Accueil | Culture | Un passage piéton de Jakarta pris d’assaut par les fashionistas

Un passage piéton de Jakarta pris d’assaut par les fashionistas


Les défilés de mode improvisés sur l’un des carrefours les plus fréquentés de Jakarta ne sont pas du goût de tout le monde. Mais personne ne résiste à la libre expression des jeunes fashionistas de la capitale indonésienne.

Ces dernières semaines, les jeunes des faubourgs de la ville affluent vers le quartier d’affaires pour participer à la «Citayam Fashion Week», un festival de la mode actuelle, diffusé sur TikTok et Instagram. «Je sens que c’est l’endroit où je peux exprimer mon style et créer du contenu. C’est vraiment amusant parce qu’il y a tellement de monde et je peux me faire de nouveaux amis ici. Je ne veux même pas rentrer chez moi», exulte Ricat Al Fendri, un lycéen de 18 ans. Tous les matins, le jeune garçon saute dans le train avec ses amis en direction de l’endroit en vogue, coincé entre de hautes tours et des cafés tendance pour exhiber ses tenues du jour.

La police tente d’interdire l’utilisation du passage piéton comme un podium et, par haut-parleurs, demande à la foule de s’éloigner. En vain. Des filles aux jeans larges et lunettes de soleil colorées, et des garçons arborant vestes en cuir ou manteaux en fausse fourrure et baskets élégantes continuent de filmer leurs exploits pour les diffuser sur les réseaux sociaux. Certains adolescents ont même été surpris en train de dormir dans le quartier après avoir raté le dernier train pour rentrer chez eux. «Nous avons le droit de traîner ici. C’est un espace public et pour moi, c’est un excellent moyen d’évacuer le stress des examens scolaires», explique Ricat.

Un mouvement qui fait des émules

Le phénomène des défilés sauvages s’est d’abord propagé par bouche-à-oreille et à travers les smartphones dans cette mégalopole de 30 millions d’habitants. Saera Wulan Sari, 15 ans, gagne sa vie en vendant des palourdes dans le nord de Jakarta après avoir abandonné l’école. Elle est venue en spectatrice pour discuter avec des amis. «Je suis toujours impressionnée par les tenues des autres, ils sont tellement plus cools que moi et leurs habits ont vraiment du style», soupire-t-elle.

Les adolescents marginalisés avaient l’habitude de recourir à la violence (…) Maintenant, ils choisissent plutôt la mode

Le mouvement est devenu si populaire qu’il a des répliques ailleurs à Java, l’île la plus peuplée d’Indonésie, dans des villes comme Semarang et Bandung. Le rassemblement, dont le nom fait référence au quartier de Citayam, dans la banlieue de Jakarta, d’où viennent beaucoup de ces jeunes, est comparé à une version plus modeste au quartier de Harajuku, emblématique de la mode japonaise.

«Besoin de validation»

Sa viralité a attiré l’attention de célébrités, d’influenceurs et de responsables publics, dont le président indonésien, Joko Widodo, qui a estimé que les jeunes devraient pouvoir exprimer leur créativité. Les marques locales commencent à saisir l’occasion et surfent sur le phénomène en promouvant leurs produits à travers les «stars» du mouvement, leur offrant gratuitement vêtements, chaussures et publicité. Certains pionniers de Citayam ont acquis une célébrité instantanée, obtenant des offres de mannequinat, de l’argent et une armée de fans dévoués.

«Les adolescents se cherchent une identité et ils ont besoin de reconnaissance et de validation. Ces ados ont vu qu’une façon rapide de les obtenir passait par les « likes » et les partages», explique Devie Rahmawati, experte en questions sociales à l’université d’Indonésie. «Les adolescents marginalisés avaient l’habitude de recourir à la violence des courses illégales. Maintenant, ils choisissent plutôt la mode. C’est une chose positive et je trouve ça magnifique.»

Pour de nombreux jeunes, la «street fashion» en plein essor est aussi un moyen d’expression abordable, avec le quartier le plus riche de la ville pour toile de fond. Les adolescents de milieux modestes qui ne peuvent pas s’offrir des tenues de marque peuvent se joindre au rassemblement sans être jugés, se réjouit Khairul Badmi, acteur aspirant de 22 ans. «Pour participer à la Citayam Fashion Week, tu n’as pas à porter certaines tenues ou certaines marques qui vident ton portemonnaie», souligne-t-il.