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Luxembourg : le vent du changement


Les dealers qui sévissent dans le quartier Gare font partie de groupes internationaux qui pratiquent la traite humaine. (Photo : police grand-ducale)

À défaut de trouver l’unanimité, une motion conjointe du CSV et du DP au conseil communal a provoqué un débat constructif sur la situation dans le quartier Gare.

«Rien ne change. C’est même pire.» Un restaurateur de la rue de Strasbourg décrivait ainsi, dans notre édition de jeudi dernier, la situation dans le quartier Gare à Luxembourg. La prostitution, le trafic de drogue et le sentiment d’insécurité qui en découlent rendent ce quartier invivable. Depuis des années, riverains et commerçants tirent la sonnette d’alarme. Pourtant, face au caractère inextricable de la situation, les autorités semblent impuissantes. Elle s’était pourtant améliorée, notamment grâce au renfort d’une trentaine de policiers qui stationnent dans le quartier, mais les choses se seraient en revanche précipitées après le confinement. «Nous peinons à attirer les clients depuis la crise du Covid-19. Ce n’est pas possible de travailler dans ces conditions. Nos clients ne se sentent plus en sécurité avec les dealers, les prostitués et les clochards», indiquait le restaurateur, et de préciser que les dealers attendent à la porte de son établissement.

«Ce n’est pas Marseille non plus», nous indiquait une riveraine. Pourtant, il devient urgent d’agir. Un sentiment partagé par les conseillères communales Héloïse Bock (DP) et Claudine Konsbruck (CSV) qui ont mis le sujet à l’ordre du jour du conseil communal de la capitale qui s’est tenu lundi  au Knuedler par le biais d’une motion conjointe à leurs deux sensibilités politiques. Cette motion qui propose des solutions préventives et répressives a été élaborée en concertation avec des riverains et des commerçants du quartier. «Son but est, d’une part, d’appeler les responsables nationaux à prendre et à appliquer des décisions concrètes, et, d’autre part, de rappeler les mesures prises par la Ville de Luxembourg et d’en proposer de nouvelles», a indiqué Héloïse Bock, «Notamment le projet de réaménagement de la rue de Strasbourg en préparation depuis deux ans en concertation avec les riverains. Une réaménagement provisoire est en place. Il s’agit de revaloriser l’espace urbain en soutien au commerce.» Dans leur motion, les deux conseillères demandent également un renforcement durable des forces de police présentes à la gare et à Bonnevoie, des patrouilles de police à pied plus nombreuses, des chiens antidrogue pour trouver les doses souvent cachées jusque dans les jardinières des riverains, une vidéosurveillance, l’intervention de la Ville de Luxembourg auprès des ministères de la Santé et de la Sécurité intérieure afin que les mesures nécessaires soient prises pour régler la situation d’Abrigado ou encore de revoir le règlement communal qui permet une tolérance de la prostitution dans la rue du Commerce.

«Les problèmes sont divers et appellent des réactions différentes des différents acteurs. Ils doivent être pris sur des plans différents et l’accent doit être mis sur la prévention, la répression et sur le social, souligne, quant à elle, Claudine Konsbruck. Il existe des lois qui encadrent ou interdisent certains comportements avérés dans le quartier Gare. Nous sommes un État de droit et elles devraient être respectées. Si ce n’est pas le cas, il faut s’attendre à des conséquences.» Et de citer la loi sur l’immigration illégale, la traite humaine ou encore la mendicité organisée. Enfin, la motion demande également la création d’un groupe de coopération à haut niveau avec différents ministères. «Nous ne pourrons régler le problème que par le dialogue, l’échange de bonnes pratiques et le contact avec le gouvernement», conclut la conseillère chrétienne-sociale avant de laisser la parole aux autres membres du conseil communal.

Une motion qui divise

«Nous avons attendu ce débat trop longtemps», estime Christa Brömmel de déi gréng qui regrette que le collège échevinal n’ait pas proposé de débat plus tôt. Elle regrette également l’approche «trop répressive» de la motion et annonce que sa fraction ne votera pas en sa faveur. «Notre priorité est la prévention et l’encadrement» des personnes concernées. Elle évoque la décentralisation des structures du type Abrigado et propose la création d’un plan d’action communal concernant la drogue qui sera rejeté par l’échevin Maurice Bauer (CSV), car un tel plan auquel participe la capitale existe déjà au niveau national.

L’«aspect tout-sécuritaire» de la motion ne plaît pas non plus à Gabriel Boisanté du LSAP qui privilégie une approche plus holistique des problèmes du quartier. «Nous soutenons toutes les mesures qui vont dans le sens de davantage de sécurité, cependant la sécurité est un aspect du problème, explique le conseiller communal. La mobilité dans le quartier, le concept d’urbanisme ont un rôle à jouer.» Il cite également les incivilités qui augmentent le sentiment d’insécurité : elles pourraient être supprimées par l’éducation. «La population de ce quartier a changé ces dix dernières années. Elle a besoin d’encadrement et n’a pas beaucoup de temps pour s’occuper de l’éducation des plus jeunes, poursuit-il. Le quartier a aussi besoin de plus de logements et de commerces. (…) Pour lutter contre la nuit, il faut de la lumière, de la présence, de l’activité. Je pense que tout cela manque à cette motion. Je trouve dommage qu’elle pointe du doigt les ministères de l’Intérieur et de la Santé. J’ai discuté avec Paulette Lenert et l’Abrigado est une des priorités de son ministère.»

Pour Claude Radoux (DP), la situation actuelle dans le quartier Gare reflète «l’échec total de la politique et du gouvernement depuis des années». Il souligne l’importance du travail de la justice qui doit agir main dans la main avec la police pour obtenir une solution efficace et durable. «Je suis d’accord que nous continuions à prendre des mesures en tant que Ville de Luxembourg dans une dernière volonté de régler les problèmes sur le territoire de la capitale avec les autres instances, indique-t-il, Mais nous devons nous donner une date limite après laquelle nous ferons le point sur la situation et sur ce qui marche.»

David Wagner (déi Lénk) ne votera pas en faveur de la motion, «même si certaines propositions sont intéressantes. Nous pensons qu’elle contient beaucoup de mauvaises pistes qui sonnent bien et feront de l’effet à certaines personnes, mais qui ne règleront pas le problème à long terme.» Il s’est toutefois prononcé en faveur d’un encadrement légal de la consommation de toutes les drogues «pour régler les deals dans la rue» et a été rejoint en ce sens par l’ADR qui, de son côté, est favorable à la motion. «À mes yeux, il s’agit d’une liste exhaustive de ce que nous pouvons faire au niveau communal, estime Roy Reding. Cependant, la drogue et la prostitution ne peuvent être réglés qu’au niveau national. (…) La prostitution aurait dû être encadrée par une loi afin d’éviter le racolage de rue. Elle serait réglementée, imposée et encadrée du point de vue sanitaire.»

Deux projets concrets

Plutôt que de rester les bras croisés à regarder la situation se dégrader et à abandonner le quartier à la prostitution et au trafic de drogue, la Ville de Luxembourg est passée à l’action. Vingt-huit places de stationnement ont été supprimées dans la rue de Strasbourg depuis dimanche pour laisser place à des terrasses. En outre, elle se prépare à lancer «À vos côtés», un projet pilote en partenariat avec l’association Inter-Action. Six jeunes du service Streetsport issus du quartier vont être formés pour devenir des agents de médiation entre les diverses populations du quartier, la police, les association et les autorités communales. Ils seront présents dans le quartier en permanence, mais leur rôle n’est pas de se substituer aux forces de l’ordre. Maurice Bauer a indiqué qu’il s’agissait d’un projet «imaginé par les habitants du quartier pour les habitants du quartier et porté par des jeunes qui connaissent bien les lieux». Finalement, les choses vont peut être changer en mieux dans le quartier Gare.

Sophie Kieffer

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