Environ un millier de Polonais ont fait le déplacement vendredi jusqu’au Kirchberg pour protester pacifiquement devant la Cour de justice de l’UE contre la fermeture de la mine de charbon de Turow.
Solidarnosc!» (solidarité), n’ont cessé de scander devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), au Kirchberg, les centaines de manifestants venus vendredi tout droit de Pologne pour contester la décision de la CJUE de fermer l’immense mine de charbon de Turow, au sud de leur pays.
Menés, entre autres, par le syndicat Solidarnosc, le plus grand de Pologne, les mineurs et leurs soutiens, arrivés par bus et escortés depuis la frontière par la police jusqu’au site de la manifestation, ont bravé le froid matinal («C’est la Sibérie chez vous!», nous dira-t-on) pour faire entendre leur voix. Vers 11 h, ils se sont ensuite dirigés pacifiquement vers l’ambassade de la République tchèque, au rond-point Schuman, pays à l’origine de la plainte auprès de la CJUE.
Pour encadrer cette manifestation d’une rare ampleur au Grand-Duché et parer à tout débordement éventuel, le Luxembourg avait déployé un important dispositif policier : secteur entièrement bouclé, barbelés installés autour des sites sous tension, pas moins de 840 policiers déployés, arroseuses, véhicules de type APC, renfort d’une compagnie de maintien de l’ordre belge…
«Cette mine, c’est du boulot pour tous ces gens!»,
Mais si de nombreux sifflets et sirènes se sont fait entendre et des fumigènes ont été craqués, la manifestation s’est déroulée sans heurt. «L’attitude générale des manifestants fut paisible; aucun incident majeur n’a été signalé», a également commenté la police dans un communiqué.
Dans un manifeste spécialement rédigé en anglais, français et allemand dans lequel ils s’excusent «pour tout désagrément causé par [la] manifestation», les délégués syndicaux de Solidarnosc expliquent juger la décision de la CJUE «totalement impitoyable et unilatérale».
«Nous sommes confrontés à la perte de centaines de milliers d’emplois, la paralysie d’une région entière et l’enfoncement des mineurs et leurs familles dans la pauvreté énergétique et la misère», écrivent-ils.
«Cette mine, c’est du boulot pour tous ces gens!», s’insurge Radoslav, gestionnaire de paie à Turow. D’après PGE (Polska Grupa Energetyczna), exploitant de la mine de Turow et principal producteur d’électricité polonais, 80 000 Polonais dépendent en effet directement ou indirectement de Turow.
Sur une plainte de la République tchèque
En outre, la mine fournit de l’énergie à 2,3 millions de personnes et permet de produire plus de 5 % de l’électricité de la Pologne, laquelle dépend encore à 80 % du charbon. C’est d’ailleurs pour cette raison que Lukasz, travailleur social, a lui aussi fait le trajet depuis sa Pologne natale : «Je me sens directement concerné : c’est grâce à eux que mes enfants et moi avons de l’électricité», explique-t-il.
Mais avec la mine de Turow, située à quelques kilomètres de l’Allemagne et de la République tchèque, la Pologne extrait du lignite, la forme la plus polluante du charbon. Assèchement des cours et des points d’eau, pollution de l’air, fragilisation des sols : l’impact environnemental est énorme et le bien-être des habitants des communes avoisinantes s’avère compromis.
C’est ce qui a poussé la République tchèque à intenter une action en justice en février dernier (action à laquelle l’Allemagne a préféré ne pas se joindre pour ne pas envenimer les relations avec la Pologne) et en faveur de laquelle la CJUE a statué.
«Je ne crois pas que la pollution soit si grave»
L’argument écologique, Lucasz le balaye d’un revers de la main : «Je ne crois pas que la pollution soit si grave, nous avons tout un tas de systèmes pour tout nettoyer.» Même son de cloche du côté de Radoslav : «Nous avons des ingénieurs qui travaillent pour trouver un moyen de transformer le CO2 en oxygène. Nous avons besoin de plus de temps. Il faut que les États trouvent un compromis équitable.»
Pour les manifestants, la décision de la CJUE est en fait totalement «partiale». Dans une pétition qui a été diffusée au cours du rassemblement, des militants dénoncent l’existence d’un «lobby tchéco-germanique» qui veut conserver «le monopole de l’exploitation minière».
«La manière de procéder de l’UE ne peut être décrite autrement que comme scandaleuse, stupide et la preuve d’un considérable manque d’imagination et des connaissances élémentaires (…) Arrêter la mine du jour au lendemain serait une catastrophe écologique inimaginable et mettrait de surcroît en péril la vie et la santé de milliers de personnes (…) C’est une manière pour l’Europe de s’arroger des pouvoirs qui ne figurent pas dans les traités sur lesquels repose l’Union», écrivent-ils, appelant au respect de la souveraineté des peuples.
«Hier c’était Moscou, aujourd’hui c’est Bruxelles qui nous enlève notre souveraineté», pouvait-on d’ailleurs lire sur des pancartes.
Tatiana Salvan
Contre-manifestation
En marge de la manifestation, une quinzaine de Polonais du Luxembourg munis de drapeaux et de pancartes se sont rassemblés pour rappeler «aux Luxembourgeois» que 88 % des Polonais veulent rester dans l’UE. «Avec cette contre-manifestation, nous avons voulu montrer que nous respectons la Cour de justice, l’Union européenne et ses valeurs», a commenté au micro de l’un de nos confrères Agata Szymoniak, avocate qui vit depuis quatre ans au Luxembourg.