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Mathis Bastian : «C’est beaucoup trop tôt, ce n’est pas normal»


Avec l'arrivée de la chaleur, les premières feuilles de vigne se sont ouvertes. (Photo : Erwan Nonet)

Les premiers bourgeons sont apparus en début de semaine dans les vignes, les premières feuilles ont vite suivi. Cela ne rassure par Mathis Bastian (domaine Mathis Bastian, à Remich)…

Avec l’arrivée de la chaleur, les bourgeons viennent de sortir.
Mathis Bastian : Oui, le chardonnay a été le premier à se réveiller et l’elbling a suivi. Les autres vont venir prochainement : le rivaner, l’auxerrois, le pinot gris…

Une nouvelle fois, nous sommes très tôt dans l’année… Êtes-vous inquiet ?
J’ai toujours un grand plaisir à voir les bourgeons qui s’ouvrent et la nature qui repart, ce moment est beau. Mais c’est beaucoup trop tôt, ce n’est pas normal. Il y a un souci avec la nature qui devrait vraiment nous faire réfléchir. L’année dernière, il a gelé au mois de mai, ce qui a causé beaucoup de dégâts. En France, ces derniers jours, beaucoup de régions viennent d’être durement touchées par le gel alors que la végétation venait de repartir.

Et malheureusement, contre le gel, il n’y a pas grand-chose à faire…
Non, effectivement. À l’étranger, certains utilisent des hélicoptères qui, en passant au-dessus des vignes, permettent de brasser les masses d’air froid et les masses d’air un peu plus chaud. Cela permet de gagner quelques degrés qui peuvent suffire pour éviter le gel. On voit aussi souvent des photos des grosses bougies allumées dans les vignobles la nuit. Mais cela coûte très cher et ce n’est possible que dans des vignes où les bouteilles sont vendues à des prix très hauts comme en Bourgogne, dans le Bordelais. Chez nous, ce ne serait pas réaliste.

Ce n’est pas pour rien que le riesling
est le cépage de la région

Dans le temps, alors que les gelées étaient fréquentes, les vignerons s’organisaient pour protéger les vignes. Quels systèmes étaient mis en place ?
C’est vrai. Je me souviens qu’à Stadtbredimus il y avait des kilomètres de tuyaux pour arroser les vignes en cas de danger (NDLR : lorsque l’on craignait une gelée, on aspergeait les vignes et le froid créait une coque de glace autour des bourgeons ce qui les protégeait du froid de l’air, encore plus intense, comme dans un igloo. Le système de Stadtbredimus couvrait 40 hectares). À Wellenstein, les vignerons avaient un énorme ventilateur qui fonctionnait au gasoil. Il était installé derrière un tracteur qui tournait dans les vignes (NDLR : selon le même principe que l’hélicoptère). Cela fonctionnait, mais c’était coûteux.

Paradoxalement, comme la nature verdit plus tôt, le changement climatique va de pair avec un accroissement des risques de gelées tardives. Ne faudrait-il pas réfléchir à un retour aux anciennes méthodes ?
La question peut se poser, oui. Finalement, ce n’est pas pour rien que le riesling est le cépage de la région : il est aussi le plus tardif et est le moins fragile. Je me souviens d’hivers à -16 °C, tellement froids que des ceps en étaient morts. Mais le riesling, lui, avait tenu bon. Nous avons beaucoup planté de chardonnay ces dernières années, moi également, mais est-ce qu’il est vraiment adapté à notre terroir ? Il est très bien, permet de réaliser d’excellents vins et apportent aussi beaucoup au crémant. Mais il se trouve que c’est le cépage le plus précoce, il se réveille avec 8 à 10 jours d’avance sur les autres. En cas de problème, comme ça a été le cas l’année dernière, c’est le premier qui crèvera…

Entretien avec Erwan Nonet

Plus tôt, plus dangereux…

En moyenne, les premiers bourgeons sortent le 29 avril dans la Moselle luxembourgeoise. Mais ça, c’était avant. Avant un emballement spectaculaire de la nature ces dernières années où la normalité est devenue exception. 7 avril cette année, autour du 4 l’année dernière, du 23 en 2018, du 17 en 2017… Si les climatosceptiques recherchent encore une preuve du réchauffement climatique, il suffit qu’ils se baladent au début du printemps dans la région.

Par voie de conséquence, les pertes dues aux gelées tardives se sont multipliées : la moitié de la récolte a été brûlée l’année dernière, environ 40 % en 2017, 30 % en 2016… Sur le calendrier, les saints de glace (Mamert, Pancrace et Servais) se situent aux 11, 12 et 13 mai, or les dictons sont souvent mâtinés de bon sens. En 2019, il a gelé au cours de la nuit du 4 au 5 mai, en 2017 dans celle du 20 au 21 avril, dans celle du 23 au 24 en 2016… Il faut toucher du bois et ne pas être fataliste, mais on ne pourra pas reprocher leur inquiétude aux vignerons.

Heureusement, le débourrement (le moment entre l’ouverture des bourgeons et leur transformation en feuille) a l’air d’être rapide, ce qui ne laissera que peu de temps aux mange-bourgeons (des insectes comme les boarmies, les noctuelles ou les charançons) de se repaître de ces parties charnues.

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