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André Roeltgen : «Je peux passer le flambeau la conscience tranquille»


Le président sortant de l'OGBL reste décidé à désamorcer le conflit ouvert dans lequel se trouvent syndicats et patronat depuis mi-septembre. (Photo Julien Garroy)

André Roeltgen aborde ce lundi matin sa dernière semaine comme président de l’OGBL. Le syndicaliste revient sur son mandat et dresse le portrait de celle qui doit lui succéder vendredi : Nora Back.

Votre présidence va s’achever par une semaine très chargée avec la réunion très attendue du Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE) ce lundi et le congrès de l’OGBL, prévu vendredi et samedi. Dans quel état d’esprit abordez-vous ces deux échéances ?

André Roeltgen : Bon nombre de travaux préparatifs doivent être effectués en amont du congrès. On va soumettre aux délégués un nouveau programme quinquennal. Il y aura aussi des changements au niveau des statuts et du personnel dirigeant. La différence est que cette année les préparatifs sont accompagnés d’une actualité politique. La réunion du CPTE aura lieu avec, en toile de fond, une situation conflictuelle que nous n’avons ni provoquée ni souhaitée. Le camp syndical insiste pour que le gouvernement reste fidèle à son engagement de revaloriser le CPTE, lieu choisi pour négocier les réformes du droit du travail. Malheureusement, le patronat tente de se refuser à cette négociation. Cela est inacceptable.

Je n’ai encore jamais répondu aux provocations

Avec Nicolas Buck, le président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), vous êtes confronté à votre dernier adversaire patronal. Il a évoqué le fait que le bras de fer sur le dialogue social était à considérer comme le dernier rugissement du vieux lion du Sud qu’est André Roeltgen. Que vous inspire cette comparaison ?

Tout le monde sait que je n’ai encore jamais répondu aux provocations. Les discussions ont souvent été très musclées, mais elles ont toujours été menées de manière objective. Mais concernant l’image du vieux lion qui rugit pour la dernière fois, je pourrais quand même rétorquer à M. Buck qu’une jeune lionne, venant également du Sud (NDLR : Nora Back, seule candidate pour succéder à André Roeltgen à la tête de l’OGBL), va rugir aussi fort mais sans polémiquer et en faisant preuve d’une argumentation qui m’a toujours été chère.

Lors de la grande manifestation de protestation du 19 novembre, vous aviez annoncé que le camp syndical tendait une main au patronat pour renouer avec le dialogue social. Avez-vous depuis constaté des signaux de la part de l’UEL indiquant qu’elle va accepter cette offre ?

La balle se trouve dans le camp du patronat. La seule présence à la réunion du CPTE n’aura aucune signification. On sait qu’ils ne vont pas boycotter le rendez-vous. Mais l’enjeu majeur est de savoir s’il sera possible d’entamer des négociations à trois sur les points que le gouvernement souhaite réaliser. Si l’UEL continue de se retrancher derrière sa nouvelle méthode de travail, clairement orientée contre le modèle social, on n’arrivera pas à avancer.

Si le blocage persiste, peut-on vraiment dire que la paix sociale est menacée au Luxembourg ?

Si le patronat n’est plus disposé à trouver des compromis après une négociation tripartite, le modèle social est clairement remis en question. Dans ces conditions, l’UEL n’est plus à considérer comme partenaire social mais comme ennemi social. Je n’ai pas d’autre terme pour qualifier cette attitude. À un moment, il faut dire stop et prendre ses responsabilités.

Le dialogue social prôné par le patronat est une coquille vide

Mais vu la dégradation progressive des relations avec le camp patronal, des compromis restent-ils toujours possibles ?

Notre première option reste le modèle social luxembourgeois, garant de la paix sociale et facteur important pour le développement économique, politique et social du pays. On reste prêts à négocier sans fixer des conditions préalables. Mais si l’autre camp ne veut pas accepter la main tendue, les conflits seront inévitables.

L’OGBL, le LCGB et la CGFP affirment que la véritable intention du patronat serait d’écarter les syndicats des entreprises. Redoutez-vous vraiment un tel scénario ?

Le dialogue social prôné par le patronat est une coquille vide, sans participation des syndicats ni des délégations du personnel, sans discussion sur la promotion des conventions collectives (CCT) et sans discussion sur une adaptation du droit du travail. La politique d’obstruction concernant la législation sur les délégations du personnel dure depuis près de 20 ans. La seule revendication a été celle d’une dégradation radicale du cadre légal.

Mais est-ce que les syndicats ne sont pas déjà écartés des entreprises en sachant que la moitié des salariés n’est pas couverte par une convention collective et que la moitié des délégués du personnel n’est pas syndiquée ?

Il ne faut pas tout mélanger. Dans certaines entreprises, on parvient toujours à trouver des compromis. Pour ce qui est des délégués, il faut surtout prendre en compte les grandes entreprises. Ici, la représentation syndicale est très forte, ce qui donne une tout autre image de la situation. Il n’y a pas eu de dégradation structurelle. Mais il est aussi vrai qu’avec le fort développement de l’économie, notamment dans le secteur tertiaire, la mise en place d’une véritable représentation syndicale prend du temps. Notre volonté reste toutefois que chaque salarié du pays soit couvert par une CCT.

L’OGBL est indépendant et politiquement neutre

Un des reproches majeurs du patronat est la trop grande proximité entre le camp syndical et le ministre du Travail socialiste. Pourtant, lors de votre arrivée à la tête de l’OGBL, il avait été mentionné que vous n’aviez pas la même connexion avec le camp politique que vos prédécesseurs. Qui dit vrai ?

L’OGBL est indépendant et politiquement neutre. En tant que président, je suis lié à notre programme et à rien d’autre. Mais il est vrai que l’on tente très souvent de donner une autre interprétation des choses. Il s’agit d’une idéologie propagandiste qui a comme seul objectif de mettre la pression sur le gouvernement. En fin de compte, il s’agit de trouver des compromis à trois. Les résultats des négociations ne sont d’ailleurs pas toujours passés comme une lettre à la poste auprès de nos différentes structures.

Vous estimez donc que les syndicats ont toujours leur raison d’être, contrairement à ce qui est insinué par certains cercles ?

Il ne s’agit pas d’une boutade de dire que l’importance des syndicats ne cesse de progresser. Pour s’attaquer aux défis liés à la digitalisation, il faut davantage renforcer le modèle social luxembourgeois. Je ne vois pas comment une approche unilatérale pourrait mener à des résultats concrets. Le même constat vaut pour les défis liés à la politique climatique. Pour toute mesure qui sera prise, il faudra un large consensus sociétal. Créer encore plus d’inégalités et de fractures sociales ne mènera à aucun consensus pour aborder ces énormes défis. Dans ce contexte, le rôle à jouer par les syndicats est énorme.

Ne regrettez-vous pas que le fossé entre riches et plus pauvres n’ait cessé de grandir au fil de votre mandat ?

Le bilan est mitigé. L’OGBL était le fer de lance pour arracher, en 2014, un accord avec le gouvernement sur le paquet d’avenir, qui n’était rien d’autre qu’un paquet d’austérité. On était déjà convaincus à l’époque qu’il était superflu d’accentuer encore la politique d’austérité, qui avait déjà fortement impacté le pouvoir d’achat des ménages. Il s’agit d’une des raisons majeures de l’évolution négative de presque tous les indicateurs ayant trait aux inégalités sociales.

Les attaques patronales ne font que souder le mouvement syndical

Le paquet d’avenir n’était que le point de départ d’un long bras de fer avec le gouvernement…

En 2015, nous avons en effet lancé notre campagne pour un paquet social. Cela nous a permis d’avoir un impact sur la réforme fiscale, qui n’a cependant été qu’une compensation partielle des mesures d’austérité décidées dans les années précédentes. L’OGBL continuera à insister pour adapter le barème d’imposition à l’inflation. On est parvenus à s’opposer à une flexibilisation totale des heures de travail. La pression exercée par l’OGBL a aussi permis la hausse du salaire social minimum, même si l’augmentation se limite à 0,9%. Il manque toujours 9,1% pour arriver aux 10% revendiqués de notre part. Le fait d’avoir évité toute dégradation de la qualité des prestations dans le cadre de la réforme l’assurance dépendance est un autre acquis. Je citerais encore les adaptations au niveau des bourses d’études, l’introduction du compte épargne-temps ou l’adaptation du congé parental.

Quelles sont votre plus grande satisfaction et la plus grande déception de votre mandat ?

Je retiendrais l’accord historique trouvé dans le secteur social et celui de la santé. La mobilisation en juin 2016 de plus de 9 000 manifestants a été le point d’orgue d’un bras de fer long de plusieurs décennies. Il est déplorable qu’il ait fallu faire grève dans les maisons de retraite, mais en fin de compte, on a obtenu satisfaction. Le point négatif majeur reste le refus continu du gouvernement de respecter l’accord de 2014 prévoyant une adaptation régulière des prestations familiales à l’évolution du revenu médian.

Avec le récent boycott patronal, vous pouvez terminer votre mandat avec un camp syndical uni, et ce, malgré des attaques à répétition contre le LCGB. Le souhait de voir un syndicat unique se former reste-t-il d’actualité ?

Les attaques patronales ne font que souder le mouvement syndical. Les différents syndicats savent qu’il n’existe pas d’autre option à ce front commun. Face aux défis qui doivent être relevés, un syndicat unique pourrait avoir une bien plus grande efficacité et productivité. Il faut investir beaucoup d’énergie pour que l’alliance existant à présent reste de mise.

Nora Back va se situer dans la même lignée

Centenaire depuis 2016, l’OGBL doit suivre quelle voie pour conserver son statut ?

Lors de mon arrivée fin 2013 à la tête de l’OGBL, j’avais souligné que ma mission primaire était d’assurer une continuité à tous les niveaux. Mais il faut aussi s’adapter aux évolutions sociales et technologiques. John Castegnaro, Jean-Claude Reding et moi-même sommes trois personnalités différentes, qui ont chacune su adapter leur style de présidence aux besoins de l’époque. Nora Back va se situer dans la même lignée. Son arrivée n’a rien de négatif et elle sera rafraîchissante. Je peux donc passer le flambeau la conscience tranquille.

Et pourtant, votre non-élection à la Chambre des salariés a accéléré les choses. Pouvez-vous aujourd’hui revenir sur les circonstances de ce scrutin, qui vous a clairement laissé un goût amer ?

Il n’est pas dans mon idée de chercher des justifications. Lorsque je suis devenu président de l’OGBL, j’avais conscience qu’il existait une opposition interne. Cette opposition reste de mise. Il existait donc bien un potentiel pour ne pas obtenir les voix nécessaires. En fin de compte, l’OGBL a récolté 92% des voix de liste. Ce sont 8% des voix qui ont décidé de la composition finale. Il ne faut donc pas surestimer un résultat personnel. Cela n’a cependant rien changé à mon choix. J’avais dès le départ affirmé que je ne comptais pas achever un deuxième mandat à la tête de l’OGBL. Après deux années, j’aurais quitté ma fonction. Il n’est pas dramatique que les choses se soient accélérées.

Allez-vous partir à la retraite vendredi soir, dans la foulée de l’élection de votre successeur ?

Non, je ne vais pas partir à la retraite. Il est prévu que je conserve un rôle de conseiller de la future présidente et de la nouvelle équipe dirigeante, bien sûr à condition qu’elle soit élue vendredi. Ma tâche consistera à continuer de garder à l’œil des évolutions politiques et sociales, et plus particulièrement le logement, la fiscalité, le climat et les inégalités sociales. Je vais durement travailler, sans être présent dans la gestion courante. La compétence pour mener les négociations sera entre les mains de Nora Back et de son équipe.

Entretien avec David Marques

Repères

ÉTAT CIVIL. André Roeltgen est né le 22 mai 1959 à Esch-sur-Alzette. Âgé aujourd’hui de 60 ans, il est marié et père d’un enfant.

FORMATION. Après le lycée, André Roeltgen entame des études de psychologie et de politique à Innsbruck en Autriche.

SYNDICALISTE. Alors qu’il est encore lycéen, André Roeltgen s’engage dans le Mouvement de la paix. Son premier poste de syndicaliste est celui de délégué du personnel à l’APEMH (Association des parents d’enfants mentalement handicapés).

OGBL ET CES. De 1990 à 2009, André Roeltgen occupe le poste de secrétaire central du syndicat Santé, services sociaux et éducatifs de l’OGBL. Il intègre le bureau exécutif en 2003. En janvier 2009, il est élu secrétaire général de l’OGBL. Entre 2011 et 2013, il préside le Conseil économique et social (CES).

PRÉSIDENCE. André Roeltgen devient, en décembre 2013, le troisième président de l’OGBL. Il succède à Jean-Claude Reding, qui avait pris la succession de John Castegnaro. Vendredi, André Roeltgen sera amené à passer le témoin à Nora Back. Elle deviendra alors la première femme à la tête de l’OGBL.

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