Une décision judiciaire oblige le gouvernement d’Olaf Scholz à revoir ses plans de relance. L’adaptation budgétaire se fait dans la douleur.
Le gouvernement allemand a décidé de geler les nouveaux engagements de crédits au titre du budget 2023, tirant les premières conclusions de l’arrêt choc de la Cour constitutionnelle qui laisse un trou de 60 milliards d’euros dans ses plans de dépenses.
Ce «gel» concerne les «autorisations d’engagement en 2023», c’est-à-dire les nouvelles dépenses d’investissement qui engageraient l’État sur plusieurs années, a expliqué mardi une source du ministère des Finances. La décision est la première conséquence du retentissant arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a jugé, le 15 novembre, «incompatible» avec la règle du frein à l’endettement un fonds de 60 milliards d’euros destinés à des investissements d’avenir. Cet arrêt, qui supprime purement et simplement ces crédits prévus par Berlin pour soutenir son économie, complique sérieusement le programme d’investissements de la première économie européenne.
Depuis cette décision, la coalition du chancelier social-démocrate Olaf Scholz tente de résoudre l’équation budgétaire. Alors que l’économie allemande est déjà attendue en récession cette année, «elle va se contracter à la suite de ce jugement, sa croissance sera moins forte que prévu», car «l’argent de la relance sera retiré au pays», a prévenu le ministre de l’Économie Robert Habeck sur la radio Deutschlandsfunk.
Le projet de budget 2024 reporté
Inscrite dans la loi fondamentale allemande depuis 2009, la règle du frein à l’endettement limite les nouveaux emprunts publics à 0,35 % du PIB chaque année. Elle a été suspendue entre 2020 et 2022, d’abord en raison de la pandémie de coronavirus, puis de la guerre en Ukraine, avant d’être remise en place cette année. Mais l’Allemagne a des besoins massifs d’investissements, notamment pour atteindre ses objectifs climatiques. La coalition s’est engagée à atteindre 80 % d’électricité renouvelable d’ici 2030.
Après avoir constaté, fin 2021, que 60 milliards d’euros de ces dettes autorisées à titre exceptionnel n’avaient pas été utilisés, le gouvernement a décidé de les transférer à un fonds spécial pour «le climat et la transformation», non comptabilisé dans le budget. C’est cette manœuvre qui a été condamnée par la justice. Censé être doté de 212 milliards d’euros, le fonds visait à accélérer la transition énergétique de l’Allemagne, en finançant des mesures telles que le remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur plus respectueuses du climat.
Le gouvernement comptait aussi sur cette enveloppe pour financer une partie d’un projet de 30 milliards d’euros abaissant le prix de l’électricité au profit de l’industrie en difficulté. Et pour contribuer aux subventions de plusieurs milliards d’euros promises aux groupes américain Intel et taiwanais TSMC qui veulent installer en Allemagne des usines de semi-conducteurs.
Le gouvernement revoit désormais sa copie pour le projet de budget 2024, dont l’adoption en Commission, initialement prévue la semaine dernière, a été repoussée. D’autant que la déflagration pourrait se poursuivre. Un autre fonds, consacré à la «stabilisation de l’économie», et fort de 200 milliards d’euros destinés à soutenir entreprises et ménages pour freiner les prix de l’énergie, est menacé. La décision du gouvernement mardi gèle d’ailleurs la plupart des usages de ce fonds pour cette année, a confirmé une source ministérielle.
Face à cette situation, de plus en plus de voix s’élèvent pour suspendre à nouveau le frein à l’endettement cette année. «À mon avis, nous ne pourrons pas éviter de voter une suspension» de la règle, a déclaré Rolf Mützenich, le président du groupe parlementaire du SPD, le Parti social-démocrate d’Olaf Scholz. Même le plus proche conseiller du ministre des Finances libéral Christian Lindner, partisan de la rigueur, n’écarte plus cette option : l’économiste Lars Feld a jugé mardi que ce scénario était «possible».
D’autres experts appellent à aller plus loin, en supprimant définitivement de la Constitution le frein à l’endettement, symbole de l’orthodoxie budgétaire allemande. «Le gouvernement n’a qu’un choix : réformer le frein à l’endettement», a affirmé le président de l’institut économique DIW, Marcel Fratzscher, mardi. Pour le ministre écologiste Robert Habeck, cette norme date d’une époque révolue «lorsque nous avions toujours du gaz russe bon marché, lorsque la Chine était notre principal marché, lorsque les Américains nous soulageaient du fardeau militaire parce qu’il n’y avait pas de guerre en Europe».