Accueil | Culture | [Théâtre] Tout pour le fric !

[Théâtre] Tout pour le fric !


Dans Love & Money, Larisa Faber est Jess, une accro du shopping qui contracte de lourdes dettes et que son mari va tout faire pour combler.

Qu’en est-il de l’amour dans un monde qui ne pense qu’à l’argent ? C’est ce que questionne la pièce Love and Money, de l’Anglais Dennis Kelly, réputé pour ses œuvres coups-de-poing.

Mise en scène par Myriam Muller au Centaure – que l’on avait déjà vue sur cette scène dans Orphelins, du même auteur, Love and Money ausculte le monde néolibéral à travers la descente aux enfers d’un couple endetté.

Il y a deux ans, le Centaure offrait une pièce nerveuse, à l’écriture aiguisée au couteau, scotchant, au sens propre du terme, le public à son siège. Orphelins, de Dennis Kelly, abordait le racisme ordinaire et les non-dits inhérents à un trio familial des plus banals, êtres fissurés perdus mais touchants. Toute la force d’un auteur, rattaché justement à l’école théâtrale britannique dite «In-Yer-Face» qui, comme son nom l’indique, ne se gêne pas pour balancer des vérités crues à propos de nos venimeuses sociétés contemporaines, de surcroît, sans moralisme ni effet de manches.

Myriam Muller, alors sous la direction de Marja-Leena Junker, est ressortie «bouleversée» de la trentaine de représentations : «C’est un génie du théâtre contemporain! C’est naturellement que j’ai voulu revenir à cet auteur. Et ils sont rares ceux que l’on a envie de monter de suite.» La voilà donc aux manettes de Love and Money, pièce qui, dans sa dualité substantielle, se résume assez facilement à travers cette question : que reste-t-il de l’amour qui ne pense qu’à l’argent ? Mieux : nos existences peuvent-elles se résumer uniquement à ces deux mots ?

Autant d’interrogations qui nous mènent à l’histoire d’un couple au destin malheureux, depuis la demande en mariage jusqu’à la tragédie finale. Celle de David, modeste professeur de lettres conduit à prendre un emploi plus lucratif pour rembourser les dettes de sa femme, Jess, «shopaholic», c’est-à-dire accro au shopping. Il devient commercial dans la télécommunication et «vend son âme au diable». Comprendre : au démon capitaliste et à ses paysages de désolation. Une jungle où le fric et l’image que l’on renvoie prévalent contre l’amour et les valeurs morales.

«Un hamster dans sa roue»

Comme le dit Myriam Muller, dans un enthousiasme fédérateur, «c’est du lourd!». «C’est un théâtre qui oscille entre la comédie trash et les horreurs d’une société contemporaine qu’on connaît si bien, explique-t-elle. Il n’a pas de voile : ce sont des émotions pures, fortes, directes», portées par des personnages «pleins» : «Ils vous balancent des sujets de société en plein visage, sans le moindre chichi. Et ils ont des trajectoires comme dans les tragédies grecques.»

Encore plus vrai avec ce choix de Dennis Kelly d’inverser la chronologie : «La structure de la pièce est inversée : on commence par la fin, tragique, et on finit par le début de l’histoire et la naissance d’un amour. On remonte alors le fil pour connaître ce qui s’est passé dans ce couple, à travers des témoins de leur destin», quatuor de comédiens qui vont jouer, tour à tour, le père et la père de la jeune femme, un médecin, des businessmen…

Un ballet qui va mener le spectateur dans les entrailles de l’agitation libérale, «la société de l’argent à tout-va et des semaines de 60 heures, mais pour quoi, pour qui ?», s’interroge encore Myriam Muller. Et qui trinque le plus ici ? L’amour, évidemment… «Ils sont dans une spirale qui les emporte. Quand l’argent s’immisce dans l’amour, c’est fini», dit-elle, précisant que «ce n’est pas que l’histoire d’un couple, mais de toute une société». Avec ses individus cabossés, dont l’avidité ne pourrait être tenue pour seule responsable de la misère humaine. «Chacun tourne en rond comme un hamster dans sa roue, c’est évident. Mais on n’a pas les ressources, individuellement, pour se battre contre le capitalisme. On aimerait, mais on n’y arrive pas.» Le regard de la metteur en scène appuie la mesure du texte de Dennis Kelly, qui ne tire aucune morale de ses propos. Lui observe et passe à qui veut bien prendre. Et ses personnages, même dans les situations les plus sombres et déroutantes, gardent une dignité qui les élève. «Ils ne sont ni des monstres ni des héros. De simples maillons de la chaîne.» Juste humains, pourrait-on ajouter, avec ce que cela implique de brutalité et de vices, mosaïque désastreuse relevée d’un humour salutaire, une «petite bouée de sauvetage» dans ces eaux noires.

Un sombre panorama qui ne s’encombrera pas de fioritures scéniques, puisque ici, le texte et ses interprètes font tout : «Je n’ai jamais aussi peu fait de mise en scène qu’avec cette pièce-là. J’ai l’impression que les comédiens sont debout et qu’ils lisent le texte… Cela dit, dès qu’on a essayé de mettre en place des choses, ça s’est cassé la gueule. Alors, on fait dans l’épure.» Même le décor a profité de ces élans minimalistes : «Ce n’est que de la récupération! On ne peut pas parler de crise économique et mettre des barres en or sur le plateau…» Réjouissons-nous alors de ce premier pas vers la décroissance.

Grégory Cimatti

Théâtre du Centaure – Luxembourg.

Jeudi à 18 h 30. Vendredi et samedi à 20 h. Le 31 mai, ainsi que les 1, 3 et 4 juin à 20 h. Le 29 mai, ainsi que les 2 et 5 juin à 18 h 30.

La pièce sera aussi présentée à la Kulturhaus (Niederanven) les 26 et 27 mai et au Théâtre municipal d’Esch-sur-Alzette les 6 et 7 octobre prochains.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.