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Les fantômes de Kaboul

Un homme d’une cinquantaine d’années emmène une fillette de dix ans, tirant sur son abaya pour la faire avancer. Elle est désormais son épouse. Ses parents l’ont vendue «légalement», la famille n’a plus un sou ni de quoi nourrir une fratrie de huit bouches. «Je n’ai pas le choix», justifie le père devant les caméras. La scène, filmée pour un reportage de CNN, soulève évidemment le cœur de tout un chacun. Quant à interpeller les consciences des grands dirigeants, c’est une autre histoire.

Vingt ans d’intervention américaine en Afghanistan pour finalement en arriver là. Que reste-t-il des valeurs occidentales semées sur des terres seulement fertiles pour la culture du pavot ? Les hirondelles de Kaboul se sont envolées en même temps que décollaient les avions étrangers, avec le désespoir des oubliés accroché à la carlingue, au lendemain du retour des talibans au pouvoir. Aujourd’hui, des oiseaux de malheur se repaissent à nouveau des cadavres de mauvais bougres pendus sur les places publiques, se balançant sur l’ombre noire des soldats. Pour montrer l’exemple à qui voudrait suivre pareil chemin contraire à la loi islamique. Des fantômes qui hanteront longtemps les nuits de ceux forcés de les regarder. Dans la foulée des exécutions, des habitants perdus au milieu d’attentats-suicides et la corruption des puissants pour monnaie courante. Du sang et des larmes. Des rêves volés. Les collégiennes et lycéennes ne retourneront pas en cours de sitôt. Et la famine menace déjà quatorze millions de personnes. En moins de trois mois, voici donc la population renvoyée à des temps immémoriaux dont on gardait un vague souvenir au travers d’images d’archives, aux couleurs ternes, sorties d’une époque qui semblait révolue. «Notre destin, c’est toujours la guerre», disent les rares qui osent parler. Une guerre dont profite Daech pour répandre son chaos et gagner du terrain sur ses rivaux d’Al-Qaïda, alliés des nouveaux maîtres du pays.

Combien de fillettes encore vendues pour la noce, combien de bilans morbides encore à dresser, combien de drames humanitaires encore à pleurer faudra-t-il pour que la communauté internationale assume d’avoir abandonné tout un peuple à un funeste sort.

Alexandra Parachini

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