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Service mortuaire de l’hôpital de Mulhouse: « Derrière les masques, on cache un peu nos émotions »


Confronté à un afflux précoce et très important de malades du Covid-19, l'hôpital Emile-Muller a connu 137 décès au cours de sa pire semaine, la dernière de mars. (Photo / AFP)

Cachés derrière leurs masques mais parfois submergés par l’émotion, les agents du service mortuaire de l’hôpital de Mulhouse ont lutté pour maintenir envers et contre tout un peu d’humanité dans leur travail, au plus fort de la vague épidémique.

Reposoir, morgue? « Ici, on tient beaucoup au nom de service mortuaire car on est un service de soins, on prodigue des soins jusqu’au bout au défunt, même si notre travail a beaucoup changé » avec le coronavirus, insiste d’emblée Laure Baldenweck, cadre de santé du service. Confronté à un afflux précoce et très important de malades du Covid-19, l’hôpital Emile-Muller a connu 137 décès au cours de sa pire semaine, la dernière de mars, contre environ 30 habituellement. « Une fois, on a eu 26 décès en 24 heures », raconte Laure Baldenweck, alors que le flux de corps arrivant dans le service est revenu à la normale.

L’épidémie a bouleversé la vie du service et mis son personnel, pourtant habitué à côtoyer la mort, à rude épreuve. Habituellement chargés de faire la toilette des défunts, de les habiller, voire de les maquiller quand la famille le souhaite, les agents doivent se limiter depuis le début de la crise sanitaire à un lavage du visage, car le risque infectieux ne disparaît pas immédiatement avec le décès. « Au début on avait un sentiment de travail inachevé » raconte Valéry Denny, agent du service mortuaire depuis 14 ans. Mais « vu les circonstances, on a quand même été dans la dignité », estime-t-elle.

Le personnel du service s’enorgueillit d’avoir toujours maintenu une possibilité de visite pour les familles, même au plus fort de la tempête. Certes, en passant d’un nombre illimité de proches pour une durée illimitée en temps normal à cinq personnes maximum pendant cinq minutes, mais les familles en sont « extrêmement reconnaissantes », assure Laure Baldenweck.

Des proches privés de visite avant le décès

Dans une petite salle aveugle aux murs blancs, des chaises de bureau bleues sont disposées autour du brancard où repose le corps, décoré d’une rose rouge, petite attention que réservaient déjà les agents aux familles avant le coronavirus. Pour les catholiques, une grand croix et un bénitier viennent compléter ce sobre décor. La housse est juste assez ouverte pour permettre aux proches de voir le visage du défunt, en maintenant un mètre de distance et toujours en présence d’un agent. Pourtant, peu de familles sont venues voir une dernière fois leurs proches décédés, souvent par peur de la contagion. « On leur déconseille la visite à cause de l’épidémie mais on sent quand c’est vraiment nécessaire », explique Audrey Duhayon, agent du service mortuaire.

Elle rapporte le cas d’un frère et une sœur qui ont perdu leurs deux parents du coronavirus à 21 jours d’intervalle et sont venus voir leur mère décédée mais n’ont pas voulu voir leur père, car la première visite était trop éprouvante. « Voir la personne, cela permet de mettre une image, de concrétiser et de pouvoir débuter son deuil », complète Laure Baldenweck. Une étape parfois indispensable pour des proches privés de visite avant le décès. Non loin de cette salle, un local héberge les cellules réfrigérées où sont conservés les corps, avant la mise en bière qui doit se dérouler dans les 24 heures.

« Il y en a qui pleurent quand ils rentrent à la maison »

Lorsque ses 28 places n’ont plus suffi, 10 cellules réfrigérées ont été mises à disposition au centre funéraire de Mulhouse. « J’ai mis un point d’honneur à ce qu’aucune nuit, il n’y ait une personne décédée qui ne soit pas dans une cellule réfrigérée », insiste Laure Baldenweck. Les responsables du service n’ont cessé d’adapter le protocole à suivre en cas de décès, à tel point que les agents ont eu l’impression de devoir faire un travail différent chaque jour, avec des journées à rallonge.

« On a une forme de dissociation psycho-traumatique mais il y en a qui pleurent quand ils rentrent à la maison », rapporte le Dr Bernard Bouverot, le médecin légiste du service. Une agente a aussi craqué quand une famille lui a dit qu’elle était une sainte, rapporte-t-il. « Derrière les masques, on cache un peu nos émotions. Si on n’arrive pas à gérer, on passe la main à une collègue », confie un des agents mortuaire, Corinne Schlicht. Pourtant, « on ne changerait pas de métier », sourit-elle. Sur un carnet disponible à l’accueil, au milieu de petits mots pour les défunts, une famille a écrit « à toute l’équipe, merci pour votre bienveillance et votre humanité ».

 

LQ / AFP

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