permet d’éviter la prescription inutile d’antibiotiques.

C’est effectivement la réalité. Et le Luxembourg n’y échappe pas.

N’est-ce pas scandaleux ? Pourquoi les médecins ne font-ils pas systématiquement ce test ?

On a essayé de favoriser ces tests, mais il faut admettre que la majorité des généralistes ne les utilisent pas. Après, il faut aussi dire que, souvent, il y a une pression des patients pour avoir des antibiotiques. Certains vont se plaindre et dire : « Le médecin ne m’a même pas prescrit d’antibiotiques, donc c’est un mauvais médecin, je vais aller voir ailleurs. » Donc il faut éduquer les médecins, mais aussi les patients.

Quels sont les autres mauvais usages des antibiotiques ?

Un deuxième problème, c’est la prise de mauvais antibiotiques. C’est encore un problème d’éducation des médecins. Ils ont parfois tendance à utiliser des antibiotiques à spectre très large (NDLR : qui sont efficaces sur un grand nombre de bactéries). Ainsi, ils se disent qu’ils ne peuvent pas se tromper.

Au risque donc de favoriser l’antibiorésistance…

Oui. Et le troisième mauvais usage, c’est la prise d’antibiotiques à des dosages ou des durées incorrects. C’est par exemple le patient qui pense que trois comprimés, c’est trop, et que deux ça suffit. Ou celui qui pense être guéri et qui arrête le traitement trop tôt.

D’autres conseils pour freiner l’antibiorésistance ?

L’hygiène, avant tout. Mais sans tomber dans l’excès. Cela ne sert à rien de désinfecter le sol où jouent les enfants. Serrer la main de quelqu’un est bien plus risqué. Se laver les mains est la base. Là où l’hygiène devient plus importante, c’est là où les gens sont affaiblis, comme à l’hôpital, où la plupart des problèmes viennent des mains. Un message important aussi, c’est que les gens ne doivent pas mettre de pression inutile sur leur médecin. Un bon médecin sait quand il a besoin de prescrire un antibiotique.

Le rapport aux antibiotiques ne s’améliore-t-il pas ?

Je ne pense pas qu’il y ait un gros changement de mentalité ces dernières années, ni de variations dramatiques. Le Luxembourg fait partie, avec la France, des pays qui prescrivent le plus d’antibiotiques. Les généralistes restent les plus gros prescripteurs. Mais à l’hôpital, la consommation est aussi énorme, surtout avec des patients dans des états critiques qui ne peuvent se priver d’antibiotiques.

Les enfants reçoivent beaucoup d’antibiotiques. Quels sont les risques pour leur santé ?

Avec les personnes âgées, ce sont les personnes les plus souvent malades, donc, dans un sens, c’est normal. Mais la plupart des prescriptions pour les enfants sont inutiles.

Inutiles ?

Oui, car ce sont souvent des virus qui sont en cause. Mais une fois encore, le médecin ne veut pas prendre de risque, et il y a la pression des parents.

Qu’en est-t-il de la responsabilité politique ? Le Luxembourg a-t-il suffisamment combattu l’antibiorésistance ?

Lutter contre les antibiotiques est assez difficile dans un pays où on tient à nos libertés. Mais cela va bouger. On a décidé de mettre en œuvre un plan antibiotique, au plus tard mi-2017. Ce ne sera pas seulement de la sensibilisation, il y aura aussi des actions envers les médecins, le public, etc., pour limiter l’utilisation d’antibiotiques.

Pourquoi ce plan intervient-il si tardivement ?

C’est une question de priorité. Il y a beaucoup de priorités, mais avec des ressources limitées. En 2015 et 2014, le cancer était la priorité. Mais il y a d’autres plans qui demandent de gros efforts, comme le plan démence. Le prochain sera le plan antibiotique, c’est promis.

Propos recueillis par Romain Van Dyck

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