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L’architecte du Südspidol limogé : «On s’est fait berner»


Une décision difficile mais inéluctable, selon Georges Mischo, le président du conseil d’administration du CHEM. (Photo : Alain Rischard)

Mis en cause dans son propre pays pour le chantier catastrophique d’un hôpital, l’architecte autrichien censé construire le Südspidol vient d’être congédié par le CHEM, repoussant l’ouverture du nouveau complexe hospitalier à 2030.

En 2018, lorsque l’architecte autrichien Albert Wimmer est épinglé pour le fiasco de la construction du nouvel hôpital de Vienne – un rapport technique fait état de 8 000 malfaçons, la facture initiale a doublé pour atteindre la somme astronomique de 1,3 milliard d’euros – le Luxembourg s’inquiète. Et pour cause : c’est cet homme qui est chargé de faire sortir de terre le futur Südspidol regroupant les trois sites du CHEM (Centre hospitalier Émile-Mayrisch), Esch, Dudelange et Niederkorn, sous un seul et même toit à Raemerich. Un marché à 522 millions d’euros décroché trois ans plus tôt par le cabinet d’architecture dirigé par Wimmer.

À l’époque, la ministre de la Santé, Lydia Mutsch, et Georges Mischo, son successeur au poste de bourgmestre de la commune d’Esch, assurent d’une même voix que le marasme viennois n’a aucune chance de se produire au Luxembourg.

Pourtant, ce sont bien les mêmes problèmes qui ont gangréné le projet ces six dernières années et poussent aujourd’hui les membres du conseil d’administration du CHEM à se séparer définitivement d’Albert Wimmer, avec le sentiment d’éviter le pire : «De sérieux manquements se sont accumulés depuis le début. Nous avons donc activé les garde-fous que, contrairement à la Ville de Vienne, nous avions mis en place», explique le président Georges Mischo, en référence à des clauses spécifiques figurant au contrat conclu avec HTE, le groupement d’études Health Team Europe formé pour la planification et la construction du Südspidol.

Ce jeudi, c’est à cette adresse qu’est partie la lettre recommandée signifiant la rupture unilatérale du contrat de la part du CHEM, qui a bataillé ces derniers mois pour tenter de sauver le projet : en janvier dernier, alors que le CHEM est déjà prêt à entamer les démarches pour mettre fin à la collaboration avec HTE, l’architecte autrichien convainc les membres du conseil d’administration de lui accorder une dernière chance.

Un ingénieur est engagé en tant que coordinateur général du Südspidol avec pour mission de mener un audit complet de l’état d’avancement du projet et de sa planification. Très vite, les points critiques pleuvent : «D’abord, au niveau timing, nous avons pu établir que le calendrier soumis par HTE n’était pas tenable», précise l’ingénieur en question, Sam Saberin. «Concernant les coûts, leurs chiffres présentaient des contradictions, nous ne disposions d’aucune donnée fiable. Enfin, alors que HTE était tenu de garantir une supervision luxembourgeoise sur place, cela n’a jamais été respecté.»

Les preuves sont là. La décision est finalement prise début juillet, avec le soutien du ministère, mais elle a un goût amer pour Georges Mischo : «C’est frustrant parce qu’on est face à un architecte qui nous promet que les délais et les budgets seront tenus, mais en faisant tout analyser par un bureau externe, on se rend compte qu’il nous ment. On s’est fait berner.»

L’ouverture repoussée à l’horizon 2030

Désormais, le champ est libre pour engager une nouvelle procédure d’attribution. Toutefois, le projet ne repart pas de zéro : «Toutes les données relatives au Südspidol qu’on a reçues des différentes firmes et du bureau d’architecte Wimmer sont stockées sur nos propres serveurs et nous en détenons les droits. Le projet tel qu’on le connaît va donc rester le même. Il sera simplement mené à bien par un nouveau partenaire», annonce le bourgmestre. Douze à 18 mois sont prévus pour trouver cette perle rare. Les critères de participation pour le futur groupe en charge de la construction sont en cours d’élaboration.

Financièrement, en se séparant dès aujourd’hui de Wimmer, le Luxembourg s’en sort sans y laisser trop de plumes. D’autant que les 38 millions d’euros déjà dépensés depuis 2015 – dont 14 millions versés à HTE – correspondent à des prestations bien réelles «qui seront globalement utiles pour la suite du projet», précise Sam Saberin, comme la conception des bâtiments ou encore les travaux de viabilisation du terrain entamés en 2019.

Le revers de la médaille étant qu’il va encore falloir patienter une dizaine d’années avant de pouvoir profiter des installations de pointe du Südspidol : «On peut raisonnablement tabler sur un début de construction en 2024 pour une ouverture de l’établissement en 2030 voire 2031», indique l’ingénieur.

Alors que les travaux de viabilisation sont en cours depuis 2019 à Raemerich, la construction ne démarrera qu’en 2024. Photo : chem

Un feuilleton à rebondissements

Dix ans ont passé depuis le feu vert du Conseil de gouvernement en 2011 pour entamer la planification du Südspidol, un projet d’envergure dont l’ambition est de réunir les trois sites du CHEM répartis à Esch, Dudelange et Niederkorn, en un même lieu, et ainsi de réduire de 15 % les frais de fonctionnement de l’établissement.

Le concours d’architectes, lancé en 2014, est remporté l’année suivante par l’équipe d’Albert Wimmer, qui séduit avec un concept moderne et innovant. L’homme dirige alors la construction du nouvel hôpital de Vienne, qui connaît quelques déboires… Assez préoccupants pour qu’en 2016, Hansjörg Reimer, alors directeur général du CHEM, se rende sur place. Mais l’Autrichien, décrit comme un beau parleur, se montre on ne peut plus rassurant.

Pourtant, dès l’année suivante, un rapport des autorités autrichiennes liste pas moins de 8 000 défauts de construction dans le bâtiment et pointe l’explosion des coûts. Une commission d’enquête est lancée avec l’architecte dans le viseur, accusé notamment de manquer cruellement d’expertise et de savoir-faire.

Le Luxembourg suit la situation de près, mais ne s’inquiète pas, fort des clauses qu’il a pris soin d’ajouter au contrat qui le lie au groupement d’études. Les plans sont enfin achevés en 2018 et le permis de construire est accordé par la commune d’Esch en 2019. Les travaux de préparation du terrain débutent à Raemerich la même année.

Mais en janvier 2020, surprise : le ministre de la Santé Étienne Schneider annonce que les premiers travaux ne commenceront pas avant 2021 et que l’ouverture, qui a déjà été reportée de 2022 à 2024, est maintenant attendue pour 2026. Si rien ne filtre du climat interne, on peut noter la démission avec fracas, un mois plus tard, du numéro deux du CHEM, Claude Birgen, pour des divergences de vues avec la direction générale en lien avec le projet Südspidol.

Un audit mené entre février et avril 2021 démontre finalement que la collaboration avec Wimmer et le groupement en charge du projet ne permettra pas de mener la construction du Südspidol à bien. Début juillet, la décision est prise : le contrat sera résilié pour enfin repartir sur de nouvelles bases.

Christelle Brucker

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