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Insectes venus d’ailleurs : l’invasion se poursuit


Le zoologiste Alexander Weigand répertorie toutes les espèces présentes au Luxembourg. (Photo : julien garroy)

Que ce soit en raison du changement climatique ou de la mondialisation, de nouvelles espèces d’insectes et de plantes invasives continuent de faire leur apparition au Grand-Duché.

On y prête peut-être moins attention qu’aux impressionnantes inondations et aux températures caniculaires, mais le changement climatique apporte aussi son lot de bouleversements à d’autres échelles : la faune et la flore du pays se voient en effet elles aussi chamboulées.

Ainsi, depuis quelques années, de nouvelles espèces autrefois cantonnées aux climats méditerranéens et tropicaux ont commencé à apparaître sur le territoire luxembourgeois. Et il ne fait aucun doute que le phénomène va aller croissant.

Deux nouvelles espèces de tiques, trois de moustiques, autant d’espèces d’abeilles sauvages… S’il est très difficile d’établir le nombre exact de nouvelles espèces ayant récemment débarqué au Luxembourg, faute d’un nombre suffisant d’experts, une certitude toutefois : «Dès que l’on fait des études explicites de taxonomie pour des groupes d’organismes, nous trouvons des nouvelles espèces dues au changement climatique, surtout dans le sud du pays. On s’attend donc à voir apparaître de nombreuses nouvelles espèces dans les années à venir, que ce soient des insectes ou des plantes (comme les orchidées, considérées comme rares autrefois), tout particulièrement le long de la Moselle et du Minett, où le climat est plus favorable», prévient Alexander Weigand, zoologiste au musée national d’Histoire naturelle (MNHN).

Le moustique japonais (aedes japonicus) est présent depuis quelques années au Luxembourg. Le redouté moustique tigre (aedes albopictus), potentiel vecteur du chikungunya, de la dengue et du zika, devrait aussi faire son entrée sur le territoire. Photo : julien garroy

Vecteurs de maladies

Une nouvelle espèce de tique s’apprête ainsi à mordre les mollets des randonneurs au Luxembourg : la Dermacentor marginatus, une tique qui recherche les milieux chauds et vit donc habituellement sur le pourtour méditerranéen. «Elle est en train d’arriver par la vallée du Rhin en Allemagne et va très probablement se propager vers l’ouest, dont le Luxembourg, dans les années à venir. Peut-être même dès cet été», estime Alexander Weigand. Problème : comme sa cousine, la Dermacentor reticulatus, elle peut transmettre des maladies sérieuses à l’homme.

Autre espèce dont il faut se méfier : le phlébotome, un petit insecte ailé qui ressemble à un moustique. «Il peut être un vecteur de maladie pour l’être humain, en particulier le Phlebotomus mascitti, qui est déjà présent en Allemagne, en France et en Belgique. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne soit présent au Luxembourg», annonce l’expert qui prévient : «Certaines espèces d’insectes sont d’ailleurs peut-être déjà sur le territoire mais n’ont pas été encore recensées…».

S’il y en a une en particulier qu’Alexander Weigand craint quelque peu, c’est l’Aedes albopictus, le fameux moustique tigre, originaire d’Asie et vecteur de virus tels que la dengue, le chikungunya ou le zika. Présent dans la métropole française depuis 2004, il n’est pas encore arrivé au Luxembourg, mais «devrait y être présent dans les cinq années à venir maximum».

Pas uniquement nuisible

Le zoologiste se veut rassurant toutefois : ce n’est pas parce qu’une espèce est présente sur un territoire, que la maladie l’est automatiquement elle aussi. «Même si la présence d’une espèce est déjà une première étape franchie, il faut aussi que les conditions climatiques soient favorables au développement de la maladie, qui peut être bactérienne. C’est pour cela que nous avons déjà des espèces de moustiques susceptibles de transmettre la malaria, mais que nous n’avons pas cette maladie ici», explique-t-il.

De surcroît, certaines nouvelles espèces ne sont pas forcément nuisibles et peuvent même être fascinantes à observer, tout est question de goût! À l’instar de la mante religieuse, qui était extrêmement rare par le passé, mais dont plusieurs spécimens ont désormais été repérés dans le sud du pays, du côté du Minett et dans la réserve naturelle de l’Aarnescht, à Niederanven. Ou du Xylocope violet et du Xylocope vulga (dont le tout premier spécimen vient d’être observé au Grand-Duché), de grosses abeilles charpentières aux reflets uniques.

Preuves irréfutables du changement climatique

L’arrivée de ces espèces originaires du Sud constitue en tout cas un argument massue contre le climato-scepticisme. «Certaines migrations sont la preuve irréfutable du changement climatique», approuve Alexander Weigand. Plusieurs espèces sont par ailleurs encore bloquées par les barrières naturelles que constituent par exemple le massif central ou les Alpes, «mais une fois qu’elles les auront franchies ou contournées, elles pourront plus facilement s’étendre vers le nord».

D’autres espèces, plus habituées aux climats tempérés, vont elles chercher à gagner en altitude. Mais elles ne peuvent le faire que jusqu’à un certain point évidemment. «Il y a des espèces qui sont favorisées par le changement climatique, d’autres qui diminuent leur distribution, parce qu’elles ont besoin de plus de froid.»

La mondialisation, autre responsable

Le changement climatique n’est toutefois pas le seul responsable du bouleversement de la faune et la flore dans nos contrées : la mondialisation et les changements anthropogéniques ont aussi leur part de responsabilité. «Avant, les voyages duraient plusieurs jours, voire plusieurs semaines, alors la plupart des espèces ne survivaient pas au transport. Aujourd’hui, en quelques heures à peine, on peut aller d’un bout à l’autre de la planète», souligne Alexander Weigand.

On pense notamment au lucane cerf-volant, un coléoptère qui vit habituellement dans des amas de bois mort en forêt mais qui n’a plus été vu au Luxembourg depuis plus de vingt ans en raison des changements dans la foresterie, ou, à l’inverse, au varroa, un parasite débarqué d’Indonésie, très redouté des apiculteurs, qui fait depuis son arrivée des ravages chez les abeilles mellifères.

Le frelon asiatique a été détecté pour la première fois en septembre 2020 au Luxembourg, d'abord à Junglinster, puis à Ingeldorf et à Esch-sur-Alzette. Photo : julien garroy

Inventaire régulier

S’il est important d’effectuer un inventaire régulier des espèces présentes dans le pays et de recenser les nouvelles, afin de pouvoir gérer au mieux les éventuelles maladies mais aussi proposer des stratégies efficaces de conservation, il existe de nombreux groupes d’espèces qui passent sous le radar, faute d’observateurs.

«Certaines espèces attirent plus l’attention : en général, nous sommes avertis dès qu’un nouveau papillon apparaît. Mais il y a des groupes, pourtant jolis, comme les criquets ou les mouches, qui comptent peu d’experts et auxquels les gens en général ne prêtent pas attention», déplore Alexander Weigand, qui alerte sur l’importance de la connaissance de notre environnement. «Il y a plein d’espèces que nous ne connaissons pas. Nous collaborons par exemple avec le LIST sur les Psyllidae, qui sont une menace pour les vergers, notamment la Capopsylla pruni, apparue en raison du changement climatique. Jusque-là, personne ne savait que cette espèce était présente, car il n’y avait pas eu d’études.»

Comment réagit un zoologiste face à tous ces changements? «J’ai un sentiment mitigé. D’un point de vue personnel, je trouve cela intéressant, puisque je suis confronté à des nouvelles espèces, que je n’avais jamais vues auparavant ou jamais eu l’occasion d’étudier. Mais c’est en même temps un peu triste et cela pose de véritables défis, car il y a aussi des espèces qui arrivent avec un impact important sur notre écosystème, qui peuvent être nuisibles ou transmettre des maladies», conclut Alexander Weigand.

Les sites internet à découvrir

> https://data.mnhn.lu/fr/maach_mat
On retrouve ici, entre autres, la liste des espèces recherchées par le MNHN et pour lesquelles les citoyens sont tout particulièrement invités à faire part de leurs observations.

https://mdata.mnhn.lu/
Portail pour rechercher des espèces présentes au Luxembourg mais aussi télécharger ses observations.

> https://inaturalist.lu/
Pour partager ses observations et se mettre en relation avec des experts pouvant identifier les organismes observés.

> https://neobiota.lu/
Le site de référence sur les espèces invasives.

> https://mosquitoes.lu/
Le site de référence sur les moustiques au Luxembourg.

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