Accueil | Luxembourg | Maisons du Limpertsberg : la bataille se poursuit

Maisons du Limpertsberg : la bataille se poursuit


Au numéro 39 de la rue Jean-l'Aveugle, la police est intervenue pour faire cesser les travaux. (photo DR)

La destruction de maisons susceptibles d’être classées aux numéros 37, 39 et 41 de la rue Jean-l’Aveugle à Luxembourg avait débuté fin avril. La police, à la demande du ministère de la Culture, avait mis un terme aux travaux la semaine dernière. Une réaction qui a fortement déplu au propriétaire et à ses avocats qui ne mâchent pas leurs mots à l’égard de la ministre.

L’affaire a connu un écho dans la presse le 22 mai grâce à une conférence de presse organisée par Anicet Schmit, le président de l’association Lampertsbierger Geschichtsfrënn. Ce défenseur du quartier voulait alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur le sort de plusieurs maisons rue Jean-l’Aveugle (13, 15 et 17 et 37, 39 et 41), rachetées par un promoteur immobilier et destinées à être détruites pour être transformées en immeubles. La Ville avait déjà donné son autorisation et certains travaux avaient déjà commencé malgré la demande de classement formulée par les membres de l’association.

Dès le lendemain, la ministre de la Culture, Sam Tanson, qui a dit à maintes reprises vouloir accélérer la protection du patrimoine, réagissait par communiqué de presse. Elle expliquait notamment qu’«ayant appris en cours d’après-midi du 22 mai 2019 que les immeubles précités [numéros 15 et 39 de la rue Jean l’Aveugle] faisaient l’objet de travaux de réaménagement, voire de démolition, des arrêtés ministériels concernant les propositions de classement des immeubles concernés ont été expédiés aux propriétaires en fin d’après-midi. L’arrêté concernant la proposition de classement de l’immeuble sis au numéro 39 a pu être transmis au propriétaire en date du 23 mai 2019 au matin.»

Les agents de l’État ont cependant constaté qu’à cette date les travaux n’avaient pas été interrompus. Ils ont ensuite effectué un rappel à la loi resté sans effet. Ils ont alors saisi la police grand-ducale qui s’est rendue sur les lieux pour un nouveau rappel à la loi. Les travaux ont continué. La ministre a donc fait savoir que le Service des sites et monuments nationaux allait porter plainte contre les propriétaires des immeubles concernés.

Deux versions des faits

Sam Tanson avait également souligné que «les services de l’État ont aujourd’hui été confrontés à une situation inédite, à une destruction volontariste et sans précédent d’une partie de notre patrimoine national, et ce, de surcroît, au mépris des dispositions légales en vigueur».

La situation fait fortement penser à une course contre la montre pour, d’un côté, détruire les maison avant leur classement et, de l’autre, effectuer la procédure administrative avant les travaux.

Dans un communiqué de presse envoyé ce matin aux médias, l’avocat du propriétaire répond à la ministre pour «rectifier la présentation des faits» qui serait «contraire à la vérité».

Il précise, ce qui n’a jamais été nié, que la Ville de Luxembourg a autorisé la démolition des maisons (aux 37, 39 et 41) en novembre 2018 et qu’une demande d’autorisation de construction de 45 appartements a été déposée auprès de la Ville. Il s’étonne qu’aucun recours contre ces autorisations n’ait été intenté par le ministère de la Culture. Il assure que les travaux à l’intérieur de l’immeuble situé au numéro 39 de la rue Jean-l’Aveugle ont démarré le 23 avril sans réaction de la part du ministère.

Par ailleurs, selon l’avocat, son client n’a été averti de la proposition de classement qu’à la date du 23 mai, donc après le début des travaux du numéro 39, contrairement aux dires de la ministre. Il a donc cessé les travaux à ce numéro, tout en les poursuivant aux numéros 37 et 41, et ce, «jusqu’à l’arrivée des agents de police expédiés en toute urgence l’après-midi du 23 mai 2019 par Madame la Ministre afin de mettre fin manu militari aux travaux en cours». Le propriétaire a-t-il fermé les yeux sur les lettres reçues ou le processus de classement n’a-t-il pas été fait dans les règles de l’art? C’est sans doute la justice qui répondra à cette question.

L’avocat affirme que son client se déclare «scandalisé par la rudesse des méthodes employées par la Ministre».

Le 24 mai, un huissier de justice a notifié au propriétaire l’arrêté portant proposition de classement des immeubles situés aux numéros 37 et 41.

«Une telle démarche est inouïe»

Les mots de l’avocat et du propriétaire, dont l’identité n’est jamais citée dans le communiqué de presse, sont durs à l’encontre de la ministre : «La réaction manifestement excessive de la Ministre s’avère plus surprenante encore lorsque l’on sait qu’elle était elle-même membre du conseil communal qui avait adopté en date du 28 avril 2017 le PAG de la Ville. […] La Ministre qui, en dépit de sa fonction ministérielle, ne se prive pas de tenir sur la place publique des propos factuellement faux, de proférer des allégations diffamantes à l’encontre d’un citoyen respectueux des lois. […] Une telle démarche est inouïe mais également incompréhensible car en contradiction flagrante avec les objectifs affichés par le gouvernement en matière de politique du logement.»

Avant la bataille juridique, c’est une bataille par médias interposés qui semble se jouer ici. Une polémique très symbolique qui interroge sur les choix et les priorités que le pays va devoir assumer dans les prochaines années avec une population qui explose autant que les prix du mètre carré : business et patrimoine sont-ils compatibles? Faut-il sacrifier les traces de l’histoire du pays pour faire face aux défis actuels et futurs? On le sait, le Luxembourg a fort à faire pour rattraper les années de retard en matière de protection du patrimoine, mais sans une politique et une administration fortes, ce combat-là risque d’être compliqué.

Audrey Libiez

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.