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«Un face-à-face avec le juge est mieux»


Lors de la sortie de crise, cela pourra être l'occasion de réfléchir «si l'une ou l'autre mesure est compatible avec les droits fondamentaux et de l'entériner ou sous une forme adaptée». (Photo : archives lq/Isabella Finzi)

Depuis fin mars, les demandes de mise en liberté provisoire des détenus au Luxembourg sont jugées sur dossier. Si la procédure écrite doit rester une mesure de crise, quid des autres adaptations procédurales? Réflexions.

À crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Durant la crise, la justice s’est adaptée. Citons notamment la procédure écrite pour les demandes et requêtes adressées aux chambres du conseil et la suspension de certains délais. Le moment où la suspension de ces délais prendra fin n’est pas connu. Ce qui est néanmoins sûr, c’est qu’à la fin de l’état de crise le législateur devra décider de ce qu’il adviendra des sanctions stipulées dans le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. «La question se pose si le parquet peut poursuivre des affaires pour une incrimination qui n’existe plus… Tout cela devra être entériné par une loi», nous indiquait jeudi dernier le procureur d’État de Luxembourg, Georges Oswald.

Si une grande partie des mesures prendront fin à la sortie de la crise, pour le procureur cela peut aussi être l’occasion de réfléchir «si l’une ou l’autre mesure est compatible avec les droits fondamentaux et de l’entériner ou sous une forme adaptée». Pourquoi ne pas davantage recourir au système de la visioconférence? La procédure écrite pourrait aussi être maintenue pour une partie des chambres du conseil. «Mais en matière pénale, le débat contradictoire reste élémentaire», prévient Georges Oswald.

«Mimiques, réactions… et réel débat contradictoire»

«La présence physique à l’audience est importante. Elle permet de voir mimiques et réactions et d’assurer un réel débat contradictoire.»

C’est aussi l’avis que partagent les avocats pénalistes quand on aborde le sujet avec eux. «La liberté et la santé sont les choses les plus importantes pour une personne détenue», rappelle Me Eric Says. «Il est important que la personne privée de liberté ait la possibilité d’être face aux juges. Cela ne suffit pas de lire ou entendre juste ce que dit l’avocat. Mais le tribunal doit pouvoir se faire une image du détenu.» La procédure écrite pour une obtention d’une mise en liberté provisoire pendant la détention préventive, cela doit rester une mesure de crise, jugent les avocats pénalistes que nous avons entendus.

Interrogés s’ils voient un avenir avec la visioconférence, déjà envisagée par le passé pour réduire les transports depuis la prison et ses coûts de logistique, cela ne leur semble pas une option pour les demandes de mise en liberté provisoire. «Quand il est question de libertés, il faut une présence physique. Un face-à-face est toujours mieux. On sent plus qu’à travers un écran», analyse un pénaliste. Entre confrères, ils savent de quoi ils parlent. Ces dernières semaines, ils en ont fait l’expérience avec les entretiens Skype menés avec leurs clients à Schrassig. Les visites physiques n’étant plus autorisées pendant la crise, ils doivent entre autres recourir à ce type de communication.

Si pour les mises en liberté provisoire la procédure écrite a ses limites et qu’on privilégie la comparution des parties à l’audience, pour d’autres requêtes adressées aux chambres du conseil cela pourrait être une «solution intéressante». Me Maximilien Lehnen nous cite l’exemple d’une demande de restitution d’objets saisis en matière de criminalité financière. «C’est une matière plus complexe où il faut justifier les origines des avoirs bancaires. Un échange écrit où tu reçois une prise de position motivée du parquet peut être intéressant. Cela aurait des avantages par rapport à la procédure orale.» Aussi, pour une requête en nullité, la procédure écrite pourrait être une option. Entre avocats, on est d’accord : «Pendant la crise du corona, la procédure écrite est importante.» «Mais pourquoi, par la suite, ne pas réfléchir à laisser le choix à l’avocat de se présenter ou non avec son client à la chambre du conseil?», nous glisse un interlocuteur.

Faire appel à distance, une bonne chose

Pendant la durée de l’état de crise, la police judiciaire a la possibilité d’effectuer certaines auditions de témoins par des moyens de télécommunication audiovisuelle ou par audioconférence. Ce qui permet de finaliser des rapports à distance. La personne entendue n’appose pas sa signature en dessous du procès-verbal. Mais à la fin de l’audition, l’officier lui donne lecture des réponses données et demande si elle approuve oralement ou si elle souhaite faire consigner des observations. «C’est peut-être une option pratique si la personne se trouve à l’étranger», note un pénaliste. «Mais ne risque-t-on pas de créer plus d’incertitudes?», s’interroge-t-il. Déjà avant la crise, il arrivait que des témoins contestaient à l’audience ce qu’ils avaient signé de leur propre main…

Afin de limiter les contacts physiques au strict minimum, on n’a plus besoin de se déplacer physiquement au tribunal pour faire déclaration au greffe d’un appel. Cette étape peut actuellement être effectuée par voie électronique. Une mesure qui semble être appréciée par les avocats en général. «C’est une bonne chose. Cela peut mériter réflexion si à l’avenir on peut continuer à faire une déclaration d’appel à distance ou introduire un acte de demande de mise en liberté provisoire.» Mais pour le reste, on plaide pour la présence physique : «Pour le respect du débat contradictoire, il est nécessaire que toutes les parties comparaissent à l’audience.»

Fabienne Armborst

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