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Une affaire messine bouleverse le droit antiterroriste


Les services de la DGSI mènent une surveillance accrue sur le terrain et sur internet. (Photo : Francis Reinoso)

Le seul fait de télécharger et de détenir des vidéos de propagande jihadiste n’est plus un délit depuis le vendredi 19 juin. Au départ de cette décision du Conseil constitutionnel, l’histoire d’un Messin. Son avocat, Me Redouane Saoudi, raconte ce combat judiciaire qui n’est pas encore tout à fait terminé.

Une curiosité malsaine. En 2018, ce Messin se cherche. Son divorce est douloureux, il connaît le chômage. En difficulté sur le plan personnel, cet homme, 43 ans à l’époque, est en quête de sens et «de spiritualité», dit Me Redouane Saoudi. «Comme beaucoup, il utilise un moteur de recherche dans sa quête et pousse jusqu’à comprendre comment certains en arrivent à commettre des actes abjects. Une curiosité que l’on peut juger malsaine», prolonge son avocat. Un problème avec des représentants de la mosquée du quartier de Borny provoque un signalement. Et une procédure judiciaire.

Lors de perquisitions à son domicile, la police met la main sur des vidéos de propagande islamiste. Jugé en comparution immédiate, l’homme est condamné pour recel d’apologie du terrorisme à cinq ans de prison, dont un an avec sursis. « Paris, devant des juges spécialisés dans les affaires de terrorisme, ce sont des peines données à des individus revenant de Syrie…»

Me Saoudi considère que cette infraction n’est pourtant pas concevable. «Ce n’est pas parce que l’on regarde des images que l’on est favorable aux actes commis dans ces vidéos.» En appel, son client voit sa peine réduite à un an.

La Ligue des droits de l’homme s’empare du dossier. Le Messin et son avocat forment alors un pourvoi en cassation. Nouvelle désillusion. La Ligue des droits de l’homme s’en mêle. Une question prioritaire de constitutionnalité est déposée. Me Patrice Spinosi reprend l’argumentation de son confrère mosellan. La décision tombe le 19 juin : le Conseil constitutionnel a supprimé ce délit, déclaré anticonstitutionnel.

«C’est, selon lui, une atteinte à la liberté d’expression. C’est plein de sagesse», estime Me Saoudi, «car ce n’est pas parce que tu télécharges ça que tu fais de l’apologie. L’apologie, c’est une opinion, et receler une idée, ce n’est pas possible. En 2015, 80 millions d’exemplaires de livres Mein Kampf ont été vendus. Les acheteurs ne sont pas tous des admirateurs de l’auteur. Ce n’est pas comme si mon client avait prêté allégeance, si on avait retrouvé un drapeau de Daech… Là, il y aurait eu une adhésion à ces thèses. Pas ici. Cette décision est rassurante. Nous sommes dans un État de droit et il ne faut pas transiger avec ces règles juridiques.»

Une décision qui change beaucoup de choses. Les conséquences de cette décision sont multiples. D’abord pour le quadragénaire lorrain. Sa peine d’un an de prison devait être aménagée, tout a été stoppé. «La réactivité du parquet et du juge de l’application des peines pour ne pas aggraver la responsabilité de l’État et constituer une détention arbitraire est à souligner», note la défense. «Nous allons demander un procès en révision. Nous allons également saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour demander la condamnation de la France.»

La justice administrative va également être activée «pour réparer les dommages causés. Et ils sont nombreux dans la vie de cet homme». Plus généralement, cette décision porte un sérieux coup au travail de surveillance de la mouvance islamiste par les forces de renseignements. Les procédures de ce genre se multipliaient depuis les attentats du Bataclan.

Kevin Grethen (Le Républicain lorrain)

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