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Cité judiciaire : lors des procès, on porte désormais des masques


Face à la crise sanitaire on s'adapte à la Cité judiciaire. Les procès des détenus ont actuellement lieu dans la grande salle TL 1.10. On respecte les distances. Et on porte un masque... (Photo : Fabienne Armborst)

À cause du Covid-19, la justice fonctionne au ralenti. Nous avons assisté mardi après-midi à une audience où un toxicomane était jugé pour vol et menaces. Dans la grande salle, tout le monde portait un masque.

«Je me vois mal plaider avec un masque. Avec les lunettes, ce n’est pas non plus très pratique à cause de la buée…» Mardi après-midi, dans la plus grande salle d’audience du tribunal d’arrondissement, une avocate manipule un masque fait maison, sa consœur, un masque chirurgical. D’habitude, leur tenue se limite à la robe noire. Aujourd’hui un masque vient compléter leur équipement. Un témoin a pris place au fond de la salle, lui aussi est équipé d’un masque. Tout comme le parquetier qui ne tarde pas à faire son entrée. Et un autre avocat pénaliste qui s’installe directement en gardant ses distances avec ses deux consœurs.

Il est peu avant 15 h. Il n’y aura pas plus de va-et-vient dans la salle d’audience, ni dans les couloirs d’ailleurs. Depuis que la justice fonctionne au ralenti mi-mars, un bon nombre de procès ont en effet été reportés. Ceux qui subsistent, ce sont les affaires de détenus. Les déplacements à la Cité judiciaire restent donc très limités.

La preuve : dans le parking souterrain du Saint-Esprit, plus de 140 places étaient encore libres vers 14 h 30 mardi. Pas de files de voitures ni de ronronnement de moteur dans l’attente qu’une place se libère. À part quelques claquements de portes, c’est le silence total. Une ambiance particulière. Vu le peu de voitures garées, on a l’impression qu’elles aussi gardent leurs distances…

Une arrivée dans le respect des distances

Retour à l’étage où une seule audience du tribunal correctionnel était donc fixée. Les mouvements sont bien rodés. L’escorte policière monte «un à un» les détenus masqués. Les agents, également tous gantés et masqués – certains portent même des lunettes de protection – veillent à ce que les distances soient respectées. «Ce prévenu ne courra pas bien loin. On peut le mettre sur le banc en face», dit un policier en désignant un détenu qui se déplace avec des béquilles et avec des tongs aux pieds. Il libèrera ainsi la place dans le box vitré.

Lors de l’arrivée des détenus dans la salle d’audience, c’est l’occasion pour les avocats d’échanger deux ou trois mots avec eux. Comme les visites physiques à Schrassig sont actuellement interdites, ils ne peuvent plus se voir que par le biais de Skype. Mais l’un des trois détenus repartira aussitôt, tout comme son avocate, après l’appel des affaires par le président. Car on avait oublié de citer un interprète russe. Une autre affaire est carrément décommandée. L’avocate n’avait pas été informée. C’est ainsi que le tribunal s’est retrouvé face à un programme fort dégarni.

Le premier prévenu est invité à se placer quelques pas derrière la barre, là où plaide d’habitude la défense. Distances de sécurité obligent. Les deux juges assesseurs sont d’ailleurs également installés à un fauteuil vide d’écart du président.

Débats derrière les masques

Tout comme ce dernier, ils sont équipés d’un masque au-dessus duquel ne dépassent que leurs yeux. Mais pas de problème d’acoustique, les micros portent les paroles jusqu’au fond de la salle. Et ce n’est pas parce qu’ils portent un masque que les prévenus ont souhaité user de leur droit au silence.

Bien au contraire. Un jeune homme, dans la vingtaine, poursuivi pour avoir volé un portable le 6 mars, vers 9 h 35, dans un Post shop de la capitale, puis avoir menacé les employés avec une seringue, n’a pas mâché ses mots à la barre : «Je sortais tout juste de prison. J’avais fait 20 mois de détention préventive. Et au final je n’ai pris que deux mois. Les 18 mois en trop seront donc pour cette peine.»

Le président a du mal à croire ses oreilles : «Vous pensiez faire ce que vous vouliez, car vous aviez un bonus de 18 mois?»

– «Oui un peu… Je suis entré dans la boutique, j’ai volé un portable, car j’avais besoin d’argent pour la drogue. J’étais dans la rue.» Il raconte avoir sorti la seringue après avoir été interpellé par les employés : «Ça a duré trop longtemps avant que la police arrive. J’ai pris la seringue pour le piquer. Je ne le regrette pas. On m’a fait sortir de prison sans projet.»

Son avocat avoue avoir eu une requête plutôt inhabituelle de sa part. « »Faites en sorte que je reste encore au moins deux ans en prison » m’a-t-il dit quand on s’est parlé via Skype.» «Vous devez le juger pour ce qu’il a fait, pas en fonction de ce qu’il souhaite», plaidera Me Philippe Stroesser derrière son masque. Il estime qu’on ne peut relier le vol aux menaces. Car ce n’est qu’après avoir été interpellé par les employés et avoir attendu de longues minutes l’arrivée de la police qu’il aurait sorti la seringue. Une position que partagera le représentant du parquet. Il réclamera au final 15 mois de prison contre le toxicomane et la confiscation de la seringue.

Contre l’autre détenu jugé dans la foulée pour séjour irrégulier, neuf mois de prison ont été requis. Le trentenaire d’origine algérienne avait été expulsé le 8 janvier vers la France, avec l’interdiction de revenir au Luxembourg. Mais le 2 mars en fin d’après-midi, il a de nouveau été interpellé au café Nadia à Esch… À l’époque, on ne portait pas encore de masque. Les policiers l’avaient vite reconnu.

Retour progressif vers la normale en mai

La 7e chambre correctionnelle rendra son jugement dans ces deux affaires le 7 mai. Au cours du mois de mai, un retour progressif vers un fonctionnement normal des juridictions, dans le respect des mesures sanitaires imposées par le gouvernement, devrait avoir lieu. C’est du moins ce qu’a annoncé le ministère de la Justice, par voie de communiqué, mardi. Affaire à suivre…

Fabienne Armborst