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Masse et impuissance

Il n’est rien que l’homme redoute davantage que le contact de l’inconnu», notait l’écrivain Elias Canetti dans Masse et puissance (1960). Et se fondre dans la masse serait pour l’homme une manière de se délivrer de cette crainte.

Elias Canetti n’était pas étranger au phénomène : il avait gardé un souvenir précis du jour où par hasard il s’était retrouvé au milieu d’une foule, d’une masse de gens, ainsi que des émotions que cette expérience lui avait procurées.

Ce n’est pas tant l’empathie que la crainte devant l’autre qui caractérise l’homme selon Elias Canetti, qui dans cette œuvre inclassable livrait une analyse des motivations qui auront poussé des millions de gens à se soumettre dans les années 30 à un chef pour suivre aveuglément ses ordres.

En public, nous nous excusons de tout contact involontaire, dans l’ascenseur nous observons une distance en présence d’étrangers… Au contraire, au milieu d’une masse, la perte de l’individualité est vécue comme une délivrance. Elle nous met sur un plan d’égalité avec les autres. En tant que telle, la masse devient une force qui se détache de tout autre extérieur, et dont elle ne fait que souligner l’altérité. D’où son désir de détruire, conclut Elias Canetti.

Or quand on voit ce qui se passe de nos jours, que ce soit à un concert à Paris ou comme dimanche à Las Vegas, il faut constater qu’aujourd’hui c’est bien la masse qui est la plus exposée, la plus vulnérable et la plus impuissante face au désir de destruction de certains individus.
Que dirait Elias Canetti? Le besoin de l’homme de se perdre pour se retrouver dans des évènements de masse n’a pas disparu, bien au contraire : il est même plus présent que jamais, les occasions pour le faire, multiples, mais également plus précises.

Les masses n’ont probablement jamais été moins exclusives. Par conséquent, elles ne peuvent que décevoir ceux qui pensent encore que les hommes doivent suivre un but commun, le leur ou celui de Dieu. Qu’ils soient minoritaires est bon signe; qu’ils nous tuent, la preuve que le contact de l’inconnu reste la plus grande crainte de l’homme.

Frédéric Braun

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