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Réforme chômage : frontaliers et européens

Je suis frontalier, je travaille au Luxembourg, je cotise donc ici. D’un point de vue économique, et je ne le prends pas mal, je suis une variable d’ajustement. On peut parler foot, Jeunesse d’Esch, vélo, passerelle sous le pont Adolphe, multilinguisme, e bësse Lëtzebuergesch si vous voulez. Mais là, il faut décrire la situation de façon un peu froide, pour bien la comprendre.
Je suis frontalier, si demain je suis au chômage, les trois premiers mois mis à part, c’est la France qui me prendra en charge. «La France», ce n’est pas une idée abstraite : c’est le travailleur français de Bordeaux ou de Lyon qui cotise dans son pays et qui va payer mon chômage pendant deux ans. Moi je ne paierai pas pour lui s’il a un pépin professionnel dans sa vie, je veux qu’il le sache, car je cotise ici.
Cette situation est étrange? C’est bien ce que pense la Commission européenne, qui souhaite réformer le système d’indemnisation du chômage des frontaliers, qui concerne plus d’un million de personnes en Europe. Pourquoi? Car le travailleur de Bordeaux ou de Lyon va être agacé quand il va lire ce que j’ai écrit. Il va trouver que ce n’est «pas normal», il va dire que «l’Europe c’est nul». Et vous verrez, il finira par voter Le Pen ou un truc du genre. Le populisme prospère sur ce genre de «real news», il n’a même pas besoin d’inventer des fake news. Et l’Europe tangue à cause du populisme.
Je comprends le ministre Nicolas Schmit quand, dans sa lettre adressée à la Commission et rendue publique hier, il suggère du temps pour adapter l’Adem si le principe d’une indemnisation sur douze mois à la charge du Luxembourg passe.
Mais je ne comprends pas les associations de frontaliers quand je lis chez nos confrères du Wort qu’elles s’indignent : «La France se fiche de ses frontaliers et ne réfléchit qu’en termes économiques.» Je crois que ces frontaliers se fichent du travailleur de Bordeaux, de Liège ou d’ailleurs. Et je suis sûr qu’il y a des frontaliers qui croient encore assez en l’Europe pour imaginer qu’ils ne sont pas le nombril du Vieux Continent.

Hubert Gamelon