Alors que les témoins accablent Saïd depuis près de deux semaines, son épouse, bien que peu informée sur ses activités, a cherché à faire pencher une balance bien chargée.
Les témoignages se suivent et se ressemblent depuis six audiences face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Anciens locataires, anciens collaborateurs et proches de la victime présumée dressent un portrait peu reluisant du prévenu, qui semble prêt à tout pour briller. Saïd est suspecté d’avoir séduit Jiaoli pour profiter de son argent. La jeune femme de 38 ans est tombée dans le miroir aux alouettes que le prévenu lui tendait avant de découvrir l’envers du décor dépeint par les différents témoins.
Sous emprise, selon un psychologue, elle a fui en Chine, son pays d’origine. Le trentenaire à l’allure soignée aurait dirigé son monde en alternant séduction et violence, selon un expert psychiatre. Sur le banc des prévenus, il écoute, impassible, pleuvoir les accusations à son encontre. L’affaire avait démarré le 5 mai 2019 après que l’ex-mari de la victime présumée a prévenu la police sur demande de son ancienne belle-mère qui prétendait que Saïd avait enlevé sa fille à son retour de Chine.
➡ Un prévenu au «charme superficiel»
Les enquêteurs ont mis le nez dans une nébuleuse de sociétés, de factures, d’impayés ou de trop-payés, ainsi que de biens immobiliers, de personnages troubles et de faux. Un ancien locataire prétend que la victime présumée était présente à la signature de son contrat de bail alors qu’à ce moment-là, elle était censée se trouver en Chine. «Il y avait une petite dame, dit le témoin. On me l’a présentée comme étant Jiaoli.» Confronté à cette dernière et à sa maman hier, il prétend ne les avoir jamais vues avant. «Monsieur Saïd m’a dit que la dame qui l’accompagnait était la propriétaire de l’immeuble», ajoute l’homme.
Il dit avoir été escroqué par Saïd. «On m’a montré un grand appartement et, au final, on nous a mis dans un petit appartement insalubre en attendant que les travaux soient finis dans l’autre. Il n’a jamais accepté de nous mettre dans le grand appartement», explique le témoin. Tout comme un autre témoin, réfugié syrien également, avant lui. Le prévenu lui aurait demandé de payer 4 500 euros, dont 3 000 de garantie locative, en liquide, en lui disant avant la signature du bail : «Si tu ne payes pas, tu perds l’appartement!» Malgré cela, le témoin dit «bien aimer Saïd» et lui pardonner.
Ce dernier s’est défendu en affirmant qu’une des sœurs de Jiaoli était présente ce soir-là. «Le prévenu s’est bien gardé de nous le dire avant pour nous permettre de vérifier», constate la présidente de la chambre criminelle.
«Ce n’était pas si sérieux que ça»
«Je pense qu’il avait les compétences pour faire ce métier, sinon il ne l’aurait pas exercé aussi longtemps», affirme l’épouse du prévenu, qui suppose que l’agence immobilière et de construction de Saïd «avait du succès». La trentenaire au physique discret est sur la défensive. La présidente de la chambre criminelle s’étonne qu’elle ne semble pas savoir grand-chose sur l’argent qui entrait dans le ménage, de même que sur l’origine des fonds qui ont permis à son époux de créer son entreprise. «Il m’a dit qu’il avait un partenaire en affaires», affirme la jeune femme qui ne l’a pas interrogé plus avant. La présidente continue de s’étonner de son manque de curiosité.
Au début du moins. Après, elle a fait ses recherches. «Vous avez découvert une femme d’origine asiatique devant votre porte à plusieurs reprises et votre mari vous a menti en disant que cela pouvait être une voisine», lui rappelle la présidente. «Je l’ai confronté et il m’a répondu que ce n’était pas si sérieux que ça», note la jeune femme. «Comme au cinéma!», rétorque la présidente. «Jiaoli l’a vu différemment, mais on ne sait pas ce qu’il lui a raconté.»
Saïd aurait battu son épouse à deux reprises. «Pourtant, malgré tout cela, souligne la présidente, vous n’avez pas songé à divorcer.» «Il faut penser à notre fille», répond l’épouse qui indique être en recherche de solutions pour éviter d’avoir à s’y résoudre. «Vous êtes dans le schéma des violences domestiques», poursuit la présidente, lisant des extraits de sa déposition à la police. Cette dernière s’est déplacée une quinzaine de fois à leur domicile.
À la barre, la trentenaire n’ose pas accabler le prévenu. Elle raconte l’état de détresse physique et morale dans lequel il se trouvait après le départ de Jiaoli. La présidente n’y croit pas : «Il se comporte de cette manière avec vous et de l’autre côté, il savait très bien se débrouiller. Il a obligé une amie de la victime à démissionner de son poste pour venir l’aider au restaurant avant de le fermer au bout de quelques jours.»
Après l’arrestation de Saïd, une très jeune femme se présentant à sa porte comme étant Jiaoli est venue s’excuser d’avoir prévenu la police, raconte le témoin. «Elle me réclamait le numéro de téléphone d’un certain Omar et deux dossiers», se souvient l’épouse. «Une dame masquée l’accompagnait. Elle me tournait le dos. J’ai trouvé qu’elles se comportaient étrangement.» «Il y a beaucoup de personnes qui se comportent étrangement dans cette affaire», a conclu la présidente. Jiaoli pourra s’expliquer de cet épisode cet après-midi.