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Comment la photo du petit Syrien noyé est devenue un symbole


La Une des quotidiens britanniques de ce jeudi 3 septembre. (photo AFP)

La photo d’un petit garçon mort sur une plage turque alors qu’il fuyait la Syrie a provoqué un choc planétaire, comme d’autres images coups de poing devenues les symboles d’un conflit ou d’une tragédie.

Pourquoi cette photo sort du lot?

A l’instar de la fillette captée par Nick Ut en 1972 au Vietnam ou de l’enfant recroquevillé et guetté par un vautour en 1993 au Soudan, de Kevin Carter, l’image du petit Aylan Kurdi, vêtu d’un t-shirt rouge et d’un short bleu, gisant le visage contre le sable de la plage de Bodrum, « est un coup de poing dans la figure », juge Christophe Berti, rédacteur en chef du quotidien belge Le Soir.

« Cette photo était une évidence », ajoute-il. « Elle vous donne la chair de poule », abonde Ricardo Gutierrez, rédacteur en chef photo de journal espagnol El Pais. « Ce qui frappe, c’est le décalage entre le drame de l’enfant et le calme de la plage », résume Éric Baradat, rédacteur en chef photo à l’AFP.

Comment devient-elle une icône du photojournalisme?

« Des photos on en voit passer beaucoup. Mais une photo qui dit tout c’est très rare », estime Jérôme Fenoglio, directeur du quotidien Le Monde. « C’est une image qui reprend les codes que la photo humanitaire, avec le recours à la figure de l’enfant qui parle à chacun de nous. L’enfant, c’est une victime dont on est sûr qu’elle est innocente », décrypte André Gunthert, enseignant chercheur en culture visuelle à l’EHESS.

Mais pour lui, l’image de la photographe turque Nilüfer Demir, ressort car « elle accompagne l’évolution du débat public: elle apparaît comme une condamnation de l’inhumanité de la politique européenne vis-à-vis des migrants ». « L’accompagnement médiatique, le fait de parler de cette image accompagne son iconisation », ajoute-t-il.

Rentrera-t-elle dans les livres d’histoire?

Selon Johan Hufnagel, patron de la rédaction de Libération, les réseaux sociaux participent à faire de cette photo un « phénomène culturel ». Le drame du petit Aylan devient universel car il parle à tous les parents.

« Il y a une étape qui est franchie, qui est symbolisée par cette image. On ne reviendra pas en arrière », juge André Gunthert.

Pour Le Monde, dans son éditorial, cela ne fait pas de doute « dans les livres d’histoire, le chapitre consacré à ce moment-là, s’ouvrira sur une photo: celle du corps d’un petit Syrien, Aylan Kurdi ».

Comment la publier?

Christophe Berti explique que son titre, après un débat interne, « n’a pas choisi de la mettre en gros plan », comme d’autres journaux en Europe. « On voulait la contextualiser avec le sauveteur », ajoute-t-il.

« A Paris-Match, on considère que c’est une honte que la presse française ne l’ait pas publiée! Nous on est partisans de montrer les choses alors qu’en France on a du mal à se regarder en Face, la presse française est trop sage », estime Olivier Royant, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire habitué aux images fortes qui a publié un article sur son site intitulé « La photo de la honte ».

Parmi les journaux français, qui à l’exception du Monde, n’avaient pas publié en une la photo dans leur édition de jeudi, Libération a « raté » la photo, explique Johan Hufnagel, dont le journal a pourtant consacré six « Une » à la crise des migrants depuis juin. « C’est un ratage collectif de ne pas l’avoir vue, on assume. »

Pourquoi la photo a encore une place malgré la puissance de la vidéo ?

Ce cliché prouve que « ce n’est pas parce qu’il y a un flux permanent d’images qu’il faut renoncer à sélectionner les photos très fortes pour les mettre en avant », fait valoir Jérôme Fenoglio.

« Il y a 10 ans, on avait peur que la photo soit tuée par la vidéo. C’est le contraire qui est arrivé ! Il y a toujours une place pour l’image fixe, c’est un instant d’éternité. On est en 2015 et c’est comme au temps de Robert Capa », relève Olivier Royant en référence à l’auteur de la photo floue du Débarquement du 6 juin 1944.

 

AFP / S.A.

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