Fut un temps en Birmanie où les barbiers hindous taillaient les barbes de leurs voisins musulmans rohingyas. Mais, après un mois de violences meurtrières, et la découverte d’un charnier de civils hindous, la réconciliation semble impossible.
« Nous étions des barbiers pour les musulmans, nos femmes allaient vendre leurs marchandises dans les villages musulmans. J’avais des amis musulmans, tout allait bien », se souvient Kyaw Kyaw Naing, un hindou de 34 ans capable de sauter allégrement d’une langue à l’autre de la région, selon qu’il s’adresse à un bouddhiste ou un musulman.
« Nous voulons rentrer, mais pas si les musulmans sont encore là », dit-il aujourd’hui, réfugié parmi des centaines de membres de sa communauté dans un stade de football à l’abandon de Sittwe, la capitale régionale de l’Etat Rakhine, dans l’ouest de la Birmanie.
La ville échappe aux violences qui secouent depuis un mois les villages de la zone de Maungdaw, dans le nord de la région, à la frontière avec le Bangladesh. Mais les hindous et bouddhistes fuyant les violences entre rebelles musulmans et armée sont des milliers à venir trouver refuge ici.
L’ampleur du mouvement n’a rien à voir avec l’exode des Rohingyas au Bangladesh (plus de 435.000 en un mois, selon l’ONU qui parle d' »épuration ethnique »). Mais en Birmanie, le fait que des villages hindous et bouddhistes aient aussi été victimes de violences est largement mis en avant par les autorités, qui dénoncent le parti pris pro-rohingya de la communauté internationale.
Rencontrée par l’AFP, Khin Saw Nyo, 48 ans, une bouddhiste réfugiée dans un monastère bouddhiste de Sittwe, décrit la façon dont les habitants d’un village musulman voisin l’ont forcée au départ. « Ils nous ont dit que la prochaine fois, nous ne nous en sortirions pas », « nous mourrons si nous y retournons », dit-elle, refusant elle aussi de rentrer si ses voisins musulmans sont toujours là. « Toute notre famille est morte au village… Nous n’y retournerons pas », explique Chaw Shaw Chaw Thee, rencontrée dans le stade de Sittwe.
La jeune femme de 20 ans assure que 23 membres de sa famille ont été tués dans son village de Kha Maung Seik, par des rebelles rohingyas. L’armée a assuré dimanche avoir mis au jour une fosse commune avec 28 corps d’hindous près de ce village.
Chaw Shaw Chaw Thee attend encore de savoir s’il s’agit bien de ses proches, alors que l’armée était à la recherche d’éventuelles autres fosses communes dans la zone. Dix-sept nouveaux corps ont été découverts au même endroit lundi.
Mosaïque ethnique
Avec au total un peu plus de 8.500 hindous habitant en Etat Rakhine, cette communauté ne représente que 0,28% de la population, contre plus de 34% de musulmans et 57% de bouddhistes, selon des chiffres du gouvernement birman datant de juillet 2017.
Dans le district de Maungdaw, épicentre des violences entre rebelles rohingyas et forces de l’ordre, la population musulmane était majoritaire, avec plus de 90% des habitants avant l’exode de ces dernières semaines. Les hindous ne représentaient eux qu’un peu plus de 0,6% et les bouddhistes moins de 5% de la population totale.
Cette forte présence musulmane en Etat Rakhine contraste avec une population birmane bouddhiste à plus de 90%. Elle suscite toutes les crispations, surtout depuis que la dictature militaire, au pouvoir pendant des décennies, a fait des musulmans l’ennemi intérieur de la Nation.
Aujourd’hui, hindous et bouddhistes accusent les Rohingyas d’avoir incendié leurs maisons et kidnappé leurs femmes pour les convertir. Des accusations à manier avec précaution, en raison de la guerre de l’information que se livrent les communautés – et de l’importance des rumeurs dans cette crise.
De leur côté, les Rohingyas dénoncent des raids de l’armée, accompagnée de milices bouddhistes, contre leurs villages. Pour l’immense majorité des Birmans, les Rohingyas sont des immigrés du Bangladesh voisin, souvent arrivés en Birmanie à l’époque de la colonisation britannique.
C’est aussi le cas des hindous, mais leur intégration ne pose pas problème, hindouisme et bouddhisme étant proches. « Il n’y a pas de solution sur le court terme… Arriver à l’harmonie peut prendre des décennies », analyse Oo Hla Saw, du Parti national de l’Arakan, qui représente les intérêts politiques des bouddhistes de l’Etat Rakhine (dit aussi Arakan).
Le Quotidien / AFP