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La jeunesse branchée d’Irak accro aux fripes


Le défilé est d'abord organisé pour sensibiliser aux effets du changement climatique subis de plein fouet par l'Irak. (Photo : afp)

Face aux enseignes internationales de «fast fashion» apparues à Bagdad, de jeunes amateurs de mode organisent un défilé de vêtements de seconde main. Une démarche écologique et économique, faite avec un sens aiguisé du style.

Dans une palmeraie au nord de Bagdad, des mannequins amateurs défilent, l’air blasé. Ici, pas de haute couture, mais des tenues vintage semblant sortir de films des années 1970. Pour ces jeunes Irakiens, la fripe, c’est chic… et c’est un moyen d’éveiller à la protection de l’environnement. Car le défilé est d’abord organisé pour sensibiliser aux effets du changement climatique subis de plein fouet par l’Irak. Il illustre aussi l’engouement récent pour les vêtements de seconde main chez les jeunes. «Nous ne voulons pas une surproduction de vêtements. Il faut réutiliser», plaide Mohamed Qassem, 25 ans, coiffeur et organisateur du défilé dans les palmeraies du village d’Al-Hussainiya.

Exhibant une doudoune vert fluo, un long manteau noir en cuir usé, d’amples blazers croisés, à carreaux ou à rayures, les mannequins se succèdent sous les yeux médusés de bergers. Dans un pays qui renoue avec une certaine normalité après des décennies de conflits et s’ouvre chaque jour un peu plus, les fripes permettent aux amateurs de cultiver leur différence à petit prix. Loin des enseignes de mode internationale et de «fast fashion» qui font timidement leur apparition à Bagdad.

Dominante de vert

Parmi les tenues arborées au défilé, le vert domine comme un clin d’œil, car l’initiative entend encourager le reboisement pour contrer la désertification galopante en mettant en valeur la palmeraie, vulnérable au changement climatique. «L’objectif (est non seulement de) se concentrer sur les vêtements, mais aussi (sur) les vergers délaissés, les palmiers qui disparaissent chaque jour. Tout cela amplifie la pollution», souligne Mohamed Qassem.

Veste rose, moustache à la Clark Gable et cheveux gominés, le jeune homme égrène les consignes, aidant un mannequin à rectifier sa démarche, suggérant des poses à un autre. Les vêtements présentés ne seront pas mis en vente. Mohamed Qassem a uniquement organisé le défilé pour la beauté du geste et pour éveiller à la protection de l’environnement. «Les fripes, ce sont des vêtements d’excellente qualité. Quand tu les portes, tu as l’impression de revêtir des vêtements de luxe, c’est différent de ce que tu trouves dans le commerce», explique Ahmed Taher, styliste de 22 ans qui a fourni les ensembles.

Un choix économique

Étudiant en commerce, il compte 47 000 abonnés sur son compte Instagram, Modern Outfit. Il y propose aux «hipsters» de Bagdad des vêtements d’occasion, parfois de grandes marques. Il vend des ensembles pantalon-chemise ou des tee-shirts à 20 dollars. «On veut porter des vêtements uniques et ne pas tous ressembler les uns aux autres», ajoute Ahmed Taher, vêtu d’une veste grise classique qui lui donne un air du jeune Al Pacino dans The Godfather. Mannequin d’un jour, Safaa Haidar appelle à «planter un arbre chez soi». L’étudiante de 22 ans «s’intéresse à la mode en général» et confirme son attrait pour les fripes, assurant choisir ses vêtements «en fonction de (sa) personnalité».

Mais la sape d’occasion est aussi un choix économique. Dans un pays où près d’un tiers des 42 millions d’Irakiens sont pauvres, les allées tortueuses du grand marché aux fripes de Bagdad ne désemplissent pas le vendredi. Devant les étals croulant sous les chemises, chaussures et jeans, des hommes essayent des vêtements. Ici, une chemise coûte parfois à peine deux dollars. D’autres pièces peuvent se vendre jusqu’à 200 dollars.

Les fripes, ce sont des vêtements d’excellente qualité (…) Tu as l’impression de revêtir des vêtements de luxe

Mohamed Ali, étudiant en ingénierie de 20 ans, est venu acheter des chaussures. À l’époque de l’embargo occidental contre l’Irak dans les années 1990, il raconte comment ses parents «portaient le même pantalon à l’endroit et à l’envers, jusqu’à l’usure, car ils n’avaient pas les moyens d’acheter de vêtements». Des décennies plus tard, la démarche a changé. «La plupart de mes amis achètent des fripes», confirme-t-il. «Ce n’est pas qu’on n’a pas les moyens d’acheter du neuf. Mais on trouve des pièces de meilleure qualité et uniques.»

Hassan Refaat propose des vêtements achetés puis abandonnés par des consommateurs en Europe et qui retrouvent une seconde vie dans les penderies irakiennes. Sa marchandise est aussi importée du Kurdistan, région autonome du nord de l’Irak à la frontière avec un géant de la production textile, la Turquie. «Les fripes sont de meilleure qualité que les vêtements neufs disponibles sur le marché. Bien souvent, il s’agit de pièces de marque», résume Hassan Refaat, 22 ans. «Et les marques durent toute une vie.»