Kevin a navigué de zone d’ombre en zone d’ombre, remettant en question les témoignages sans se départir de son calme nonchalant, au point d’agacer la présidente de la chambre criminelle.
«J’en ai assez. Sincèrement !» La présidente de la 13e chambre criminelle a cuisiné Kevin pendant près d’une heure et demie, jeudi après-midi, sans obtenir d’aveux ou d’éléments réellement probants pour faire avancer l’affaire. Le jeune homme a réponse à tout et à rien à la fois. Comme ses deux coprévenues – un deuxième jeune homme est dans la nature et fait l’objet d’un mandat de dépôt –, il a vu des choses, mais pas celles qui intéressent les juges. Le prévenu, incarcéré à Schrassig, profite des zones d’ombre du dossier et des «visions sélectives» de ses coprévenues pour tenter de se disculper.
Son témoignage entretient la confusion. Il fait l’anguille, s’engouffre dans de nouvelles hypothèses, tente de maîtriser la situation et ne concède rien. Kevin indique avoir voulu défendre Gradi dans un premier temps et son ancienne petite amie ensuite. «J’ai vu que Douglas était agressif envers elle», explique-t-il. «Qu’appelez-vous agressif ? Personne n’a jamais dit qu’il était agressif», répond la présidente. «Je l’ai donc frappé comme ça, parce que j’en avais envie ?», s’étonne le jeune homme qui jure ne pas avoir donné de coup de couteau à Douglas. Les ADN de Kevin et de Naomi ont pourtant été retrouvés sur le couteau. «J’ai sorti mon couteau parce que Naomi était blessée», poursuit-il. Quelqu’un lui aurait dit que Douglas en avait un.
La présidente lui reproche d’avoir foncé tête baissée sans réfléchir et sans essayer de comprendre. «Au lieu de prévenir une ambulance pour votre petite copine, vous sortez un couteau», résume-t-elle. «On pourrait croire que vous êtes dangereux et que votre place n’est pas dans la société. (…) Si on vous dit de sauter d’un pont, vous le faites ?» Elle le confronte ensuite à la version du témoin clé. «Si vous savez ce qui s’est passé, pourquoi me posez-vous la question ?», balance le prévenu qui conteste la chronologie des faits donnée par le principal témoin, ajoute des éléments inédits et l’accuse de mensonge. «Je ne vois pas pourquoi le témoin aurait plus intérêt que vous à arranger ce qui s’est passé», note la présidente. Le témoin a dit que Kevin avait jeté le couteau dans la végétation après avoir réalisé que Naomi était blessée. «Vous avez donc dû porter le coup de couteau à Douglas avant d’aller rejoindre Naomi, pas après», propose la présidente.
Le jeune homme se débat et argumente face à une présidente qui déconstruit chacune de ses tentatives. «Si de l’ADN de Naomi a été trouvé sur le couteau et que Naomi a été touchée après Douglas, cela ne correspond pas à ce qu’a affirmé le témoin», est intervenue son avocate, Me Stoffel, avant de demander à ce que le tribunal entende l’experte ayant réalisé les prélèvements.
Elle en pousse un pour libérer l’autre
Lisa, 20 ans, semble être la seule des trois protagonistes présents à leur procès à avoir réalisé ce qui leur pend au nez. Comme son amie Naomi, la veille, elle minimise sa participation aux faits et se plaint de trous de mémoire, oubliant jusqu’aux déclarations des témoins. Elle dit avoir voulu séparer les hommes qui se battaient et avoir demandé à Douglas de ne pas se mêler de la bagarre entre son petit ami et Léo, un jeune homme qui avait refusé de lui donner une cigarette. Pourtant, selon les différents témoins et les victimes présumées, ce 1er juin 2021, les quatre jeunes ont bien passé à tabac Léo et Douglas, blessant ce dernier avec un couteau.
«La seule chose que j’ai faite, c’est pousser Douglas pour libérer Kevin», explique la jeune femme de 20 ans. «Je ne souhaitais de problèmes à personne.» La présidente lui rétorque qu’on ne sépare pas des bagarreurs sans une certaine violence avant de perdre patience. Lisa prétend ne pas avoir vu que Douglas, Léo et C. étaient blessés. Elle n’a pas vu le couteau, ni qui a donné les premiers coups. «Vous aussi, vous avez une mémoire sélective. Les blessures de Naomi, vous les avez vues», lance la juge. «Elle était pleine de sang, elle s’évanouissait, tombait et criait» , se justifie la jeune femme.
Comment Naomi a été blessée et par qui, personne ne semble avoir la réponse. Même pas la jeune femme elle-même. Idem en ce qui concerne la blessure au bras de Douglas qui, lui non plus, ne parvient pas à l’expliquer.
L’affaire reprendra jeudi après-midi avec le réquisitoire du parquet et les plaidoiries des quatre avocats.