Une entreprise luxembourgeoise a décidé de prendre le fléau des mégots à bras le corps, en organisant leur collecte au sein des entreprises et bientôt des communes du pays et de la Grande Région.
Qui eût cru qu’un bout de cigarette nonchalamment jeté sur le trottoir pût causer tant de dégâts… Et pourtant, loin d’être anodin, ce simple geste est à l’origine d’un véritable fléau pour l’environnement : un mégot de cigarette contient en effet à lui seul des milliers de substances toxiques (environ 4 000) et peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau. Il met en outre une douzaine d’années à se dégrader.
Quand on sait que pas moins de 4 300 milliards de mégots sont jetés chaque année dans la nature, soit 137 000 mégots par seconde d’après l’Organisation mondiale de la santé, on comprend mieux les enjeux qui se présentent en matière de sauvegarde de l’environnement. Les mégots seraient même les premiers responsables de la pollution des océans.
«La cigarette est un véritable fléau, que ce soit en termes de pollution chimique ou de pollution plastique, mais aussi en termes de propreté des villes : 30 % à 40 % des déchets retrouvés dans les rues sont des mégots. Sans oublier que 16 % des feux, notamment dans les poubelles, sont dus aux cigarettes», rappelle Simon Hatuna, consultant RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et responsable de l’activité chez Shime, la première entreprise du pays à s’être lancée dans la collecte et le recyclage des mégots.
Créer une entreprise « qui a du sens »
La société de conseil en RSE a été fondée en 2017 par Stéphane Herard, un ancien informaticien qui a décidé de prendre un virage à 180 degrés pour monter une boîte qui a «du sens». Face à l’impact environnemental des mégots de cigarette, Shime, qui compte actuellement cinq collaborateurs, s’est proposé d’endiguer le phénomène en installant des cendriers balisés au sein des entreprises partenaires et en assurant la collecte des mégots, au mois ou au trimestre, selon le désir des clients.
Les cendriers sont fabriqués au Luxembourg, par l’entreprise Berl, située littéralement à quelques pas des locaux de Shime, elle-même établie au Campus Contern. «On ne peut pas mieux faire en termes d’impact carbone !», sourit Simon Hatuna.
Les mégots collectés dans des fûts sont ensuite envoyés chez MéGO!, une entreprise française basée près de Brest, en Bretagne, avec laquelle Shime s’est associée. «C’est une entreprise unique en Europe, qui recycle les mégots de cigarette en mobilier urbain», explique Simon Hatuna. «Ils assurent le recyclage des mégots : tri, broyage et dépollution via un système de circuit d’eau fermée. Un système à base d’argile permet ensuite de dépolluer cette eau. C’est le système le plus propre actuellement.» Et le consultant l’assure, «cette collaboration avec MéGO!, même en y incluant le transport jusqu’en Bretagne, a moins d’impact sur l’environnement que l’incinération des mégots, méthode pratiquée la plupart du temps».
Bettembourg, première commune zéro mégot
La toute jeune société luxembourgeoise compte déjà parmi ses clients de (très grosses) entreprises comme PWC, le centre commercial Cloche d’or, l’aéroport de Luxembourg ou encore la Spuerkeess. Mais aussi des TPE. «Tout le monde peut adopter la démarche zéro mégot. Nous pouvons même envisager à long terme, pourquoi pas, un service aux particuliers. À voir.»
En attendant, afin d’encourager les salariés à poursuivre la démarche «zéro mégot» en dehors de leur lieu de travail (et éviter ainsi de jeter la cigarette par la fenêtre de la voiture par exemple), Shime propose aux entreprises partenaires des cendriers de poche. Ceux-ci devraient être commercialisés sous peu à moins de cinq euros sur le site internet de la société et devenir accessibles à tout un chacun.
Shime va aussi étendre ses services aux communes. Bettembourg, la première d’entre elles, verra une trentaine de cendriers (fixes et mobiles) installés sur son territoire d’ici un mois environ, devenant ainsi la «première commune zéro mégot» du pays. Le député et échevin de Bettembourg Gusty Graas avait d’ailleurs été à l’origine d’une question parlementaire il y a deux ans pour alerter sur le problème des mégots et il soulignait déjà l’existence de l’entreprise bretonne. D’autres localités, comme Schifflange, ont elles aussi manifesté leur intérêt auprès de Shime qui a aussi commencé à s’implanter en Moselle et en Belgique. «Le fléau touche tous les pays de la même façon et beaucoup de cigarettes sont vendues dans ces zones», rappelle Simon Hatuna.
Objectif : une tonne de mégots par an
Au-delà de l’activité de collecte, Shime propose une multitude de services autour du recyclage du mégot, s’inscrivant ainsi dans une démarche globale : elle effectue des audits, des analyses de besoins, propose des formations pour les agents d’entretien et organise des ateliers de sensibilisation, assure un suivi grâce à un système de traçabilité, offre la possibilité de louer des fûts pour les mégots et d’obtenir des affiches et autres supports de communication, personnalisables avec les logos des entreprises.
«Nous avons une grande flexibilité envers nos clients, car la démarche se veut fédératrice. Notre but est de changer les mentalités. Les océans et l’environnement nous concernent tous.»
En dix mois, Shime a collecté 850 000 mégots, soit 220 kg. «Et ce, sachant qu’il y a eu le coronavirus ! Un kilo de mégots comprend plus ou moins 4 000 mégots», précise Simon Hatuna.
Sachant qu’il s’est vendu trois milliards de cigarettes au Luxembourg pour la seule année 2018, et que «sur ces trois milliards, il y en a sûrement un paquet qui a fini dans la nature», comme le déplore Simon Hatuna, nul doute que l’entreprise devrait atteindre sans difficulté son objectif : récupérer une tonne de mégots par an.
Tatiana Salvan