L’interprétation qu’a faite le procureur de la lettre ouverte de Gaston Vogel ne joue pas en sa faveur. L’un conclut à l’incitation à la haine quand l’autre se défend d’être raciste.
Qui est Gaston Vogel vraiment? Un ténor du barreau? Un auteur et un écrivain? Une grande gueule? Un citoyen en colère? Selon Gaston Vogel, Gaston Vogel n’est pas un raciste. Selon Me Prum, Gaston Vogel est «un pur-sang comme ils sont rares» et «un homme blessé à outrance». Selon Me Lorang, son amie depuis 35 ans, «il a une profonde tendresse pour le faible et celui qui souffre et une rage folle pour celui qui opprime». Pour pouvoir juger s’il s’est livré à une incitation à la haine, il faut, selon la défense, décortiquer la personnalité de l’avocat jugé par la 19e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour discrimination ainsi qu’incitation à la haine et à la violence raciale. Pour le parquet, les propos écrits dans la lettre ouverte suffisent.
Le 15 août 2015, Gaston Vogel s’était fendu d’une lettre ouverte à la bourgmestre de la ville de Luxembourg pour se plaindre de la mendicité présente dans les rues de la capitale et, disent ses conseils, «l’exhorter à agir». Les termes utilisés par l’avocat ont fait mouche. Il évoquait des «racailles», des gens «dégueulasses et insolents» venus de «la lointaine Roumanie», qui «rackettent» les passants dans «une ville minable» «en passe de devenir le vomissoir de la mendicité». Les réactions n’ont pas tardé à affluer. Bourgmestre de Luxembourg, ministre de la Justice de l’époque, police grand-ducale, ambassade de Roumanie et Ligue des droits de l’Homme en tête qui finira par porter plainte contre l’homme de loi.
«Si j’y étais allé mollo-mollo, personne ne l’aurait lue. Là, au moins, on en parle», explique le «citoyen averti et alerte» à la barre. «Je décris une situation. Je ne dis pas aux gens de venir leur casser la gueule. Je ne fais pas d’appel à la violence.» Deux médias – RTL.lu et le Journal – ont reproduit la lettre dans leur rubrique destinée au courrier des lecteurs et sont incriminés par ricochet. Le représentant du parquet a estimé hier qu’«aucun des deux n’avait fait siens les propos de Gaston Vogel» et que si la chambre correctionnelle trouvait matière à les condamner, elle devait conclure à une suspension du prononcé.
«La lettre traite de la mendicité simple»
Gaston Vogel, qui aurait utilisé «le vocabulaire d’un homme en colère», risque d’être mangé à une tout autre sauce. Le procureur a indiqué que la problématique de la mendicité organisée était «de la moutarde après dîner», évoquée de manière tardive bien après l’envoi de la lettre ouverte, comme l’a indiqué le représentant du parquet, qui estime après de longs développements que les infractions sont bien données. Pour lui, la lettre ouverte ne ferait aucune allusion à la mendicité en bande organisée ou à la traite des êtres humains, mais s’attaquerait exclusivement aux mendiants d’origine roumaine. Il y voit «une volonté discriminatoire de nature à susciter un sentiment de haine auprès d’une partie de la population». «La lettre traite de la mendicité simple, point final. Exercée par des personnes d’origine roumaine. Point final», ponctue-t-il. Il requiert, étant donné l’âge du prévenu, son casier judiciaire vierge et un certain dépassement du délai raisonnable, une amende contre l’avocat, qui encourt une peine de prison.
Me Prum a, quant à lui, estimé que le parquet n’avait pas pris en compte le statut d’homme public habitué aux lettres ouvertes de son client, ni même son souci de l’intérêt général qui l’aurait poussé à prendre la plume pour faire avancer un débat et progresser une situation qui, six ans après les faits, a encore empiré. Pour Me Lorang, condamner le prévenu reviendrait à «légitimer le comportement agressif des mendiants d’origine roumaine et leur donner le signal que tout est permis». Ce sentiment d’impunité risquerait, selon elle, d’aggraver encore plus la situation. Elle demande l’acquittement ou le cas échéant la suspension du prononcé.
Quant aux avocats des deux médias incriminés, Me Decker et Urbany, ils estiment que le contenu de la lettre ouverte, clairement identifiée comme telle dans leurs supports rédactionnels, ne reflète pas l’opinion des rédactions qu’ils défendent. Les journalistes qui ont pris la décision de la publier seraient «partis du principe que Me Vogel savait de quoi il parlait». Ils ont tous deux plaidé l’acquittement aux termes d’un long débat sur la liberté de la presse, émaillé comme toute cette deuxième audience de jurisprudences et d’avis qui ont étayé les thèses des différents camps en présence.
Le prononcé est fixé au 12 novembre.
À lire aussi ➡ Audience de Me Vogel : le ton fait la musique
Sophie Kieffer
A l’époque où il a écrit cette lettre, il n’a pas mentionné les excuses et arguments livrés lors de l’audience. Il a tenu des propos haineux et discriminatoires. C’est tout. Les explications actuelles sont un moyen de défense,j’aurais préféré qu’il reconnaisse son écart de conduite et qu’il présente ses excuses. Une faute avouée est le début de pardon. Le spectacle livré n’est toutefois pas digne.